La très grave crise qui prévaut entre l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz et son successeur Mohamed Ould Ghazouani était prévisible. Pour avoir eu la chance d’être aux premières loges au Palais des congrès de Nouakchott, le jour de la proclamation des résultats de la présidentielle remportée par Ghazouani, il n’était pas difficile de remarquer que les hiérarques de l’Union pour la République (Upr), réunis autour des deux amis pour suivre en direct le décompte des voix, avaient déjà retourné leurs vestes au profit du vainqueur du jour.
Trois mois à peine après avoir quitté le pouvoir, Aziz, ulcéré par un début de changements prometteurs entamé par son successeur, est revenu avec fracas à Nouakchott pour récupérer, à la hussarde, «son» parti qui a servi de rampe de lancement à son poulain. L’homme-lige, qui aurait pu le renverser mais lui avait fidèlement gardé la maison en 2012, lorsqu’il avait failli passer de vie à trépas après avoir été touché par une balle au cours d’une mystérieuse fusillade, s’est trop vite démarqué, à son goût, de sa pesante tutelle.
Cette tentative de reprise en main s’est soldée par un fiasco retentissant et humiliant pour l’ex-général abonné aux putschs : la quasi-totalité des membres du comité directeur de l’Upr ont fait allégeance à Ghazouani, considéré désormais comme «l’unique référence» du parti. Et, pour parer à toute éventualité, le nouveau chef de l’État mauritanien, ancien Cemga et ancien ministre de la Défense, a pris une mesure préventive: le limogeage du patron du Basep (Batailon de sécurité présidentielle), la garde prétorienne dont Aziz a longtemps été le patron et dont il s’est servi pour renverser tour à tour Ould Taya et Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Toutes proportions gardées, le clash entre Aziz et son ancien frère d’armes rappelle d’autres épisodes survenus en Afrique. Le retour avorté d’Aziz à Nouakchott et la tentative de contrôle de son parti a une étrange résonance avec la brouille intervenue entre le Président Senghor et son ancien dauphin Abdou Diouf.
Énervé par la «désenghorisarion» trop vite entamée par son successeur et le dégommage tous azimuts de ses vieux compagnons de lutte, les fameux «barons», Senghor avait voulu revenir à Dakar pour reprendre en main «son» Ps. Niet catégorique de Diouf qui le lui fait savoir par l’intermédiaire de ses nouveaux porte-flingues. Par bonheur, le vieux sage comprit la leçon et ne tenta pas un bras de fer qui aurait pu plonger la fragile démocratie sénégalaise dans la tourmente.
Une sagesse qui n’habita pas le Camerounais Ahmadou Ahidjo. Après avoir cédé lui aussi volontairement le pouvoir à un certain Paul Biya, il cria très vite à la trahison et tenta de revenir au pouvoir par tous les moyens. Résultat des courses : des officiers nordistes proches d’Ahidjo fomentèrent un putsch qui se solda par une centaine de morts dans les rues de Yaoundé, un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire du pays.
Que dire du cas angolais entre Dos Santos et son successeur et ancien protégé Joao Lourenço qui n’a pas hésité à lancer une violente purge contre les membres de la famille de l’ancien président angolais ayant mis en coupe réglée des pans entiers de l’économie du pays ? Le pouvoir ne se «prête» pas pas plus qu’il ne se «loue».
Aziz va-t-il tirer les leçons de cet échec et comprendre que la partie est définitivement perdue pour lui ? On peut en douter. Homme au caractère emporté et à l’ego surdimensionné, l’ancien mécanicien ayant grandi à Darou Mouhty au Sénégal, descendant d’une tribu guerrière, s’est laissé avoir comme un bleu par le très madré Ghazouani, rejeton d’une illustre famille de religieux Idelboussat. Entre le marabout et le guerrier, la prochaine salve risque de laisser l’un des deux définitivement sur le carreau.
PS : Dans un entretien accordé à Dakaractu, au lendemain de l’élection de Ghazouani, je disais que je ne croyais pas à un scénario «Poutine-Medvedev» et j’avais déjà évoqué l’hypothèse d’une brouille à venir entre les deux hommes par la faute d’Aziz. Mais je ne pensais absolument pas que cela arriverait si tôt…