La sociologue Fatou Sow est l’une des femmes les plus remarquables dans la lutte pour le droit des femmes. Née à Dakar d’une famille privilégiée originaire de Saint-Louis,  elle a fait ses études en France et aux États Unis avant de se lancer dans une carrière universitaire. Fatou Sow faisait partie des  2 seules femmes sur les 300  étudiants à entrer  à l’université après l’indépendance du Sénégal en 1960. Chercheuse, elle a notamment fait carrière au Centre national de recherches scientifique (Cnrs, France) et à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) ou encore au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique  (Codesria). Fatou Sow s’est beaucoup investie dans ses travaux sur le féminisme en Afrique. Dans cet entretien avec SeneNews, la sociologue, âgée de 79 ans, n’a pas changé sur les combats qu’elle a menés avec d’autres femmes contre l’oppression d’une partie de l’humanité que constituent les femmes. Elle a été interrogée lors d’une rencontre sur le féminisme organisée par la Fondation Henrich Böll à Dakar.  

Quelle est la pertinence de ce dialogue intergénérationnel sur le féminisme au Sénégal ?

Il est pertinent parce que c’est un débat qui permet d’échanger. C’est surtout une manière pour les personnes plus âgées  d’échanger avec les jeunes et vice versa. Moi, j’ai appris au bout de cette journée de préoccupations des plus jeunes, de leurs angoisses parce qu’il y a des angoisses quand même par rapport à l’environnement actuel. Être féministe, est-ce que ça nous représente. Et ça je crois que c’est ça l’intérêt. Quand moi je me  formais, les femmes  n’étaient pas féministes, notamment les plus âgées comme la fondatrice de ce musée (Ndlr : Henriette Bathily). Mais, c’était une femme qui était  très organisée, très engagée pour les droits des femmes. Elle n’était pas favorable à plein de choses, mais le respect des droits des femmes  était  sa préoccupation principale. Elle disait : «Bien sûr, je ne suis pas féministe parce que je n’oppose pas les hommes et les femmes». Mais, en même temps, les actions qu’elle menait  ont déconstruit les rapports de domination  qui existaient entre  les hommes et les femmes. Elle a fait un certain nombre d’actions qui étaient, à mon avis, très importantes. Donc, l’importance de ce débat, c’est de dire aux jeunes : «arrêtez d’avoir des complexes».

Comme vous le dites de la fondatrice du musée Henriette Bathily, apparemment aujourd’hui encore certaines ont du mal à assumer publiquement leur engagement féministe…

Malheureusement, on a encore du mal. On a encore du mal parce que le féminisme  comme concept occidental a une histoire. Or, au fond,  en tant que mouvement ou  idéologie qui se bat pour le droit des femmes, on n’a pas besoin d’avoir une étiquette de féministe. Même s’il est évident que de règles, de concept ; que nous utilisons aujourd’hui  viennent de l’Occident. Par exemple l’oppression des femmes, la place du patriarcat… sont des concepts qui ont été inventés par les femmes occidentales dans plusieurs langues d’ailleurs en anglais et français notamment. C’est un débat de longue durée qui a incorporé beaucoup de valeurs d’autres régions dans le monde avec ce qu’on a appelé les femmes du Sud. Les femmes en Amérique du nord, sont un peu à l’origine du mouvement féministe. Mais, en Amérique Latine, dans les Caraïbes, en Asie et l’Afrique, les femmes ont quand même contribué à enrichir le féminisme  à  ouvrir les espaces.

Que faut-il donc faire de la jeune génération qui hésite à s’engager à fond ?

Il faut continuer à discuter, à dialoguer avec elle. On a beaucoup de préjugés sur le mouvement. On entend des femmes dire : «je suis féministe, mais je dois obéir à mon mari», «moi, je suis féministe, même si mon mari prend une deuxième femme, je ne vais pas partir», «moi, je suis féministe, mais quand même, je ne suis pas une Occidentale». Il s’agit de déconstruire ces préjugés. Parce que malgré tout nous savons que nous avons nos priorités, nous avons nos exigences. Vous savez  les Africaines au moment de la plateforme de Beijing de 1995, ont énormément travaillé pour faire avancer la cause de la femme. Le mariage forcé n’existe plus vraiment en Occident. Donc c’est une question autour du droit des femmes, autour du droit de la petite fille, avec les femmes qui sont concernées dans le monde arabe, en Asie… Et il a fallu que les africaines posent cette problématique et ça a été quelque chose d’extrêmement important.

Les religions desservent-elles la cause du féminisme dans le contexte africain et sénégalais ?

Ma réponse  à cette question n’est pas celle d’une musulmane. Les religions sont des systèmes idéologiques. L’islam  date de 14 siècles, le christianisme  date de 2000 ans, le judaïsme bien avant. Bien sûr tout le monde croit qu’il y a un Dieu et la religion, c’est la parole de Dieu. Moi comme je dis c’est la parole de Dieu médiatisé par des hommes. Mais  quand on dit les religieuses chez les catholiques se couvrent la tête en soumission à Dieu, les femmes qui se couvrent la tête dans le milieu musulman c’est en soumission à l’homme. Parce que l’homme est devenu Dieu. Je ne suis pas une bonne musulmane. J’aime réciter un verset du coran quand quelque chose de dur m’arrive, j’aime dire : ah  c’est la volonté de Dieu. C’est à dire que littéralement, je me refugie dans Dieu parce que ça me conforte. Mais on ne peut pas, à partir d’un livre ancien,  décider de ce que sont les vies des femmes et les lois pesant sur les femmes dans le monde contemporain. Quand on parle de la  charia, on sait dans quel contexte historique la charia s’est constituée. La charia c’est la parole de Dieu, mais la parole de Dieu reconstituée par les hommes après la mort du prophète. Ce n’est pas le prophète qui une fois  la parole de Dieu révélée, s’est levé un matin et l’écrire. C’est après un temps infiniment long que  les hommes on écrit. Et en fait, il n’y a pas une charia, mais des charias. Moi vivant au Sénégal, je  ne veux pas d’une charia qui va me dire comment je dois vivre. Je pense que c’est extrêmement important. La laïcité c’est la séparation entre l’État et la religion, entre le politique et le religieux. Je ne parle pas du christianisme, je parle de l’islam parce que l’islam est politique. L’islam est une religion politique. Prenez par exemple, le roi du Maroc, il est  le commandant, le souverain, c’est lui qui décide. Quand  les oulémas se sont opposés au code de la famille, mais c’est le roi qui a dit : – c’est moi le commandant des croyants.

Pourquoi dites-vous que l’islam est politique ?

L’islam est politique parce que le matin quand vous vous levez et moment où vous allez vous coucher l’islam a décrit tous les gestes que vous devez faire et comment vous devez le faire. Je  sais que pendant la période coloniale, les gens priaient tôt le matin avant de partir, mais aujourd’hui vous allez dans les bureaux – ça date des années 2000 -, les gens  ferment leurs bureaux pour prier.  Et je pense qu’il faut faire attention à l’islam politique. Ici au Sénégal, on a les Mourides, les Layènes, la Tidiania… tout ça c’est l’islam politique avec plus ou moins de pouvoir. Je pense que les hommes politiques donnent trop d’importance à la parole religieuse. Macky Sall avait dit quelque chose de très juste avant sa première élection. Il avait dit que les religieux sont des éveilleurs de conscience, on peut les respecter pour ça. Mais ce sont les citoyens comme les autres et la loi leur tombera dessus s’il y a un manquement à la loi. Seulement aujourd’hui, il est tout content que le khalife des mourides le réconcilie avec Wade. Mais qu’est-ce que ça peut me faire moi en tant que Sénégalaise de voir Macky Sall et Wade réconciliés pour qu’on remette Karim Wade en place, en scelle ?

Les hommes ont-ils peur des luttes pour les droits des femmes et certains crimes comme le viol ?

Oui ils ont peur des féministes parce qu’ils ont peur de perdre leur pouvoir. Le statut de privilège, quel que soit leur niveau de revenus, ils ont peur de le perdre sur les gens qu’ils dominent. Dans la tradition africaine, les femmes ont eu du pouvoir. Vous savez, en dehors de la reine Pokou et autres, on peut compter les femmes qui ont été des souveraines. Nous au Sénégal, les femmes, c’étaient des lingères, elles sont princesses. Elles sont soit la mère du roi ou du chef, soit la fille du chef soit la sœur du chef. Elles ne sont pas le Buur, elles ne sont pas le Damel, elles ne sont pas le Serigne non plus. Par exemple, vous savez que chez les Mourides, quand le pouvoir colonial a détruit toutes les structures politiques précoloniales, les marabouts se sont engouffrés dans le système. Mais, pour être Khalife des Mourides, il faut appartenir, soit par sa mère, à une certaine famille. Mais, la femme, ne peut pas être Khalife. On n’a qu’a voir le cas Aida Diallo qui a fait récemment l’actualité. Je dois quand même dire qu’Aida Diallo, elle est opportuniste dans un système opportuniste. Parce que qu’est-ce qu’elle voulait ? Elle voulait le pouvoir pour diriger, gérer l’argent que son mari a laissé. Sauf qu’elle ne peut pas, parce que le mouridisme c’est un pouvoir patriarcal. Vous savez même chez les Niassène, la fille ainée du fondateur qui s’appelle Marième Niasse et qui est une femme extraordinaire et a été extraordinairement brillante, on lui a appris le coran et tout mais elle ne sera jamais Serigne.