Conformément au pacte de convergence qu’ils ont signé, les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) sont tenus d’asseoir leur stabilité macroéconomique, notamment en ne s’endettant pas à plus de 70% de leur Produit intérieur brut et en ne dépassant la barre des 3% de leur Pib pour ce qui est du déficit budgétaire. Présidant, à Diamniadio, la Conférence internationale sur le développement durable et la dette soutenable, Macky Sall a préconisé de sortir d’un tel paradigme afin de mobiliser davantage d’investissements pour le développement. D’autant plus que les chiffres démontrent qu’en matière d’endettement, l’Afrique ne fait pas figure de mauvais élève avec une dette globale égale à 55% de son Pib, là où la moyenne mondiale est à 225% du Produit intérieur brut. Fort de ce constat, Macky Sall déplore les préjugés négatifs qui affectent le continent et invite le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale (Bm) à inverser la donne.

Macky Sall : «Il ne s’agit pas d’engager un endettement non contrôlé»

«C’est une problématique qui est sur la table. Évidemment, ce débat n’est pas un procès contre les partenaires – qu’on s’entende bien – nous devons discuter de choses qui nous concernent tous, et c’est à l’issue de la confrontation de ces idées que nous arriverons à des conclusions qui pourront nous permettre d’avancer ensemble. Est-il équitable et pertinent, s’agissant des critères de convergence, d’appliquer les mêmes critères pour les pays en développement, où tout ou presque est à réaliser, que les pays développés ayant déjà terminé leur processus d’accumulation de capital. C’est une question pertinente. Est-ce que les pays de l’Uemoa doivent avoir les mêmes critères que ceux de l’Union européenne ? C’est une bonne question. Est-ce que les plafonds d’endettement tels qu’ils ont été fixés jusque-là, en particulier à l’Uemoa sont pertinents aujourd’hui ? Il ne s’agit pas d’engager une aventure vers un endettement non contrôlé, mais il s’agit de défaire les chaînes qui nous empêchent de décoller économiquement lorsqu’on a l’ambition de porter des projets novateurs pour nos pays», préconise Macky Sall. Il fait du reste, le distinguo entre la bonne dette utilisée pour l’investissement productif et la mauvaise dette utilisée pour le fonctionnement.

Patrice Talon : «Les institutions multilatérales ne nous aident pas»

 Abondant dans même sens, Patrice Talon déplore les taux d’intérêt élevés appliqués par les bailleurs dès qu’il s’agit de financer le développement en Afrique. D’ailleurs, le président du Bénin prête une attention particulière au financement de la paix et de la sécurité et à la stabilité de la monnaie censée remplacer le Cfa. «Je voudrais m’adresser à la directrice du Fmi pour lui dire que nous faisons de l’exhortation pour une bonne perception du risque en Afrique, mais les institutions multilatérales ne nous aident pas dans ce domaine et font seulement des discours (…). Aujourd’hui, l’argent est disponible en excès et nous sommes théoriquement en mesure de mobiliser cet argent à sa valeur réelle de loyer s’il n’y avait pas une si mauvaise perception du risque. Cette perception fait qu’on ne peut pas emprunter à long terme, aujourd’hui le maximum qu’on peut obtenir c’est 10 à 12 ans avec peut-être trois ans de différé de construction, et dans le meilleur des cas, nous allons à 15 ans», assure Patrice Talon.

Alassane Ouattara : «Les États doivent s’en tenir aux critères de convergence»

Si elles ont accueilli un écho largement favorable dans la salle ovale du Centre internationale de conférence Abdou Diouf, ces recommandations n’ont pas eu l’onction d’Alassane Ouattara, Président de la Côte d’Ivoire et actuel président en exercice de l’Uemoa. Selon lui, même s’il faut de la souplesse, les États membres de l’Uemoa doivent s’en tenir aux critères de convergence dont ils sont signataires. Il plaide, en parallèle, en faveur d’une baisse notable des taux d’intérêt. «Peut-être que vous direz que c’est l’ancien directeur général adjoint du Fmi qui le dit, mais pour traiter la question de la dette il faut que les emprunts que nous contractons aient deux caractéristiques. La première chose c’est qu’il faut que ces emprunts soient concessionnels pour que les taux d’intérêt ne grèvent pas les ressources budgétaires. Deuxième chose c’est qu’il faut que les projets soient productifs. Évidemment, tous les projets ne sont pas productifs immédiatement et nous avons aussi des dépenses au titre de la sécurité, et ces dépenses là il faut bien les financer. La question de lier la soutenabilité de la dette au déficit budgétaire, à mon sens, c’est quelque chose de très appropriée. Ces dépenses nous devons les faire. Nous devons essayer aussi de rester dans ces critères de 3% du déficit sur le Pib, mais il faut de la souplesse parce que certaines dépenses qui n’ont pas un effet productif sont toutefois indispensables. La dette est une nécessité de mon point de vue, nous les pays africains ne devons pas avoir peur de nous endetter, c’est vrai, mais à condition de le faire de manière raisonnable ; il faut que la dette soit saine au plan des projets, que ce soit également une dette concessionnelle et aussi une dette qui peut être remboursée par nos recettes propres d’abord, plutôt que d’aller s’endetter pour payer la dette qui a été engagée intérieurement», plaide Alassane Ouattara.

Mahamadou Issoufou : «Il faut veiller aux équilibres macroéconomiques»  

Dans le même ordre d’idées, le président du Niger appelle à respecter, malgré le caractère incontournable de l’endettement, les critères de convergence et les équilibres macroéconomiques, en perspective de l’avènement d’une nouvelle monnaie unique dans l’espace communautaire. «Pour investir il faut certes mobiliser des ressources internes, mais il faut s’endetter. Il y a un équilibre à trouver cela a été dit, il faut que les investissements se poursuivent, il faut que la dette soit soutenable, mais il faut qu’on veille aux équilibres macroéconomiques ; c’est extrêmement important, bien sûr, surtout quand on voit ce qui s’est passé dans des pays comme des pays asiatiques où des stratégies ont été mises en œuvre qui ont permis de réaliser des taux de croissance importants qui ont permis de s’endetter tout en faisant en sorte que la stabilité macroéconomique soit consolidée (…). Nous sommes déterminés au niveau de l’Uemoa de consolider cette stabilité macroéconomique parce que nous avons en perspective la monnaie unique de la Cedeao. Pour faire cette monnaie unique il nous faudra converger tous, et en particulier maîtriser l’inflation et maîtriser le déficit», indique le Président Issoufou.