• Mbacké Niang, Chercheur de bien-être
Mbacké Niang, 65 ans, occupe une place singulière dans le petit monde sénégalais de l’architecture. Outre sa casquette d’architecte, il revêt aussi le costume d’enseignant-chercheur et de consultant international. Diplômé de l’École spéciale d’architecture, à Paris (en 1980), il compte à son actif nombre de réalisations à usages divers (habitations, bureaux, commerces, industries, lieux de culte, etc.). Il a notamment conçu l’aménagement des allées Cheikhna Cheikh Sidaty Aïdara de « Niary Tally », dans la commune du Grand-Dakar, la pépinière agroalimentaire de la technopole de la capitale, ou encore l’extension de la célèbre grande mosquée de la cité religieuse Touba. Ses recherches lui ont permis de développer divers matériaux et techniques de construction, aujourd’hui brevetés (série de claustras MBN, parpaings ondulés, briques autobloquantes, système d’assemblage à pinces et enfourchements, châssis ouvrant flexible pour porte et fenêtre, etc.). Attentif au concept de « parallélisme asymétrique » en son temps théorisé par le président Senghor et qui devait servir de référentiel fondateur aux nouveaux arts sénégalais (architecture, peinture, sculpture et danse), Mbacké Niang a d’ailleurs consacré son mémoire de diplôme d’architecte au triptyque symétrie-asymétrie-dissymétrie. « J’ai voulu apporter ma contribution à la clarification de cette problématique », dit-il. Aujourd’hui, l’architecte-conseil de la ville de Dakar prolonge cette réflexion à sa manière dans son travail quotidien. « Je m’inspire, d’une part, de l’évolution de la typologie de l’habitat du Sénégal – traditionnelle, coloniale, puis moderne par exemple –, et, d’autre part, de l’évaluation du bien-être des populations en adéquation avec les enjeux et défis de la transition écologique et culturelle », explique-t-il. La réussite de Diamniadio passera par « le “coulage” et la synergie entre la ville nouvelle de Diamniadio et la vieille ville de Dakar, selon le principe des “3R”: le recentrage structurel, le redéploiement territorial et la redistribution des ressources », préconise le président de la commission Innovation, Normalisation et Formation du programme quinquennal de construction de 100 000 logements du gouvernement.
• Massa Diodio Touré, Avec et sans états d’âme
Il est le principal concepteur des plans de la majestueuse mosquée Massalikoul Jinaane (« les chemins du paradis », en arabe) de la confrérie mouride, inaugurée lors de la grande prière du vendredi 27 septembre, dans le quartier de Colobane, à Dakar. L’histoire commence un jour de février 2005. « Le président Wade, en déplacement à Touba pour rendre visite au khalife général des Mourides, Serigne Saliou Mbacké [disparu fin 2007], est passé devant une mosquée en construction dans un style turc qui l’a beaucoup séduit. Il a alors pensé que c’était l’œuvre de Chinois. Ayant appris par la suite que j’en étais le concepteur, il me fit appeler sur-le-champ et me fit venir au palais de la République le lendemain matin. Là, il me demanda de me rendre au Maroc pour rencontrer les architectes marocains [qu’il avait mandatés] en me disant : s’ils n’ont encore rien fait, reviens vite me faire ma mosquée ! », se souvient Maïssa Diodio Touré. Le Khalife Serigne Saliou Mbacké lui donna alors ses directives sur le programme : le nombre de minarets, la dimension de l’ouvrage, etc. Selon le guide religieux, une mosquée doit refléter la grandeur de la ville où elle est implantée. « Je devais donc faire en sorte que Massalikoul Djinane reflétât l’importance de Dakar. » À l’issue de moult voyages d’études, de sept ans de travaux et de quelque 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) d’investissement, le résultat est là, impressionnant. Doté de cinq minarets, dont le plus haut culmine à 75 mètres, l’édifice peut accueillir 30 000 fidèles et est l’un des plus grands du genre en Afrique de l’Ouest. Architecte diplômé de la défunte École d’architecture et d’urbanisme (EAU) de Dakar, promotion 1987, Maissa Diodio Touré est fier de sa réalisation, tout comme de ses trente et un ans de carrière. « Je fais partie des pionniers qui ont été formés à partir du terreau national », dit-il. L’un de ses plus grands regrets est d’ailleurs la fermeture de l’EAU, en 1991, par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Djibo Leyti Kâ, « pour de simples raisons budgétaires ». Pourtant, la prestigieuse institution accueillait des étudiants de toute la sous-région. « Depuis, nos métiers sont pauvres en techniciens supérieurs de qualité », déplore le patron de MDT Architecture SARL, qui s’inquiète également de l’avenir des cabinets locaux, pour lesquels il est difficile de participer aux grands projets nationaux. « Les partenariats public-privé les feront disparaître à coup sûr, car rares sont ceux qui sont capables de s’allier à un partenaire chinois ou turc. » Pourtant, Maissa Diodio Touré continue de promouvoir l’idée du poète-président Senghor d’une « nouvelle architecture sénégalaise », à la fois enracinée dans les valeurs culturelles locales et ouverte au monde. « Il faut nous inspirer des constructions bédiks, des cases à impluvium, tout en nous réclamant, sans aucun état d’âme, de l’architecture moderne. »
• Alioune Sow, Inspiré et inspirant
Il vient de remporter le prix Aga-Kahn 2019 d’architecture pour sa participation au projet d’extension de l’université Alioune Diop de Bambey, dans le centre du pays (région de Diourbel). Le concept novateur du projet auquel il a participé en tant que consultant local de la société espagnole Idom repose sur la symbiose entre architecture bioclimatique et développement durable. Peu avant, il a réalisé une mission de contrôle auprès du groupe ivoirien Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) dans le projet de réhabilitation et d’extension du bâtiment administratif Mamadou-Dia, siège du gouvernement sénégalais, inauguré en janvier de cette année. Alioune Sow, qui a fondé en 1995 le Cabinet d’architecture Alioune Sow (CAAS) qui porte son nom (CAAS), fait partie de la deuxième génération d’architectes sénégalais, pour la plupart formés au sein de la défunte École d’architecture et d’urbanisme de Dakar (EAU), dans les pas de Cheikh Ngom, Pierre Goudiaby Atepa, Moussa Fall et Armand Agbogba. « Nous leur devons beaucoup, ils ont inspiré et encadré plusieurs générations de professionnels déjà, insiste Alioune Sow. Grâce à eux, nos paysages urbains se sont enrichis des premières œuvres d’envergure d’architectes sénégalais. » Par exemple, la fameuse tour de la BCEAO, à Dakar, conçue par Cheikh Ngom et Pierre Goudiaby Atepa. Désormais, nombre de bâtiments scolaires et administratifs de la capitale sont nés des dessins du CAAS : le siège de l’Office de forages ruraux à Diamniadio, le tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye, la résidence Palazzio Suit sur l’avenue Cheikh-Anta-Diop ou encore l’immeuble du City Sport, avenue Georges Pompidou. Alioune Sow estime que son cabinet a aujourd’hui trouvé un second souffle avec l’arrivée de jeunes collaborateurs, dont son fils Oumar et son épouse Fanta. Comme Maissa Touré, il plaide pour une meilleure implication des cabinets locaux et, surtout, des jeunes architectes sénégalais dans les grands projets nationaux publics. Il sait de quoi il parle, lui qui a eu la chance à ses débuts – « alors [qu’ils n’étaient] même pas encore structurés en cabinet ! » – de remporter, avec deux autres confrères, le concours pour la réalisation de l’École supérieure multinationale des télécommunications, à Dakar. Selon lui, le développement de la métropole dakaroise va dans le bon sens avec la construction de la ville nouvelle de Diamniadio, même s’il juge qu’il reste des choses à revoir, « notamment pour permettre d’aller beaucoup plus haut dans la construction d’immeubles ».