La France fera-t-elle mieux au Sahel que les Etats-Unis en Afghanistan ? Au moment où le doute monte sur la stratégie sahélienne de la France et qu’Emmanuel Macron vient de reprogrammer pour le 13 janvier le sommet prévu à Pau avec ses collègues du Sahel, les documents internes de l’administration américaine récemment publiés par le Washington Post prennent valeur d’avertissement. Ils détaillent cruellement le décalage entre l’optimisme des déclarations publiques américaines et les doutes des responsables politiques. « Nous ne savions pas ce que nous faisions », avoue Doug Lute, le général qui coordonnait la guerre à la Maison Blanche. Devra-on publier dans dix ans des documents similaires sur la campagne française au Sahel ?

Repenser profondément la réponse militaire

La France a le handicap de ne pas avoir, et de loin, les moyens dont disposent les Etats-Unis, mais elle a l’avantage de pouvoir tirer les leçons de l’échec américain. Elle ne doit pas reproduire, avec dix ans de retard, les erreurs de la « guerre contre la terreur » menée en Afghanistan. Mais elle ne peut, sans prendre de graves risques pour sa sécurité, tolérer que des mouvements terroristes, exploitant l’incapacité d’un Etat à contrôler son territoire, y installent leurs bases-arrières pour y préparer des attentats. Il est donc urgent de repenser la stratégie sahélienne. Le dilemme que la France doit résoudre est le même qui hante les Américains depuis 2001 : il n’y a pas de victoire stratégique possible sans transformation en profondeur des Etats concernés, trop faibles pour lutter contre le terrorisme, et dont les forces resteront inefficaces tant qu’elles combattent pour des Etats dans lesquels elles n’ont pas confiance. Une partie essentielle de la réponse est la construction avec les Etats de la région et le soutien de l’Union européenne d’un vrai plan de développement pour le Sahel. L’Alliance Sahel, impulsée par l’Agence française de développement, a un rôle clef à jouer dans cet effort. Mais la réponse militaire doit elle aussi être repensée.

Se substituer aux efforts nationaux défaillants

Le G5 Sahel, qui regroupe les Etats de la région, ne tient pas ses promesses, notamment parce qu’une addition de faiblesses ne fait pas une force. La réponse de la communauté internationale a été de se substituer aux efforts nationaux défaillants. Mais le rôle de substitution que jouent les forces étrangères est doublement problématique : il démobilise les autorités nationales, à qui il fournit un alibi commode, et il alimente des accusations de néocolonialisme, y compris pour l’ONU, dont la mission de maintien de la paix déployée au Mali est de plus en plus critiquée et nuit à sa crédibilité. Le départ de la mission pourrait précipiter le chaos, mais son maintien ne produit que des résultats modestes, au prix de lourdes pertes. Pour sortir du choix impossible entre appui extérieur déresponsabilisant et réponses nationales trop faibles, il faudrait que forces internationales et nationales travaillent en véritable symbiose et que les acteurs extérieurs à la région, notamment la France et l’ONU, proposent un vrai partenariat militaire dans la lutte contre le terrorisme. C’est aux forces nationales des pays menacés de fournir l’essentiel de l’effort. Mais ces forces ont besoin d’être soutenues plus efficacement et plus directement qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Contribution utile de l’ONU

On peut par exemple imaginer que des unités sahéliennes, correctement équipées, bénéficient du soutien logistique, voire dans certains cas de l’encadrement d’officiers aguerris, provenant d’armées expérimentées. Au Sahel, certains ont proposé que des officiers français prennent directement le commandement d’unités maliennes ou burkinabées. Ce n’est pas une formule politiquement acceptable. Mais des variantes de cette formule devraient être explorées, notamment sous le drapeau des Nations unies, en liaison avec l’Union africaine. En fournissant le cadre politique où se combinent forces nationales et soutien international, l’ONU pourrait apporter une contribution utile à la lutte contre le terrorisme. C’est dans ce rôle politique, et non en demandant aux casques bleus de devenir une force contre-terroriste, que l’ONU peut retrouver une légitimité dans la priorité internationale qu’est la lutte contre le terrorisme. Ce combat intéresse directement la France. Membre permanent du Conseil de sécurité, elle devrait encourager l’ONU à inventer de nouvelles formules pour traduire dans la réalité opérationnelle la solidarité de destin qui unit les pays du Sahel et l’Europe dans la lutte contre le terrorisme.

Jean-Marie Guéhenno est ancien Secrétaire général adjoint en charge des opérations de maintien de la paix et membre du Conseil de haut niveau pour la médiation du Secrétaire général de l’ONU.