Un certain nombre de champions de la lutte sénégalaise cède à l’attrait des nouveaux arts martiaux mixtes, sport de combat ultra-violent où (presque) tous les coups sont permis.
Les promoteurs des arts martiaux mixtes (mixed martial arts, ou MMA en anglais), prisés au départ aux Etats-Unis et désormais dans de nombreux pays, misent sur des champions venus de la lutte traditionnelle africaine pour lancer leur lucrative industrie au Sénégal et dans le reste du continent. Attirés notamment par des gains substantiels, un certain nombre de ces lutteurs se sont déjà laissés tenter.
« Le MMA est un sport où tous les coups sont permis, les coups de pied, de poing, de genou, de coude. Il est aussi autorisé de frapper l’adversaire au sol ou encore d’effectuer des clés de bras (…). C’est un mélange de plusieurs sports de combat comme le judo, le karaté, la boxe thaïlandaise et la lutte. Les combattants évoluent dans une ‘cage’, en forme d’octogone », explique le site de France Bleu. D’où son nom de « sport extrême »… Le secteur brasse des milliards de dollars abondés par des audiences de millions de téléspectateurs à travers le monde. A partir du 1er janvier 2020, la discipline, jusque-là interdite en France, devrait y être autorisée.
« Talentueux combattants africains »
La société Ares Fighting Championship, fondée en 2019 par Vivendi Sports (groupe Vivendi) et qui se veut « la première ligue afro-européenne » de la discipline, a organisé le 14 décembre une douzaine de combats sur le parvis du Musée des civilisations noires à Dakar, la capitale sénégalaise. But de cette entreprise promotionnelle, retransmise en streaming : être « le premier événement majeur de MMA » sur le continent. Ares entendait ainsi, selon son site, « proposer aux talentueux combattants africains l’opportunité d’affronter les meilleurs combattants du monde entier ».
A l’affiche, notamment, lors de la manifestation dakaroise : le colosse Reug-Reug, alias Oumar Kane, ou le rugbyman Moussa Togola… Les deux hommes se sont faits connaître avec la lutte traditionnelle sénégalaise, sport national avec le football, qui plonge ses racines dans les exercices… de préparation à la guerre.
Les lutteurs traditionnels sénégalais s’affrontent mains et torse nus, en pagne, dans des stades pleins et devant les caméras retransmettant les combats en direct. Ceux menés à même le sable sont imprégnés de pratiques mystiques. Les lutteurs portent des grigris et sont enduits de liquides présentés comme magiques. Les coups sont autorisés (« lutte avec frappe »), ou non. Les vainqueurs peuvent gagner des centaines de milliers d’euros dans un pays où 40% des habitants sont pauvres, selon la Banque mondiale.
« Il y a beaucoup de potentiel en Afrique » pour les MMA
Problème : les combats de lutte avec frappe se raréfient. Car les cachets élevés et les violences dans les stades dissuadent les promoteurs de ces combats, expliquent les spécialistes. Dans ce contexte, les MMA peuvent être une aubaine pour les amateurs. Pour les organisateurs en retour, c’est le moyen de développer leur sport sur le continent. Et de dénicher de futures stars.
« Il y a beaucoup de potentiel en Afrique », raconte à l’AFP le promoteur et entraîneur Fernand Lopez. Le Sénégal est une mine aux capacités sous-exploitées, renchérit le Français Ghislain Brick, détecteur de talents et de contrats. « Il n’y a qu’à voir les plages le soir », dit-il en faisant référence au spectacle des dizaines de lutteurs qui s’entraînent quotidiennement au bord de l’Atlantique à Dakar.
Américains, Brésiliens, Russes ou Irlandais dominent les MMA. Mais les Africains se font de plus en plus visibles. Francis Ngannou, né au Cameroun, entraîné par Fernand Lopez et surnommé The Predator (le prédateur) dans le secteur, est deuxième challenger dans la catégorie poids lourds du Ultimate Fighting Championship (UFC), la plus importante société de promotion aux Etats-Unis. Israel Adesanya, du Nigeria, s’est lui aussi fait un nom.
Bombardier B52
« Le Sénégal a la capacité de produire de vrais champions », affirme Lea Buet, judoka française, naturalisée sénégalaise, qui a organisé des combats MMA pour des lutteurs du pays. Une expérience tentée par le champion Serigne Ousmane Dia, connu aussi sous les surnoms de Bombardier ou B52, colosse de 1,96 m et de 160 kg. « Son principal atout, c’est le mental. Il n’a peur de rien, il ne stresse jamais. Il est également très puissant, il pèse certes 160 kilos, mais c’est tout en muscles et il sait encaisser », disait de lui en 2018 son entraîneur, le Français Luc Estienne, cité par RFI. B52 « est passé d’un cachet de 90 euros pour son premier combat à près de 160 000 euros pour sa confrontation contre l’ex-Roi Balla Gaye 2 » en 2014, rapporte RFI. Combat qu’il a gagné.
Résultat : l’attraction exercée par les arts martiaux mixtes suscite des inquiétudes pour l’avenir de la lutte proprement dite. Les lutteurs sénégalais peuvent bien gagner leur vie. Mais leurs revenus souffrent de la comparaison avec les millions de dollars que peut toucher un champion de MMA.
Fernand Lopez se veut rassurant, la popularité des arts martiaux mixtes va rejaillir sur la lutte en « apportant des emplois et plus de visibilité », dit-il.
Les arts martiaux mixtes sont encore peu connus au Sénégal. Mais ils intéressent de plus en plus de jeunes, confirme Moustapha Diop, directeur en Afrique de l’Ouest de LionHeart Initiative-MMA For Africa. Cette organisation à but non lucratif entend « créer des opportunités pour les athlètes africains à travers des programmes d’arts martiaux durables (sustainable martial arts, NDLR) alimentés par des bénévoles ».