Si la hausse des prix de l’électricité a été aussi vigoureusement récusée, c’est parce qu’elle était, pour dire le moins, inattendue par les populations. En effet, ces dernières années le gouvernement s’est beaucoup targué d’avoir remis la Senelec, longtemps dans les ténèbres, sur les rails, et d’avoir mis fin aux délestages qui, des années durant, furent un véritable calvaire pour les populations. Pour rendre le gâteau encore plus appétissant, une baisse des tarifs de 10% est décidée le 01/05/2017 par le gouvernement. Comme beaucoup de sénégalais je fus très surpris tant les exploits de Mouhamadou Makhtar Cissé à la tête de la Senelec ont été chantés. Ma curiosité m’a alors poussé à m’intéresser de plus près à la question. De mes recherches, il ressort que cette hausse ne remet en cause ni la bonne santé financière de la Senelec, ni les résultats de Mouhamadou Makhtar Cissé, et que la baisse de 10% intervenue en 2017 était d’un point de vue économique injustifiée.
Le fonctionnement de la Senelec
Une situation financière solide de la Senelec n’est pas incompatible avec une hausse des prix de l’électricité car la Senelec ne résonne pas en termes de bénéfices mais en termes de revenus. Hormis les consommateurs, trois acteurs majeurs interviennent dans le secteur de l’électricité. Il y a l’Etat du Sénégal et la Senelec qui sont liés par un contrat de concession. Entre les deux, il y a la commission de régulation du secteur de l’électricité (CRSE) instituée par la loi 98-29 du 14 Avril 1998, qui joue le rôle de régulateur et dont l’une des missions est de veiller à la préservation des intérêts des consommateurs et d’assurer la protection de leurs droits pour ce qui concerne le prix, la fourniture et la qualité de l’énergie électrique.
Ainsi, chaque année, la commission fixe à la Senelec un revenu maximum à atteindre (RMA) dans l’année mais à ne pas dépasser, c’est-à-dire le montant des recettes que la Senelec doit faire dans l’année. Ce revenu est calculé de façon à garantir la viabilité économique et financière de la Senelec tout en préservant les intérêts des consommateurs. Il prend en compte plusieurs facteurs comme les investissements que la Senelec compte réaliser dans l’année, l’évolution des prix à la consommation, l’évolution des prix des combustibles, etc.
A côté de ce revenu à atteindre qui lui est fixé par la commission, la Senelec estime les recettes qu’elle va faire dans l’année si les tarifs en vigueur sont maintenus. Si les recettes estimées sont inférieures au revenu maximum à atteindre, l’article 36 du contrat de concession autorise la Senelec, sous certaines conditions, à demander une augmentation des tarifs, même si elle projette un résultat (bénéfice) positif. Cette augmentation doit être validée par la commission. Les nouveaux tarifs seront ceux qui vont permettre à la Senelec d’atteindre le revenu maximum autorisé. Si par le biais de la commission, le gouvernement s’oppose à l’augmentation des tarifs, il devra verser à la Senelec une compensation financière correspondant au manque à gagner. En revanche, si les recettes estimées sont supérieures au RMA, une baisse des tarifs est à envisager ou alors le trop-perçu est à déduire du revenu de l’année suivante.
Depuis le 1er Janvier 2017, les tarifs en vigueur n’ont pas permis à la Senelec d’atteindre son revenu. En d’autres termes, depuis le 1er Janvier 2017, les sénégalais n’ont pas payé le plein tarif de l’électricité. A titre d’exemple le revenu maximum autorisé de la Senelec en 2017 est de 407 milliards 407 millions de F CFA, les recettes réalisées sont de 338 milliards 986 millions de FCFA et le manque à gagner est de 68 milliards 421 millions de F CFA. Le gouvernement du Sénégal a versé à la Senelec 57 milliards 215 millions de F CFA en guise de compensation. Les 11 milliards 205 millions de F CFA restant ont été ajoutés au revenu autorisé de 2018.
La hausse des prix
En 2019, la commission a calculé un revenu maximum à atteindre par la Senelec de 487 milliards 974 millions de F CFA pour des recettes estimées à 386 milliards 238 millions de F CFA. Il en résulte un manque à gagner de 101 milliards 736 millions de F CFA sur l’année. Le gouvernement a versé une compensation financière d’environ 89 milliards de F CFA au titre des premier, deuxième et troisième trimestre. Le manque à gagner imputable au quatrième trimestre est évalué à 12 milliards 191 millions de F CFA. La Senelec a demandé que ce montant soit comblé par un ajustement tarifaire ou par une compensation du gouvernement. En date du 15 Novembre 2019, le gouvernement a signifié à la commission qu’il prenait en charge 9 milliards 720 millions de F CFA et qu’il répercutait 2 milliards 462 millions de F CFA sur les consommateurs, ce qui correspond à un ajustement tarifaire de +10% pour les clients basse tension exceptée la 1ère tranche et de +6% pour les clients haute et moyenne tension. Cette hausse résulte donc du refus du gouvernement de combler intégralement le manque à gagner.
La baisse de 2017
Lors de son discours à la nation prononcé le 31/12/2016, le Président de la république Macky SALL a annoncé une baisse de 10% des tarifs de l’électricité. Même si les recettes enregistrées par la Senelec en 2016 étaient supérieures au revenu autorisé en 2016, les tarifs en vigueur au 1er Janvier 2017 ne permettaient pas à priori à la Senelec d’atteindre son revenu autorisé en 2017. En effet, les calculs au 1er Janvier 2017 projetaient un manque à gagner de 21 milliards 354 millions de F CFA. Plutôt qu’une baisse des tarifs, il fallait s’attendre à une hausse. La baisse de 10% était donc d’un point de vue économique injustifiée. D’aucuns pensent qu’il s’agissait d’une baisse électoraliste. Le gouvernement aurait dû maintenir les tarifs à leur niveau et compenser le manque à gagner d’alors et ceux à venir. Cela d’autant plus que le cours du pétrole repartait à la hausse et que cela présageait d’un manque à gagner de plus en plus élevé. En d’autres termes, il vaut mieux maintenir durablement les tarifs à leur niveau que de les baisser pour les augmenter deux ans plus tard.
Mouhamadou Makhtar Cissé
Nous avons vu que même si la Senelec projette un résultat positif (bénéfice), tant que son revenu n’est pas atteint, une augmentation des tarifs n’est pas à exclure. Par conséquent, l’augmentation entrée en vigueur le 1er Décembre 2019 ne remet pas en cause la thèse selon laquelle l’actuel Ministre du pétrole et des énergies a donné à la Senelec un souffle nouveau. À la lecture du rapport annuel 2017 de la Senelec, on s’aperçoit que Mouhamadou Makhtar Cissé a effectivement redoré le blason de la Senelec. D’une puissance installée de 886 mégawatts en 2015 la Senelec est passée à 1024 mégawatts en 2017. D’un résultat de 12 milliards de F CFA en 2015, elle est passée à 36 milliards de F CFA en 2017, soit une augmentation de 200% contre une augmentation de 30,22% du chiffre d’affaire.
L’augmentation annuelle des salaires est une nécessité
A la lecture des documents mis à la disposition du public par la CRSE, on remarque que depuis 2015 le revenu autorisé de la Senelec ne cesse d’augmenter d’année en année, ce qui devrait logiquement conduire à une augmentation des tarifs chaque année. Cette augmentation annuelle du revenu autorisé de la Senelec est en partie due à l’inflation (augmentation du niveau général des prix). Pour que les populations puissent supporter l’inflation, il faut que leurs revenus augmentent avec un taux au moins égal au taux d’inflation. Pour le cas de la Senelec, cette analyse est un peu caricaturale puisqu’il y a d’autres facteurs qui influent également sur le revenu autorisé de la Senelec. En tout état de cause, si les salaires restent au même niveau alors que le taux d’inflation est positif, il en résulte une baisse de pouvoir d’achat pour les populations qui n’arriveront donc pas à supporter l’augmentation des prix, tous secteurs confondus, en particulier ceux de l’électricité.
Une interrogation demeure…
Une problématique importante qui n’est pas abordée dans cet article est : pourquoi le revenu autorisé de la Senelec est passé de 325 milliards 915 millions de F CFA en Décembre 2016 à un montant estimé à 487 milliards 974 de F CFA au 1er Octobre 2019. Difficile de répondre à cette question sans avoir accès aux détails du calcul effectué par la Senelec et certifié par la CRSE. Même si le cours du pétrole a globalement une tendance à la hausse depuis Décembre 2016, la vitesse de croissance du RMA est tout de même assez vertigineuse.