Mercredi, le gouvernement russe a démissionné. Dmitri Medvedev a quitté la première ligne politique, Vladimir Poutine a confirmé qu’il quittera la présidence à la fin de son mandat actuel, et Mikhail Mishustin est devenu le nouveau Premier ministre russe.

«L’agent du fisc du futur»

Comme Van Morrison l’a chanté jadis, il y aura des jours comme celui-ci. Et on n’est que le 15 janvier. Une semaine après que les Russes ont célébré le Noël orthodoxe, et quinze jours après le Nouvel An, il n’a pas fallu longtemps pour que les affaires sérieuses reprennent. Au matin, Mishustin était tellement inconnu en dehors de la Russie qu’il n’avait même pas de page Wikipédia en anglais. Et son profil à l’intérieur du pays était mineur, au-delà du monde des responsabilités politiques et administratives. Mais, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un gestionnaire efficace. En tant que chef des services fiscaux russes, il a connu un énorme succès. Les revenus ont augmenté d’environ 20% sous sa direction malgré une augmentation de 2% seulement de la charge fiscale. En effet, l’année dernière seulement, le Financial Times l’a surnommé «l’agent du fisc du futur» pour son rôle dans la reconstruction du système de perception des taxes de la Russie, qu’il a transformé en l’un des plus avancés et des plus efficaces au monde. Pas une mince affaire dans un pays où l’évasion fiscale était autrefois une sorte de sport national. Un Moscovite natif, Mishustin, comme Poutine lui-même, est un passionné de hockey. Il a été décrit comme «une figure politique peu connue en Russie… un bureaucrate, quelqu’un de capable de faire le boulot». Mais, le même genre de description aurait pu être appliqué à Poutine lui-même en 1999, et voyez où nous en sommes 21 ans plus tard.

Démanteler le système hyper-présidentiel  

On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Un discours sur l’état de la nation apparemment routinier de Vladimir Poutine s’est transformé de manière inattendue en l’une des après-midis les plus mémorables de l’histoire politique russe récente. Aujourd’hui, le Président a établi la feuille de route pour sa sortie du Kremlin, donnant plus ou moins le coup d’envoi de la marche vers la transition du pouvoir. Il démissionnera en 2024, ou peut-être même plus tôt, et il entend démanteler le système «hyper-présidentiel» qui lui a permis d’exercer un tel contrôle au pouvoir. Cela a été introduit par Boris Eltsine en 1993 avec le soutien américain, après qu’il a utilisé des chars pour tirer sur le Parlement. Poutine prévoit de donner plus de pouvoirs à ce dernier organe, le Premier ministre en particulier jouissant de plus d’autorité. Il souhaite également renforcer le rôle du Conseil d’État. En effet, il finira probablement là-bas lui-même après avoir quitté ses fonctions, dans une sorte de rôle «d’homme d’État doyen». L’organe sera composé de chefs de régions russes et de membres de l’administration présidentielle. Il semble qu’il remplira une fonction consultative. Pour atteindre ces objectifs, Poutine souhaite réduire les pouvoirs présidentiels et introduire une limite de deux mandats. Cela signifierait un maximum de 12 ans au Kremlin ; il y est déjà depuis 16 ans. La vision générale est d’avoir plus de freins et de contrepoids au pouvoir exécutif, avec une présidence plus faible et d’autres branches du gouvernement renforcées.

Si cette règle avait existé en 2000…

Ne vous y trompez pas, l’objectif de Poutine est de préserver le système qu’il a hérité d’Eltsine, puis peaufiné. Malgré tous ses défauts, après une naissance difficile, ce système a donné aux Russes la plus grande liberté et prospérité qu’ils aient jamais connues. Même s’il reste encore beaucoup à faire pour répartir plus équitablement les gains économiques. La place de Poutine dans l’histoire serait alors à peu près la même que celle de Franklin Delano Roosevelt en Amérique, un Président unique à quatre mandats qui a réparé le pays après une catastrophe financière et sociale (dans le cas de la Russie, l’effondrement soviétique et les années 1990 désastreuses). Cela correspond également à ce que les initiés de Moscou soulignent fréquemment : Poutine veut que l’histoire garde un bon souvenir de lui. Un statut dont jouissent relativement peu de dirigeants russes. Une suggestion notable dans ses propositions de révision constitutionnelle est que les futurs présidents doivent avoir résidé en Russie pendant 25 années consécutives avant de prendre leurs fonctions, et ne jamais avoir détenu de passeport ou de permis de séjour étranger. Cela empêcherait une grande partie de l’opposition moscovite pro-occidentale de se présenter. Sans parler d’une grande partie des libéraux russes, dont un grand nombre a vécu à l’étranger à un moment donné. Fait intéressant, si cette règle avait existé en 2000, Vladimir Poutine lui-même n’aurait pas pu devenir Président de la Russie. Il a vécu en Allemagne de 1985 à 1990 (mais au service de l’État).

Ce serait une erreur de rayer Medvedev

Les modifications constitutionnelles proposées seront probablement mises en œuvre après que le peuple aura voté en leur faveur, afin d’assurer un large consensus. Même si elles pourraient être directement adoptées par la Douma. Des rumeurs suggèrent qu’un référendum pourrait avoir lieu en septembre. Poutine a également abordé de nombreuses préoccupations intérieures dans son discours d’aujourd’hui. Il a promis une augmentation des salaires des enseignants et plusieurs mesures visant à favoriser la natalité : davantage de services de garde d’enfants, repas chauds gratuits pour tous les enfants au cours des quatre premières années scolaires (sans aucune considération des revenus, ce pour éviter toute stigmatisation des foyers modestes) et extension des allocations familiales de 36 à 48 mois. Quant à Medvedev, il n’a pas été mis de côté. Au lieu de cela, l’ancien Président a été transféré dans un rôle semi-cérémoniel, mais toujours prestigieux (Secrétaire Général adjoint au Conseil de Sécurité russe), mettant fin à un «tandem» de douze ans où il a gouverné la Russie avec Poutine. Ce serait une erreur de rayer Medvedev de la carte politique, mais il serait surprenant qu’il exerce à nouveau le même poids. Alors qu’ils se serraient la main et que Medvedev quittait le Kremlin pour la dernière fois en tant que Premier ministre, Poutine lui a dit : «Tout n’a pas fonctionné, mais ce n’est jamais le cas nulle part». Néanmoins, Poutine espère que «tout ira bien» pour l’inévitable transition de pouvoir en Russie. Un processus qui a maintenant commencé.