Les autorités sénégalaises continuent d’affirmer ne pas être en capacité d’organiser le rapatriement de leurs ressortissants bloqués en Chine. Deux d’entre eux, contactés par Jeune Afrique et France 24, racontent leur quotidien de reclus.
Le sort de treize étudiants sénégalais actuellement confinés à Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus depuis plus de deux semaines, inquiète beaucoup leurs familles et proches. Pourtant, ces dix (10) garçons et trois (3)sont bien portants. Mais, à force de rester enfermés dans leurs chambres universitaires, leur moral est affecté. C’est ce qu’a confié à France 24, jeudi 6 février, Amar Mbacké, représentant de l’Association des étudiants sénégalais de Chine, à Wuhan, berceau chinois de l’épidémie du coronavirus, mis sous cloche depuis le 22 janvier. « Tout ce qu’on peut faire c’est de rester confinés et d’attendre », raconte le doctorant en relations internationales à l’Université normale centrale de Chine à Wuhan depuis 2 ans. Dans un communiqué, l’association des étudiants sénégalais de Chine a demandé le rapatriement urgent des étudiants de Wuhan qui « vivent dans des conditions très difficiles avec un risque de contagion constant et leur liberté confisquée ». « Ce sentiment d’insécurité et de psychose pèse lourd sur leur tête », indiquait le communiqué émis dimanche.
«Macky Sall ne peut pas déclarer forfait, d’autres pays africains…»
Entre temps, le président sénégalais Macky Sall a répondu par la négative, jugeant « hors de portée » pour son pays le rapatriement de ces étudiants, faute de moyens logistiques pour les acheminer et les accueillir en toute sécurité. « Cela ne nous rassure pas. Un chef d’État est censé chercher des solutions, il ne peut pas dire qu’il déclare forfait », réagit le représentant des étudiants sénégalais de Wuhan. « Contrairement à ce qu’a affirmé le président dans son discours nous savons que des étudiants d’autres pays africains ont été rapatriés », ajoute Amar Mbacké. Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie ont en effet réussi à faire revenir leurs compatriotes bloqués à Wuhan. « Pour ma part, ça va à peu près, mais certains des étudiants sénégalais avec qui je suis en contact régulier commencent vraiment à stresser. Ils sont confus et ont peur de l’inconnu », poursuit Amar Mbacké. « On ne sait pas quand cette épidémie va prendre fin et on a le sentiment de ne pas être informés correctement », confie-t-il.
Masques, gants et coups de fils quotidiens pour se rassurer
Par chance, Amar Mbacké et ses compatriotes sénégalais avaient pris les devants et ont fait des réserves de masques de protection. « J’en ai acheté suffisamment pour les jeter après chaque utilisation, et l’université m’en a fourni par dizaines, ainsi que des thermomètres », rapporte le jeune trentenaire. Grâce à ces équipements, l’étudiant peut sortir faire des courses tous les deux ou trois jours. Dans les supermarchés situés aux alentours de l’université, il n’a pas constaté de pénurie, mais prend des précautions : « J’achète des produits alimentaires de base, mais j’évite d’aller dans des restaurants ou d’acheter des plats préparés, on ne sait jamais ». Tous ses compatriotes n’ont pas la chance d’Amar Mbacké, car certaines universités accueillant des Sénégalais n’autorisent pas les sorties hors du campus. Elles organisent le ravitaillement dans les chambres et les étudiants restent confinés. Seule manière de se rassurer, les étudiants sénégalais s’appellent tous les jours. « Nous sommes en contact permanent entre nous et avec l’ambassade qui nous téléphone au quotidien », raconte le représentant des étudiants à Wuhan.
À mesure que l’épidémie s’étend, la rentrée universitaire repoussée
Pour ce doctorant, il n’est pas question de quitter la Chine une fois l’épidémie du coronavirus éradiquée. « Je ferai tout pour obtenir mon doctorat », dit Amar Mbacké, qui a obtenu une bourse pour venir étudier à Wuhan. Titulaire d’un premier doctorat à Dakar, il a souhaité poursuivre ses études en Chine pour en maitriser la langue, atout majeur au Sénégal, où Pékin représente le deuxième partenaire commercial derrière la France, avec des échanges s’élevant à près de 3 milliards d’euros en 2018. Si l’épidémie de coronavirus représente un risque pour sa santé, elle l’éloigne aussi de son objectif professionnel. Pour le moment, la reprise des cours dans son université a été reportée d’une semaine, mais elle pourrait encore être repoussée, craint le jeune homme. À mesure que l’épidémie s’étend, d’autres étudiants sénégalais pourraient être concernés par les mesures de confinement, notamment à Shanghai, où vivent une quarantaine d’entre eux. En Chine, plus de 28 000 personnes sont désormais atteintes du coronavirus et 563 personnes en sont mortes tandis qu’un nombre croissant de villes imposent aux habitants des mesures drastiques de confinement.
MOUSSA : «TOUT CE QUE JE DEMANDE, C’EST RENTRER»
Voilà quatre jours que Moussa* est calfeutré dans sa chambre d’étudiant, sur le campus de l’Université de technologie de Wuhan, où il étudie l’informatique depuis septembre 2019. Comme ses douze autres camarades sénégalais -trois filles et neuf garçons- il vit reclus, selon les règles mise en place dans la métropole chinoise, placée sous quarantaine depuis le 23 janvier. La capitale de la province de Hubei, où les étudiants sont légions, est l’épicentre de l’épidémie de coronavirus, dont le nombre de cas explose en Chine, avec à ce jour plus de 28 000 contamination et 563 morts.Les instants de liberté de l’étudiant de 25 ans se résument à quelques instants passés sur son balcon, au deuxième étage du dortoir, où il sort, masque noir sur la bouche, pour se faire à manger, «afin d’éviter les cuisines publiques de l’établissement».
«Aussi peu souvent que possible», il se rend également, à en croire Jeune Afrique, dans les rares supermarchés de la ville encore ouverts, à 20 minutes à pieds du campus, «pour faire des provisions». Empêché de rentrer par ses propres moyens depuis la mise en quarantaine, assortie l’arrêt de tous les moyens de transports, la seule chance de Moussa de rentrer au Sénégal est un rapatriement organisé par l’État. Alors lorsque Macky Sall a déclaré ce lundi que le Sénégal n’avait «pas les moyens de rapatrier ses compatriotes», Moussa et ses camarades n’ont «pas compris». Tuant le temps devant des films d’action et des retransmissions de matchs de foot, il espère quitter «aussi vite que possible» cette province cadenassée où «il a tout le temps peur de tomber malade» et pourvoir rentrer chez lui, à Dakar, le plus tôt possible.
* Nom d’emprunt