« Quand je chante, je ne suis pas musulmane, ni catholique, ni animiste. Je suis juste une femme qui fait du rap. » À 27 ans, Mina la voilée s’est imposée comme une artiste incontournable du hip-hop « galsen » (verlan de « Sénégal »). Une bataille durement menée pour celle qui cumule deux « stigmates » : femme et voilée.

Le rap et le voile, « ça colle pas ensemble »

Pour Mina, le rap a toujours été synonyme de résistance. Elle tombe dedans en 2012, alors que le Sénégal est en proie à une fronde populaire depuis plusieurs mois. La rue s’oppose à la candidature d’Abdulaye Wade à la présidentielle et les rappeurs sont en première ligne de la contestation. Alors que leur lycée du quartier de Parcelles, à Dakar, est tout le temps en grève, Mina et sa bande s’infusent des sons des rappeurs Keur Gui, Fou Malade ou 5kiem Underground, chefs de file du collectif « Y’en a marre », mouvement d’opposition qui porte les revendications de la jeunesse dans la rue. « L’école était tout le temps fermée et avec mes copains, on redoutait une année blanche », raconte Mina à France 24 (une année scolaire est considérée comme blanche quand il y a plus de jours de grèves que de jours de cours, entraînant l’annulation des examens). « Le collectif de rap du lycée a sorti une chanson pour dénoncer la situation. Ils m’ont invitée à chanter. » Seule fille du groupe, elle impose son flow percutant. Mais Mina porte le voile : « Le collectif trouvait que le rap et le voile, ça collait pas ensemble. Alors ils m’ont demandé de l’enlever ». Ce qu’elle fait. Elle tourne son premier clip à tête découverte et fait une entorse à sa pratique religieuse pendant plus d’un an, concession indispensable pour se faire sa place dans le milieu. « Je n’étais pas très à l’aise mais mon envie de rapper était plus forte », explique Mina.

Artiste « en cachette »

Elle doit aussi surmonter les pressions familiales. Mina a grandi dans une famille qu’elle qualifie de « conservatrice », et son père ne voit pas d’un bon œil ses velléités artistiques. « Chez moi, on doit se lever tôt, travailler et se coucher tôt. Je n’avais pas le droit de sortir le soir », nous raconte la jeune femme. Elle se entame des études de communication, mais sa passion ne la lâche pas. « Je séchais les cours pour faire du free style et avec la complicité de ma mère, j’arrivais à aller à quelques concerts. Pendant quatre ans, j’ai vécu ma vie artistique en cachette », se souvient-elle. Puis en 2016, elle se décide de s’imposer : elle arrête ses études, enregistre un premier titre et assume le port du voile. Son premier single « Sale Rap Malékoum », écrit en wolof, est un cri de colère. « J’y dénonce le rap qui favorise le business plutôt que l’engagement, celui qui ne montre que des filles nues, qui ne m’accepte pas. Je dénonce ceux qui veulent me dicter ma conduite, mon style vestimentaire. Je leur dis ‘basta’. » Ce titre lui vaut de violentes charges sur les réseaux sociaux et elle rencontre des oppositions de toutes parts. Soit on lui reproche le port du voile, « incompatible avec la scène hip-hop »; soit on lui reproche la scène, « incompatible avec l’islam ». « Beaucoup d’hommes m’ont insultée, m’ont dit que je gâchais la religion, que j’étais l’incarnation de Satan, etc. », se souvient Mina.

Le rap, acte de résistance féministe

Mais plutôt que de la décourager, ces attaques la rendent plus combative ; elle intègre Gënji Hip Hop (« gënji » qui veut dire « femme », en wolof), un collectif de plus de 70 femmes militantes issues des cultures urbaines (rappeuses, vidéastes, slameuses, graffeuses, désigneuses, techniciennes, journalistes, etc.). Ensemble, elles défendent leur place dans un milieu encore très largement dominé par les hommes. « Même si ça va mieux qu’avant, les femmes du milieu restent plus ‘renouvelables’. L’injonction socio-culturelle reste forte. Dès qu’une femme se marie, elle doit arrêter de chanter. Dès qu’elle fait des études, elle doit arrêter. C’est difficile de s’imposer sur le devant de la scène », nous explique Mina. « Aujourd’hui, on a envie de montrer qu’on peut être au premier plan et qu’on peut exister durablement dans la musique. » Le collectif, qui a l’ambition de créer, à terme, des structures autonomes 100 % féminines, a élargi son combat pour défendre plus largement les droits des femmes au Sénégal. Dans leurs titres, les rappeuses du Gënji Hip Hop dénoncent les mariages précoces, l’excision ou les violences sexuelles. « La musique m’a forgée, m’a rendue plus combative, assure Mina. Je ne me laisserai plus jamais dicter ma conduite. C’est ce message de femme libre que je veux faire passer ».