Le débat politique s’est cristallisé ces derniers jours autour de l’éventualité d’une réforme visant la nomination du Maire de Dakar, en lieu et place de son élection par les citoyens-électeurs. La vague de désapprobations provoquée par cette idée a été telle que ceux qui l’ont suscitée se sont vite rétractés.
«On aurait mal interprété leurs propos. On a voulu leur faire dire ce qu’ils n’ont jamais dit», se défendent-ils. Faut-il considérer pour autant que le débat est clos ? Faut-il en déduire qu’il n’y a plus lieu d’épiloguer sur une proposition dont les auteurs ont vite fait profil bas devant le tollé suscité par cette question ?
Je pense qu’on aurait tort de se laisser embobiner par ces dénégations qui cachent mal la volonté de l’actuelle majorité de mettre sous son giron, et sans coup férir, les communes de Dakar, Thiès, Ziguinchor et Touba. Quatre villes qui ont la particularité d’échapper au contrôle du régime de Macky Sall depuis son installation en 2012.
Après tout, il n’y a jamais de fumée sans feu. Il ne faut pas non plus s’étonner que Macky Sall qui n’a pas hésité à instrumentaliser la justice pour faire condamner l’ancien Maire de Dakar afin de s’assurer le contrôle de la capitale pour sa réélection, soit tenté de prendre une voie détournée pour satisfaire, enfin, son obsession de prendre cette Mairie qui se refuse à lui depuis sa prise du pouvoir. Il s’est même permis d’éliminer des candidats à la dernière présidentielle par le biais du parrainage pour s’offrir une victoire à la Pyrrhus.
Tout cela doit nous amener à ne jamais manquer de vigilance, encore moins de baisser la garde face à Macky Sall qui ne se fixe aucune limite pour asseoir son pouvoir. Sa propension à asseoir son hégémonie à tout prix doit donc être combattue par tous les moyens. En commençant d’abord par alerter les Sénégalais sur ses dérives à répétition. C’est ce qui m’amène à partager avec tous nos compatriotes la réflexion que m’inspire cette idée aussi saugrenue, surréaliste que rétrograde.
Il s’y ajoute que pour avoir assumé la fonction, je comprends parfaitement l’importance pour le Maire de tirer sa légitimité de la seule souveraineté populaire. Car, cela constitue assurément la meilleure source de motivation pour tout édile, a fortiori celui de la capitale dont l’électorat est connu pour être très exigeant et très fluctuant. Ce qui contraint naturellement son premier magistrat à une obligation de résultats.
A contrario, le fait pour le Maire de tirer sa légitimité de la seule volonté du président de la République et d’être à la merci de son décret, est de nature à le brider, à le fragiliser et à le priver de toute prise d’initiatives au profit exclusif de ses administrés. Ceux-là même qui doivent être ses seuls mandants.
C’est pour cette raison que même sous les régimes les plus totalitaires, les Maires sont toujours élus. Or, après avoir supprimé le poste de Premier ministre sans raison valable, voilà que Macky Sall, lui, veut avoir la prérogative de nommer les Maires de certaines grandes villes comme Dakar qu’il peine à gagner à la régulière. Ce qui en dit long sur sa volonté de contourner la souveraineté populaire pour satisfaire sa manie à concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.
Mais, personne ne laissera passer cette énième dérive. N’est-il pas tout simplement inadmissible de laisser ce régime ramener notre pays plusieurs années en arrière après tous les acquis démocratiques qui ont été obtenus de haute lutte ? Comment d’ailleurs peut-on imaginer un seul instant une disposition aussi rétrograde en dépit de toutes les avancées majeures enregistrées par notre pays en matière de décentralisation ?
En vérité, l’objectif d’une telle réforme est de permettre à Macky Sall de réaliser ce que l’Acte 3 de la Décentralisation ne lui avait pas permis d’obtenir. Adopté dans la plus grande précipitation à la veille des élections locales de 2014, ce fameux Acte 3 de la Décentralisation avait pour objectif inavoué de changer le mode d’élection de certains Maires, principalement celui de Dakar, en l’empêchant de battre campagne à ce titre et sur la base de son bilan. Ce qui n’avait pas empêché malgré tout à Khalifa Sall de rempiler à la Mairie de Dakar.
Il est donc clair qu’on cherche à présent à passer par cette réforme pour prendre le contrôle de Mairies comme celles de Dakar, Thiès ou encore Ziguinchor. Et qu’importe si cette réforme est en contradiction avec certaines dispositions de l’Acte 3 de la Décentralisation et le consensus qui s’est dégagé au sein de la classe politique pour l’élection du Maire au suffrage universel.
N’est-ce pas que l’Acte 3 de la Décentralisation a consacré la communalisation intégrale ? Ce qui signifie, en termes clairs, que toutes les communes du pays, qu’il s’agisse de la capitale ou des ex-communautés rurales, sont d’égale dignité. Pourquoi voudrait-on donc subitement cibler expressément des communes dont le Maire sera nommé par décret à côté d’autres dont l’édile est, lui, élu au suffrage universel. Rien ne justifie cette logique de deux poids, deux mesures.
Comment comprendre également que l’actuelle majorité opte, comme l’opposition, pour l’élection du Maire au suffrage universel pour plus de démocratie, tout en agitant l’idée d’en nommer certains par décret. Mais, le pire est qu’une telle réforme ne sera pas sans conséquence sur le bon fonctionnement des Conseils municipaux qui seront concernés. De quelle légitimité pourra en effet se prévaloir un Maire nommé devant des conseillers qui sont passés par la voie la plus démocratique, celle d’une élection au suffrage universel ?
La contradiction sera encore plus flagrante concernant la ville de Dakar qui compte 19 communes, anciennement appelées communes d’arrondissement, chapeautées toutes par le Maire de Dakar. Si ce dernier ne doit sa légitimité qu’à une simple nomination alors que ses autres collègues sont tous élus, ça fera forcément désordre. Il s’y ajoute qu’on pourrait même avoir ce cas de figure ubuesque où le Maire nommé peut ne pas appartenir au même parti politique ou à la même coalition que la majorité des membres du Conseil municipal.
Comme on le voit, et quel que soit l’angle d’analyse, cette réforme qu’agite étonnamment la majorité est rétrograde, antidémocratique et inopérante. Mais, elle traduit surtout la volonté de Macky Sall de s’accaparer tous les pouvoirs au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires. Or, face à cette boulimie de pouvoirs et cette propension totalitariste, se dresser devient une absolue nécessité pour tous les démocrates.