Radio-Canada a appris que depuis son entrée en fonction à titre déléguée générale du Québec à Dakar, en novembre dernier, Fatima Houda-Pepin a refusé d’habiter la résidence officielle payée par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), ce qui entraîne des coûts d’hébergement supplémentaires.
De plus, le climat de travail se serait grandement détérioré dans les bureaux de la délégation.
Démission, nomination annulée, le MRIF a même envoyé un fonctionnaire de la Direction des ressources humaines pour rencontrer les employés.
Radio-Canada a essayé à plusieurs reprises de contacter Mme Houda-Pepin et le MRIF, à qui nous avons d’ailleurs soumis tous les éléments évoqués dans ce reportage. La déléguée générale n’a pas répondu à nos demandes. Le MRIF, lui, nous a répondu une fois notre reportage publié.
Ancienne députée provinciale libérale, puis indépendante, Fatima Houda-Pepin a été nommée déléguée générale du Québec à Dakar par le gouvernement caquiste de François Legault en septembre 2019. Elle est entrée en fonction à Dakar le 25 novembre.
Depuis son arrivée, la déléguée générale habite à l’hôtel plutôt qu’à la résidence officielle, une villa louée avec option d’achat par le MRIF depuis septembre 2018.
Le précédent délégué général, Younes Mihoubi, y vivait avec sa conjointe et ses deux jeunes enfants. L’endroit servait aussi à organiser des réceptions et autres événements liés aux fonctions diplomatiques.
L’avenue des Ambassadeurs, où se trouve la résidence, est l’une des plus belles et des plus sécuritaires de Dakar, souligne un employé.
Le propriétaire de la résidence confirme que la villa est inoccupée depuis plusieurs mois et que le loyer ainsi que les frais continuent d’être payés. La villa coûte à l’État québécois 13 000 $ par mois, seulement pour le loyer.
Le MRIF nous répond que l’avis de non-renouvellement a été transmis au propriétaire de l’immeuble.
La résidence officielle de la déléguée générale du Québec à Dakar
Nous avons obtenu une copie d’une facture de l’hôtel Novotel de Dakar qui atteste que la nouvelle déléguée générale y a séjourné du 21 décembre 2019 au 18 février 2020. Le montant payé pour cette période pour la chambre avec petit-déjeuner s’élève à 5 207 000 francs CFA (11 344,50 $ CA).
Par courriel, le MRIF nous a fait savoir que la déléguée a résidé à l’hôtel, entre son arrivée au Sénégal le 25 novembre, et le 18 février dernier, pour des « raisons de sécurité ». Elle habite depuis dans un « appartement mieux sécurisé qui permettra de réaliser des économies budgétaires ».
Un climat de travail délétère
Climat délétère est le terme utilisé par plusieurs employés pour décrire l’ambiance de travail qui règne au sein de la délégation du Québec à Dakar depuis l’arrivée de Mme Fatima Houda-Pepin.
Un de ses premiers gestes à son arrivée, ça a été de repousser une candidature qui avait déjà été approuvée par le MRIF pour le poste de premier conseiller, raconte Philippe Alarie, qui travaillait alors comme attaché aux affaires éducatives et culturelles à la délégation.
Myriam Fortin, qui occupait depuis deux ans la fonction de conseillère à la Coopération et à la Francophonie au sein de la délégation, devait remplacer le premier conseiller, dont le contrat arrivait à échéance à la fin de l’année 2019.
Elle avait été nommée par l’ex-délégué général, Younes Mihoubi.
Rapatriée au Québec, Myriam Fortin a quitté Dakar troublée et amère, selon ses anciens collègues. Son départ a été très mal accueilli au sein de l’équipe.
C’est à partir de ce moment-là qu’on s’est dit ouf… ça va être difficile, se rappelle un employé de la délégation qui souhaite que son identité demeure confidentielle.
Rapidement, M. Alarie dit s’être vu confier par la déléguée générale plusieurs responsabilités qui excédaient celles prévues dans son mandat.
Elle contournait le premier conseiller pour me demander une tâche qui relevait de lui normalement. Elle nous jouait les uns contre les autres.Philippe Alarie
Des propos appuyés par d’autres employés. On était team player, mais là, ce qu’elle a essayé de faire dès le départ, c’est de diviser pour mieux régner, déclare l’un d’eux.
Ébranlé, il démissionne
La rencontre hebdomadaire du 19 décembre est la goutte qui a fait déborder le vase pour Philippe Alarie.
Il relate que lors de cette réunion, qui portait sur les vacances de Noël, Mme Houda-Pepin a fait le tour des employés pour leur demander quels étaient leurs plans pour les fêtes. Tous sauf une, qui avait pourtant formulé les mêmes demandes en même temps, mais que la déléguée a ignorée.
Ça a créé un froid, on a quitté la salle dans le silence, se rappelle-t-il.
Plusieurs autres employés de la délégation qui étaient présents lors de cette réunion ont la même version des faits.
Elle l’a humiliée devant tout le personnel, ce ne sont pas des choses qui se font, à mon avis, affirme un membre de la délégation.
Cette employée a finalement obtenu ses vacances, mais depuis, selon plusieurs sources, elle serait mise à l’écart par la déléguée générale. Des dossiers lui auraient été retirés et confiés à une autre employée nouvellement embauchée, l’accès à son téléphone professionnel aurait été restreint et il lui serait dorénavant interdit d’être à l’intérieur du bureau avant 8 h 30 et après 17 h.
À la suite de cet épisode, ébranlé par le style de gestion de la nouvelle déléguée, Philippe Alarie décide de démissionner.
Le 24 décembre, il envoie une lettre de démission, qui doit prendre effet à compter du 9 janvier.
Ça a été une décision difficile à prendre parce que j’adorais ce travail.Philippe Alarie
Interdiction de parler wolof
Au début du mois de janvier, le MRIF envoie pour quelques semaines l’adjoint à la Direction des ressources humaines afin de rencontrer les employés de la délégation et d’apporter son soutien à la déléguée générale, mais le climat de travail continue de se détériorer, selon nos sources.
Lors de la réunion hebdomadaire du 31 janvier, la question de la langue de travail est à l’ordre du jour.
La déléguée générale interdit désormais à ses employés locaux de parler wolof à l’intérieur de la délégation. Bien que le français soit la langue officielle du Sénégal, le wolof est la langue d’usage, parlée par la très vaste majorité des Sénégalais.
Cette interdiction a profondément choqué certains des employés visés.
Quand ma déléguée générale, devant le directeur des ressources humaines adjoint, devant les administrateurs qui étaient là, devant tous les collègues, ose nous dire de ne plus parler notre langue nationale dans le bureau sous prétexte que la langue de travail au Québec c’est le français, on est où?, s’indigne l’un d’eux.
Au Sénégal aussi, la langue officielle de travail, c’est le français. Mais moi, j’ai le droit de faire des blagues avec mes collègues dans ma langue… C’est juste inacceptable. C’est comme si au Québec aujourd’hui, on disait « ben les anglophones, ne parlez pas entre vous, les hispaniques, vous ne parlez pas entre vous », poursuit cet employé, qui affirme que le gouvernement sénégalais a été mis au parfum de cette décision qui, selon lui, ternit l’image du Québec.
Dans sa réponse, le MRIF dit privilégier l’utilisation du français, à l’instar de la loi sénégalaise, comme langue officielle dans les relations de travail.
Deux femmes de ménage licenciées
Le 4 février, les deux femmes de ménage qui nettoyaient les bureaux de la délégation et la résidence officielle reçoivent un avis de licenciement de la part de la déléguée générale prenant effet sur-le-champ.
Elles étaient employées de la délégation depuis octobre 2018 et recevaient un salaire de 175 000 francs CFA par mois, soit 363 $ CA.
L’une d’elles, Hélène Mendy, 56 ans, divorcée et mère de quatre enfants, assure que Mme Houda-Pepin ne leur a donné aucun motif pour les licencier.
Dans l’avis de licenciement dont nous avons obtenu copie, il est stipulé qu’elles recevront un préavis de trois mois de salaire, comme le prévoit leur contrat d’embauche.
À ce jour, elles affirment n’avoir toujours rien reçu et ne pas avoir non plus été payées pour les quatre journées travaillées au mois de février.
Elles ont déposé une plainte à cet effet auprès de l’Inspection régionale du travail et de la sécurité sociale de Dakar.
On demande nos droits, simplement nos droits, parce que c’est dur pour nous, c’est dur ce qu’elle nous a fait.Hélène Mendy
Leur cause doit être entendue le 26 février.
Le ministère affirme avoir résilié leurs contrats de service conformément aux dispositions prévues dans ceux-ci.
Des courriels sans réponse
Une des critiques les plus récurrentes de la part des employés à l’endroit de Mme Houda-Pepin est qu’elle ne répond que très rarement à ses courriels, internes comme externes, et qu’elle ne partage pas les informations avec les membres de son équipe.
Philippe Alarie relate d’ailleurs qu’entre l’envoi de sa lettre de démission, le 24 décembre, et sa dernière journée de travail, le 9 janvier, il n’a reçu aucune réponse, ni de la part du ministère ni de la part de la déléguée générale. Son courriel s’intitulait pourtant Lettre de démission.
Depuis, les courriels qui lui sont acheminés par ses ex-partenaires sénégalais sont transmis à Mme Houda-Pepin en attendant que son poste soit pourvu.
Encore aujourd’hui, il affirme recevoir régulièrement des appels de gens et d’organisations avec qui il avait noué des contacts, inquiets de ne pas recevoir de réponse de la part de la délégation.
Plusieurs membres du personnel affirment que la déléguée générale ne fait pas confiance aux membres de son équipe.
Elle a engagé une adjointe, avec qui elle travaille en vase clos, dans son bureau, même si la délégation emploie déjà une autre adjointe administrative qui est en poste depuis novembre 2016.
Au-delà de son attitude, plusieurs employés de la délégation se questionnent sur les compétences de gestionnaire de Mme Houda-Pepin.
Je pense qu’à mon humble avis, ça la dépasse un peu. Ce n’est pas facile de gérer une délégation générale et aujourd’hui avec tous les objectifs qui sont assignés à toutes les représentations du Québec à l’étranger, c’est vrai qu’il y a une pression, illustre un employé.
Pour eux, c’est la réputation du Québec qui est en jeu.
C’est comme si on partait de zéro, et ça, c’est très difficile à accepter parce qu’on a travaillé très très fort pour que le Québec puisse être sur la carte des territoires que nous couvrons, regrette un employé qui presse le MRIF d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard et que le gouvernement sénégalais s’en mêle.
Avec une nouvelle direction, un nouveau gouvernement, une nouvelle administration, il y a des changements, c’est normal, il y a une courbe d’apprentissage, mais par contre, ce que nous vivons, c’est juste inimaginable… Il y a une ambiance délétère.Témoignage d’un employé
Les employés qui ont accepté de témoigner affirment avoir fait part de leur mécontentement à plusieurs reprises auprès de différents responsables du MRIF. Chaque fois, la réponse est la même : C’est une nomination politique, on ne peut rien y faire.