Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont demandé de concert, ce mercredi 25 mars 2020, aux créanciers bilatéraux des pays les plus pauvres « de geler les remboursements de dettes » afin qu’ils puissent dégager de l’argent pour combattre la pandémie de nouveau coronavirus. Ce répit permettra d’analyser la situation et les besoins de chaque pays. Les deux institutions de Bretton Woods ont également demandé au G20 de les charger de cette tâche d’évaluation pour faire la liste des pays dont le fardeau de la dette est insoutenable et pour travailler à une restructuration. « Nous allons demander à ce que cette proposition soit entérinée par le Comité de développement durant les réunions de Printemps (des deux institutions) les 16 et 17 avril« , précise la lettre. Ces réunions, qui en général drainent des milliers de personnes dans la capitale des Etats-Unis, se tiendront cette année en ligne à cause de la pandémie de Covid-19. « La Banque mondiale et le FMI sont convaincus qu’il est impératif de soulager les pays en développement et d’envoyer un signal fort aux marchés financiers« , poursuivent les deux institutions. Et de conclure : « La communauté internationale saluerait le soutien du G20 à cet appel à agir« .
Le G20 tient une vidéoconférence
Les chefs d’Etat des pays membre du G20, qui regroupe une palette des pays parmi les plus industrialisés, doivent tenir jeudi une visioconférence consacrée à l’impact du nouveau coronavirus sur le monde. Les pays concernés par l’appel de la Banque et du Fonds sont ceux qui sont éligibles aux critères de l’Association internationale de développement (AID), qui fait partie du groupe Banque mondiale. L’AID fournit de l’aide sous forme de prêts à taux zéro ou à très faible taux d’intérêt aux 76 pays les plus pauvres du monde, mais aussi de dons. Au cours de l’année budgétaire 2019, qui s’est terminée au 30 juin, l’AID avait engagé 22 milliards de dollars dont 36% sous forme de dons, selon les chiffres de la Banque mondiale.
RENAUD VIVIEN, COORDINATEUR DU SERVICE POLITIQUE D’ENTRAIDE ET FRATERNITÉ, FLÉTRIT « LA GESTION CALAMITEUSE » DU COVID-19 PAR LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
« Le meilleur conseil à donner à l’Afrique est de se préparer au pire et de se préparer dès aujourd’hui ». Cette déclaration du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 18 mars nous rappelle que le coronavirus n’épargne pas le Sud, dont le continent africain, particulièrement vulnérable face à la pandémie. Déjà présent dans une quarantaine de pays africains ce 24 mars, le virus se propage tellement vite que l’OMS s’inquiète déjà du risque élevé de saturation des centres de santé, avec comme premières victimes les femmes. Les femmes sont, en effet, particulièrement exposées aux épidémies car ce sont elles qui prennent soin des malades, tentant ainsi de pallier les services publics déficients voire inexistants dans leurs pays.
L’effet délétère des plans d’ajustement structurel
Loin de se limiter à une mauvaise gestion de l’argent public par les élites locales, la crise permanente des services de santé est le résultat de près de quarante ans de politiques d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et leurs relais régionaux comme la Banque africaine de développement. Ces grands bailleurs de fonds ont conditionné leurs prêts à des politiques qui ont détérioré les systèmes de santé publique, en imposant des coupes budgétaires brutales. Suppression des postes de travail, des lits d’hôpitaux, augmentation du prix des médicaments, sous-investissements dans les infrastructures et les équipements, privatisations sont autant de mesures qui ont été appliquées par les gouvernements des pays débiteurs afin de rembourser la dette publique. Cette dette, dont la légitimité voire la légalité doivent être sérieusement questionnées, n’a pas pourtant pas diminué, en Afrique comme dans la plupart des autres pays du Sud. Entre 2000 et 2017, leurs dettes envers les créanciers étrangers a même doublé (d’après les données de la Banque mondiale disponibles dans les rapports Global development finance et l’International debt statistics en ligne de la Banque mondiale) avec comme conséquence une augmentation de la part des recettes publiques dédiée à son paiement.
Comment la dette «tue» l’économie des pays à faible revenu
Bien plus qu’une affaire de chiffres, la dette tue. Dans 46 pays classés « à faible revenu », le budget annuel affecté au paiement de la dette est supérieur aux dépenses publiques dans le secteur de la santé. En 2018, ces pays consacraient, en moyenne, 7,8% de leur produit intérieur brut (PIB) au remboursement de la dette contre 1,8% pour la santé, soit près de quatre fois plus ! (Daniel Munevar. EURODAD, COVID-19 and debt in the global south: Protecting the most vulnerable in times of crisis I, mars 2020). Peu importe donc l’état de délabrement des systèmes de santé, les remboursements doivent se poursuivre coûte que coûte comme en Haïti, qui vient d’être impacté par le coronavirus et qui ne disposerait que d’une centaine de lits de soins intensifs pour une population de 12 millions d’habitants ! Dix ans après le séisme ayant causé plus de 230 000 décès et l’arrivée du choléra qui a tué plus de 9000 Haïtiens, ne serait-il pas criminel de la part des créanciers de continuer à exiger le paiement de la dette haïtienne et le respect de l’accord conclu avec le FMI qui impose au pays de réduire son déficit budgétaire? Plus largement, face à cette crise du coronavirus, est-il normal que tous les pays continuent à payer la dette alors que l’urgence est de débloquer des moyens humains et financiers pour sauver des vies ? Poser la question c’est déjà y répondre. La suspension du paiement de la dette (avec gel des intérêts) devrait compter parmi les mesures urgentes à prendre face à la pandémie.
De nouvelles dettes pour endiguer la pandémie
La Banque mondiale et le FMI font pourtant l’inverse. Au lieu de suspendre les remboursements, elles alourdissent la dette des pays qu’ils prétendent aider. Sur les 64 milliards de dollars d’ »aide » promise, la quasi-totalité correspond à des prêts. Seulement 400 millions de dollars (soit 0,6% du total) pourraient être donnés à certains pays répondant à des critères stricts et à la condition expresse que les fonds servent à rembourser les dettes du FMI arrivant à échéance ! C’est la même formule qui a été utilisée par ces institutions internationales pour « aider » Haïti après le séisme meurtrier de 2010 ainsi que trois pays africains (la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone) frappés par l’épidémie d’Ebola en 2014. Aujourd’hui, ces quatre pays sont confrontés au Coronavirus. Il leur manque toujours des budgets vitaux pour affronter les épidémies car ils sont sommés par leurs créanciers de réduire leur déficit budgétaire pour payer une dette insoutenable qui résulte en partie de l’intervention du FMI et de la Banque mondiale.
Rompre avec l’austérité et augmenter les dépenses publiques
Si l’émergence des virus paraît inévitable, ses conséquences fatales ne le sont pas à condition d’y mettre les moyens humains et financiers. Nul doute que les dons privés faits aux hôpitaux ne suffisent pas et que les pouvoirs publics doivent impérativement les refinancer. Face à la marchandisation des soins de santé, le renforcement du service public de la santé et des systèmes de protection sociale doit constituer la priorité des gouvernements du Sud comme du Nord. Cela qui nécessite d’augmenter durablement les dépenses publiques, tout en stoppant l’hémorragie de la fuite des capitaux liées au paiement des dettes illégitimes ainsi qu’à la fraude et l’évasion fiscales. Autant de mesures fondatrices d’une nouvelle coopération internationale plaçant les vies humaines au-dessus des intérêts financiers. Pour cela, il est temps de se libérer du carcan dogmatique promu par le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne. Puisse le Coronavirus être l’élément déclencheur de la rupture avec les politiques d’austérité.