Apparu en décembre 2019 en Chine, le coronavirus se propage à une vitesse grand V dans le reste du monde. L’épicentre de la pandémie, localisé initialement en Asie, a fait escale au cœur de l’Europe avant de mettre le cap sur les États-Unis, contraignant près du tiers de la population américaine au confinement. L’Afrique jusqu’ici épargnée par le terrible virus, par calcul ou par chance, commence à décompter ses premiers mécomptes. Aucune partie du monde n’est épargnée par la virulence du virus. Dans le chaudron actuel, il souffle un vent à faire décorner les buffles et chaque pays calfeutré dans des tranchées calfatées soigne son habitus. A force de porter et surtout de supporter, même les systèmes sanitaires réputés les plus résilients au monde sont à bout de souffle. A ce rythme, il faudrait surtout craindre la perte de tonicité voire la défaillance des professionnels de santé qui ont marqué toute leur vie sur des certitudes et des modélisations, balayées d’un tour de main par l’imprévisible virus, et qui peinent à s’en démarquer.
Il semble, suivant une funeste chronologie effectuée par certains analystes, que le coronavirus pourrait être la plus grande pandémie du 21e siècle, comme ce fut le cas de la grippe espagnole le siècle dernier, le choléra pour le 19e siècle et la peste pour le siècle d’avant. Sans s’aventurer sur la véracité d’une telle affirmation, il faut juste rappeler qu’en deux ans (1918-1920), la grippe dite espagnole (H1N1) a tué entre 50 et 100 millions de personnes, soit entre 3% et 6% de la population mondiale. Et surtout, elle a fait entre deux et quatre fois plus de victimes que la première guerre mondiale (1914-1918).
Pourquoi avec un taux de létalité relativement plus faible (moins de 11 737 morts au 21 mars 2020), le COVID-19 a-t-il le même niveau de sévérité pandémique que la grippe espagnole ? La raison est toute simple. Il n’y a pour le moment ni remède ni vaccin contre ce nouveau virus qui est aussi foudroyant que mutant. Le monde occidental, doté des dernières technologies au point de cloner l’espèce humaine, est complètement dépassé par la cinétique de cet insaisissable virus à la contagiosité redoutable. La communauté scientifique a plus de questions à se poser que de réponses à proposer. Le corps soignant, débordé et encordé, a besoin de plus moyens pour s’occuper des patients. Les autorités publiques ont plus de mesures restrictives à imposer que de liberté à préserver.
A un pas d’un conflit nucléaire inédit avec la Corée du Nord, à un doigt d’une guerre économique avec la Chine et l’Europe, et à un orteil d’un affrontement majeur avec l’Iran, le monde en effervescence du fait de la superpuissance américaine a soudainement changé de disque et de DJ. Donald Trump n’est plus à la platine. Le coronavirus, alias SARS-CoV-2, infiniment plus petit et absolument moins loquace, a pris sa place. Il impose la mélodie et la cadence. Gare à la fausse note et au faux pas ! Avec un spectre d’intervention plus élargi, il fait valser le monde entier et n’épargne aucune créature, ni sur terre, ni dans les airs, ni dans les eaux. Un peu partout, il y fait régner un semblant d’ordre et de discipline, au prix de dizaines de milliers de victimes.
En Corée du Nord, le pays le plus militarisé au monde, dont le dirigeant joue à l’arme nucléaire comme une petite fille se prélasserait de sa poupée, on a vite fait de se mettre au pas. Le pays déjà fermé aux autres, s’est si tôt enfermé sur lui-même. Les récents tirs de missiles vers la mer du Japon sont plus destinés à censurer les entrailles d’un système sanitaire opaque qu’à se rassurer des représailles de l’ennemi invisible qu’est le COVID-19.
En Libye, depuis plusieurs mois, un déluge de feu s’abattait sur le pays pour le contrôle de la capitale Tripoli. En dépit de toutes les initiatives prises par les puissances militaires et économiques du monde entier pour ramener à la raison les parties fratricides en conflit, rien n’y fit. Les belligérants avaient refusé de déposer les armes. Il a fallu que le petit coronavirus toque simplement à la porte du pays, tout en se réservant d’y entrer et même d’y séjourner, pour que les rues se vident de leurs habitants et de leurs combattants. Tripoli qui compte près de 2 millions d’âmes ressemble maintenant à une ville sans âme. Assassins et spadassins ont pris leurs jambes à leur cou laissant derrière eux, ambition et compétition.
Au Yémen, avant même que le pays n’enregistre son premier cas positif au COVID-19, les parties en conflit depuis plus de cinq ans se disent maintenant prêtes à signer un cessez-le-feu général et définitif. Dans ce pays, dévasté par la plus grave crise humanitaire au monde, les multiples appels à la paix n’ont jamais prospéré. D’un trait – plutôt d’un petit trait – le coronavirus a mis fin à la guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et de déplacés. L’invisible coronavirus serait-il devenu la solution visible de plusieurs conflits qui endeuillent le monde depuis plusieurs années ?
Depuis quelques jours, les États-Unis sont en passe de devenir le nouvel épicentre du coronavirus. L’épidémie y progresse de manière fulgurante. Le pays enregistre plus de 137 000 de contaminations. Dès le 11 mars, le président Donald Trump a décidé, unilatéralement, de fermer les frontières aux Européens. Il a rebaptisé le COVID-19, « virus chinois », en indexant clairement la Chine comme le responsable de la pandémie mondiale. Face à la propagation du virus sur son sol au moment où la Chine commence à connaître une certaine forme de réémission, le président américain s’est résigné à abandonner l’expression querellée pour se concentrer sur l’essentiel. « Si nous restons entre 100 000 et 200 000 morts, nous aurons fait du bon travail », a-t-il déclaré à ses compatriotes.
En Europe, la question migratoire était devenue depuis quelques années un enjeu politique, social et électoral majeur. La peur de l’immigré envahissant, encombrant et salissant était la doctrine de base des partis racistes et xénophobes. Le migrant errant, à la recherche d’un ailleurs meilleur, avait semble-t-il fait déserter certains parcs, certaines rues de leurs occupants habituels. « Nous avons peur pour nos filles ! » ; « Les papis et les mamies ne peuvent plus se promener tranquillement dans les parcs ! » ; etc. Aujourd’hui, à l’heure du coronavirus, certains spécialistes de la santé déconseillent même aux petits enfants de « souche » de s’approcher de leurs grands-parents ! Avec cet imprévisible virus, les grandes villes sont devenues des cités fantômes. Les rues et les allées mondaines sont tellement désertes qu’il est difficile de reconnaître au loin un monument d’une tente d’un sans-abri ou d’un squat d’un migrant.
« Occupez les lieux ! Soyez fort aise ! », claironne en sourdine l’insaisissable virus. Pourtant, l’Europe martelait avoir fait son trop-plein de migrants : « [On] ne pas accueillir toute la misère du monde » ; « On n’a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts ». Pour le surplus de migrants, c’était la reconduite aux frontières de… l’enfer, de la fermeté et des météores. Et voilà comme un corps céleste, le COVID-19 qui n’a aucune civilité à respecter, encore moins de visa à prendre, traverser le continent asiatique pour se poser sur le Vieux Continent. La brutalité du choc a fait affoler les compteurs. Si vite, que la consigne est vite donnée. Et comme un météore, diffuse, elle s’infuse dans les châteaux et les chaumières : « S’en sortir sans sortir ». Pour reprendre la formule de Régis Debray, la voix des opprimés va-t-elle faire honte aux petitesses hédonistes ? Qui l’eût cru ! Cuba, la petite île pauvre des Caraïbes sous embargo américain depuis près de 60 ans, a dépêché une cinquantaine de ses médecins pour venir porter secours à l’Italie, la 8e puissance économique mondiale. Dans ce pays transalpin, 1 médecin sur 10 est contrôlé positif au coronavirus.
Les frères siamois de la finance mondiale qui soumettent depuis plus de 30 ans les États fragiles et fragilisés d’Afrique à la diète budgétaire, monétaire et financière, appellent urbi et orbi tous les créanciers de ces pays à suspendre le remboursement de leurs dettes. Qu’il est beau le temps perdu ! Depuis fort longtemps, des altermondialistes, des activistes, des analystes, des économistes, célèbres et anonymes, ont relayé en vain les cris de détresse des peuples meurtris d’Afrique, condamnés à une vie d’ascète et d’ermite. Rien n’y fit. Pourtant, en quelques semaines, il a suffi que le coronavirus prenne le contrôle du monde, de son économie et de sa finance, pour que les aumôniers internationaux s’empressent de presser leurs mandants à plus d’équité, de justice et d’éthique.
Au même moment, dans l’arrière-cour de la mondialisation, certains dirigeants africains, habitués à siroter quiètement le thé savoureux, le café langoureux et les liqueurs généreux dans les salons feutrés de leurs palais, et si prompts à se faire soigner au moindre tracas dans les meilleures cliniques en Occident, aux frais de leurs contribuables, sont confinés sur leurs terres par le coronavirus, le temps nécessaire d’apprécier l’ensemble de leurs œuvres : un système de santé défectueux, un système d’éducation scabreux, un système de sécurité poreux, un système de gouvernance fiévreux, des visages miséreux, des regards vitreux, et… des lendemains douloureux. Et pour être tout à fait complet, voici un bilan sommaire de six décennies d’indépendance politique sur le continent : chaque 10 secondes un enfant africain meurt de faim, chaque 10 minutes 15 Africains sont tués par le sida, chaque heure 45 Africains décèdent de paludisme. Dans cette région du monde, il y a 0,5 lit par 1 000 habitants. Excusez du peu ! 70% de ces lits sont déjà occupés par des patients souffrant de pathologies liées à la qualité de l’eau et de l’assainissement.
L’Afrique, en extrême urgence économique avancée depuis des décennies, peut-elle appliquer les gestes barrières pour éviter la propagation du coronavirus sur son continent ? Comment se laver les mains lorsque l’eau potable n’est pas disponible ? Comment peut-on rester chez soi pendant deux semaines, sans aide, lorsque l’on vit au jour le jour ? Comment respecter la distanciation d’au moins 1 mètre lorsque dans une seule pièce minuscule, sombre et mal aérée, une dizaine d’enfants dorment à même le sol ? En vérité, l’Afrique ne peut s’en remettre qu’à la Providence. Il ne faut pas se voiler la face. Elle est désarmée et désemparée pour lutter contre le COVID-19. Et il faut craindre que sous la poussée déraisonnée des humeurs et des rumeurs, la peur du virus SARS-CoV-2 ne fasse pas plus de victimes sur le continent que la maladie qui en découle (COVID-19).
Le savoir est universel, a-t-on coutume de dire. Mais chaque peuple est doté de science particulière qui peut lui procurer une forme de résilience face à certaines épreuves. Au Mali, dans la ville sainte de Tombouctou, il y a plus de six mois les ulémas avaient prédit l’épidémie du « coronavirus » dans ses moindres manifestations cliniques (toux insistante, forte fièvre, létalité élevée). Cette prédiction prémonitoire, africaine et non cartésienne, n’étant pas répertoriée dans les revues scientifiques de renommée mondiale, a été banalisée et méprisée. Rassurez-vous ! Le paradoxe africain ne date pas de l’ère du coronavirus. Les Africains sont les premiers à ne pas croire en eux-mêmes. Comment peuvent-ils, dans ces conditions, convaincre les autres peuples de l’existence et de l’efficacité de la science africaine ? Le complexe suranné et le goût immodéré de l’Africain pour tout ce qui vient de l’extérieur demeurent toujours vivaces.
Jomo Kenyatta, le père de l’actuel président du Kényan, l’avait très bien résumé en disant en substance que quand les Blancs étaient venus en Afrique, nous avions nos terres et ils avaient leur Bible. Ils nous ont demandé de fermer les yeux pour prier et quand on a les ouverts, ils avaient nos terres et nous leur Bible en main. Le monde est en guerre. Il est en conflit ouvert contre un ennemi invisible. A la guerre comme à la guerre, la riposte internationale s’organise. Le « COVEXIT » pourrait être le nom de code de cette vaste opération de prévention et d’éradication du nouveau coronavirus. Les deux plus grandes puissances du monde, les États-Unis et la Chine ont décidé de taire, pour le moment, leurs différends commerciaux pour « s’unir contre l’épidémie ».
Dans ce contexte anxiogène mondial, où les paradoxes sont à leur paroxysme, l’incertitude semble être la certitude la plus partagée. Le coronavirus nous interroge sur notre existence. Il nous prouve que l’on peut arriver à presque tout à partir de presque rien. L’homme, cet être extrêmement rebelle, audacieux et téméraire est en réalité très fragile. Plus fragile que le duvet du colibri d’Elena. Sa relative force et les certitudes apparentes qui s’y rattachent ne sont, en vérité, qu’un amas de profondes incertitudes d’un autre temps. Une vie terrestre, pourtant bien courte, qui aurait dû l’incliner à plus d’humilité. Non, il préfère croquer la vie à pleines dents quitte à être édenté. Et le voilà stoppé net dans sa course effrénée à la richesse et au pouvoir. Qu’importe ! L’homme se bat aujourd’hui pour sa survie. Avec le COVID-19, une page se tourne, une autre s’ouvre et, qui sait, peut-être, est-ce la dernière du livre d’une humanité en quête de finitude ?