Le groupe français Castel a décidé de fermer sa brasserie à Banjul, l’une des plus importantes entreprises du pays. Entre 150 et 200 emplois directs sont menacés. Selon Le Monde, l’hypothèse d’une délocalisation au Sénégal fait son bonhomme de chemin.

Un martin-chasseur noir et bleu et un crocodile vert citron sont en voie de disparition en Gambie. L’oiseau et le reptile illustrent les étiquettes respectives des bières Julbrew et Julbrew Export, brassées depuis 1977. Mais, l’entreprise Banjul Breweries, jugée peu rentable, a annoncé fin mars l’arrêt de la production, sur décision de son propriétaire, le groupe français Castel. Il faut désormais ouvrir les réfrigérateurs de quelques bars et particuliers pour observer une dernière fois ce bestiaire sur bouteille. Le brasseur, élevé au rang de monument national par ses inconditionnels, a été fragilisé début 2019, quand le gouvernement a subitement choisi de faire passer la taxe sur l’alcool de 10 à 75 %, au point de rendre meilleur marché certaines bières importées. Assoiffé de rentrées financières, le gouvernement aurait-il eu la main un peu lourde ? Certains se désolent du message désastreux envoyé aux compagnies étrangères qui auraient l’idée d’investir en Gambie. Après plusieurs mois de négociations, le taux a finalement été abaissé à 35 %, mais l’épisode a évidemment pesé dans le choix de fermer la brasserie, l’un des plus gros contribuables du pays avec 3,7 millions d’euros d’impôts par an. Officiellement, c’est néanmoins le manque de rentabilité de l’entreprise qui a scellé son sort : à long terme, un lourd investissement était nécessaire au maintien de la production.

« Une icône qui fait partie du patrimoine »

Le choc est d’autant plus rude qu’il survient en pleine crise économique précipitée par l’épidémie liée au coronavirus, qui affecte durement le secteur du tourisme, principale source de revenus du pays. Une coïncidence malheureuse, regrette la direction de Banjul Breweries, qui avait mis fin aux commandes de matières premières avant la pandémie. « Il y a des gens qui travaillent ici depuis plus de trente ans. Où voulez-vous qu’ils aillent travailler ? Qui aura besoin de leurs services ? », s’émeut Alagie Ceesay, président du syndicat maison. Entre 150 et 200 emplois directs sont détruits. Le plan social signé fin avril couvre plus d’un an de salaires. Chez les grossistes, ce sont plusieurs décennies de relations commerciales qui s’effondrent. En bout de chaîne, les bars n’imaginent pas l’avenir sans les casiers de boissons siglés Banjul Breweries Limited. « Pendant la saison touristique, on vend énormément de Julbrew et les touristes aiment beaucoup ce produit local », témoigne Buba, propriétaire d’un restaurant sur la plage. De même, dans les hôtels, la Julbrew est un produit d’appel bon marché au cœur des offres « all inclusive ». Forte de quarante ans d’histoire, la petite mousse a dépassé le statut de simple bière. C’est « une bannière pour la Gambie », avance Alain, un résident belge qui en a bu d’autres. Julbrew est une « icône », glorifie une certaine Anne sur un groupe Facebook d’expatriés. « C’était vraiment un symbole, une marque excessivement forte », assure un ancien cadre de la brasserie. « Julbrew fait partie du patrimoine gambien, elle devrait être protégée », défend l’historien Hassoum Ceesay.

Vers les cuves de la Soboa à Dakar ?

La bière a été embouteillée pour la première fois en septembre 1977 par un maître brasseur allemand travaillant pour le groupe Brauhaase, qui a construit l’usine et élaboré la recette : une lager de qualité, légère, pur malt. Les pionniers racontent qu’elle a été exportée jusqu’en Californie. Trente ans plus tard, les Allemands veulent mettre un terme à leurs activités en Afrique et mettent en vente un lot de trois brasseries : la très convoitée SIAC-Isenbeck au Cameroun, International Breweries au Nigeria et les modestes Banjul Breweries en Gambie. Une aubaine pour Castel, deuxième producteur de bières et boissons gazeuses sur le continent. Propriétaire depuis 2008, le groupe français investit et développe l’activité. Il distribue ses marques de boissons gazeuses, promeut sa Castel Beer, préserve la recette de la Julbrew et maintient les franchises historiques comme l’irlandaise Guinness. « Puis on est allé dans un bar où le reggae à fond la caisse nous faisait boire de la Guinness », chantait le Français Pierre Vassiliu, en 1981, sur son titre « Banjul ». La marque n’est pas dissoute pour autant. La Julbrew pourrait être brassée à Dakar, dans les cuves de la Société des brasseries de l’Ouest africain (Soboa), également propriété de Castel. Ou renaître grâce à de nouveaux investisseurs. Des entrepreneurs locaux ont déjà fait le tour du propriétaire pour évaluer la valeur du bien. « Il y a une vraie place pour une industrie de la boisson dans ce pays », veut croire un cadre de Banjul Breweries. Dans l’usine vide au toit recouvert de poussière, un tableau blanc témoigne du calendrier de production. La dernière bière brassée dans ses cuves, le 26 mars, fut noire et opaque : une Guinness, pour une fois, un peu trop amère.