Des malades joints au téléphone qui signalent prendre part à des funérailles ou en train de faire des achats au marché. Des cas communautaires qui disparaissent dans la nature pour se soustraire à la quarantaine. Des adultes qui extraient leur maman de son lit d’hôpital, alors qu’elle était sous traitement, qui meurt, par la suite, en pleine rue devant la demeure d’un chef religieux. Des malades qui se prennent en vidéo et qui nient souffrir de quoi que ce soit. Des familles qui chassent sapeurs-pompiers, agents de service d’hygiène et éléments de la Croix-Rouge pour éviter que le corps de leur proche décédé de la Covid-19 ne soit désinfecté. Touba en aura vu de toutes les couleurs depuis l’apparition de la pandémie dans la cité. À côté de ces réactions épidermiques, il y a le port de masques ou, de manière générale, le respect des gestes barrières qui est carrément ignoré par une bonne partie de la population. Ce qui se résume à une seule chose : le déni pur et simple de la Covid-19. Pour en avoir le cœur net et se faire une religion, Dakaractu-Touba a accroché quelques-unes des «identités remarquables» de la ville sainte. Leur diagnostic est sans complaisance.

Cheikh Sall (Imam à Touba) : « Un État doit avoir l’habitude de dire la vérité »

«Au début, le déni était spécifique à Touba. Mais, aujourd’hui, c’est presque dans tout le Sénégal que le phénomène existe. Dans la cité religieuse, les populations n’ont pas confiance aux autorités politiques. Le peu de gens qui portent les masques le font par égard au Khalife Général des Mourides qui en a exprimé le souhait. Un État doit avoir l’habitude de toujours dire la vérité à ses populations. Il y en a eu des mensonges par le passé et il y en aura après. Ce sont ces mensonges répétés qui ont amené les populations à prendre pour faux tout ce qui est annoncé par le pouvoir central. Combien de promesses ont été faites par le passé et n’ont jamais été respectées ? Et puis, l’approche dans la communication a été faussée dès le début. Pour convaincre les populations, il fallait d’abord convaincre les porteurs de voix que sont les chefs religieux,  les maîtres coraniques, les conférenciers… Or, ce sont eux qui ont été les premiers à nier l’existence de cette maladie pour n’avoir jamais été convaincus par les discours trop aériens. Pour communiquer avec une population, il faut d’abord essayer de connaître cette population. Et, lorsque des personnes que tout le monde savait malades d’autre chose ont été déclarées mortes de la Covid-19, la situation s’est davantage compliquée. Comme le comité chargé de gérer la pandémie tâtonnait, elle n’a pas su apporter les réponses idoines à ces questions. En somme, ils n’ont pas été à la hauteur. Pire, on demande aux personnes de porter des masques et on y adjoint même des menaces. Mais, aucune d’entre ces personnes ne parvient à avoir à sa disposition des masques. On leur impose le confinement et leur promet de la nourriture. Ces nourritures ne sont finalement distribuées qu’après la fin de ce confinement.  Autrement dit, l’État s’est montré contradictoire à tous les niveaux».

Abdoulaye Bamba Sall (Journaliste) : « Une gestion  fantaisiste de la maladie« 

«Le déni de la Covid-19, jusque-là par une bonne partie de la population, relève à mon avis de cette gestion amateuriste et fantaisiste de la maladie au premier jour de son apparition à Touba. Ajoutez à cela l’absence de politique de communication spécifique, inclusive et rigoureuse adaptée à la localité qui a porté un sacré coup au respect des mesures barrières  foulées au pied par les populations. Les pouvoirs publics, trainant avec beaucoup d’impairs au premier jour de la déclaration de la maladie, n’ont pas su à temps dérouler un plan de riposte à la hauteur contre des vagues de diabolisation et de contestation entretenues par des tiers. Le canal des réseaux sociaux, un moyen très productif à Touba, tel un rouleau compresseur est surexploité par les contestataires. Ce vide noté aux contours de la maladie et tout ce qui en a trait ont insufflé un regain de confiance chez les irréductibles qui ont ainsi déroulé sans anicroche leur cynique entreprise. Les mesures restrictives prises à la va-vite et auxquelles les populations étaient contraintes, la discrimination manifeste et inintelligente de la localité qui s’en est suivie concernant la circulation entre régions sont aussi des faits qui ont indisposé les populations enlisées à tort ou á raison à être plus confortables dans leur croyance à une stigmatisation de Touba. Les manquements ayant aussi jalonné tout le processus de prise en charge médicosociale sont tels que les familles médico-sociales n’ont eu autre recours qu’un nihilisme caractérisé aux conséquences fâcheuses. Le registre des morts de la Covid-19 suit une courbe ascendante avec son corolaire de bisbilles entre parents de victimes et services administratifs compétents. Au summum de tout ce cafouillage technico-socioéconomique mis sur le compte des pouvoirs publics, vient s’ajouter cette mesure fantaisiste dite de traitement extra hospitalière engendrant l’accroissement des cas de transmission communautaire».

Serigne Mbacké Mara (Chef religieux) : « L‘approche empruntée pour la communication… »

«Je déplore l’approche empruntée pour dérouler la communication. Elle a été biaisée dès l’entame. Elle a pêché pour n’avoir pas impliqué la plupart des figures religieuses. Il fallait les intégrer dès le début du processus en les invitant à prendre part à la campagne de sensibilisation, aux conférences de presse et surtout à celles tenues par le district sanitaire. Sur la table, pour chaque conférence de presse, l’on devait avoir la présence du maire, du médecin-chef (surtout non intérimaire et qui bénéficie le plus de la confiance des populations). J’aurais rangé autour de cette table, au vu de l’expérience que j’ai de la ville : le Dr Sourang, Ndiaye Diop de Ndamatou, Docteur Ousmane Guèye de Fawzeini, et un représentant  des cliniques. Je mettrais aussi le représentant du Khalife Général des Mourides. Et cette représentation  du Khalife se serait faite à tour de rôle des grandes concessions Mourides. Darou Khoudoss, Keur Serigne Fallou, Gouye-Mbind,  Keur Cheikh Issa, Darou Ndiaye, Darou Marnane… enverraient des personnes pour porter la voix du Khalife. L’idée serait d’impliquer les populations par l’entremise de leur guide spirituel et de manière directe. Il fallait aussi avoir quelqu’un pour représenter  les marchés, les vendeurs d’arachide, les chauffeurs, les charretiers, les dahiras comme Khidma, Wilaya, Sopey Cheikh Ibra Fall, Touba Ca Kanam. La démarche a manqué d’être inclusive et elle a échoué». 

Mouhamed Joe Diop (Journaliste) : « Trop d’errements dans la prise en charge des malades »

«Le déni est permanent et même beaucoup plus accentué ces derniers temps. Il faut reconnaître que les autorités ont géré cette maladie avec un grand amateurisme surtout dès le début. Sinon, comment comprendre les errements sur la prise en charge des cas, des familles en quarantaine etc. Les malades asymptomatiques et leurs discours déroulés au moment même de leur traitement ont aussi énormément contribué à  détériorer la politique de conscientisation, de sensibilisation. La communication a été catastrophique par moment. L’approche aussi n’a pas été communautaire dans le choix des messages et des relais de communication. À Touba, on a négligé ce qui pourrait être considéré comme un atout : Le khalife. Le Khalife ! Un chef religieux écouté et respecté et qui, par chance, ne nie pas l’existence de la maladie. Mieux, il l’accepte et contribue, très tôt et de manière  très significative afin qu’elle soit éradiquée (contribution  financière, réglementation de rigueur assujettie à l’accès aux mosquées…). Toute décision prise (fermeture de mosquées, fermeture de marchés et autres mesures) devrait l’être avec son assentiment. L’intégrer de façon intelligente dans la communication. Au lieu de cela, la pandémie a donné le reflet d’un sentiment anti-Macky, de rejet du régime. Bref, les tâtonnements n’ont pas joué en faveur de l’acceptation de la maladie par la population. En plus, Touba n’a pas senti en la personne du Président Macky Sall un véritable chef de guerre. Cette place ayant été occupée avec brio par Serigne Mountakha qui a contribué financièrement plus que lui (200 millions  contre 50 millions). Et ce, en plus d’avoir pris en charge la nourriture des familles confinées depuis plusieurs semaines». 

Khadim Ndiaye (commissaire aux enquêtes  économiques) : « Ces fossoyeurs  de l’ordre religieux »

«Permettez-moi, avant de répondre à votre question, d’affirmer sans réserve que la maladie à coronavirus existe bel et bien à Touba. Plusieurs faits et évènements prouvent de manière irréfutable la présence de la pandémie. D’abord nous avons assisté à des témoignages poignants de personnes guéries sur l’existence de la maladie ainsi que le danger que cela constitue pour la santé de la population. Ensuite, les autorités ont mis en place un impressionnant dispositif médical qui a élu domicile dans des structures de santé bien connues des populations comme c’est le cas du centre de santé de Darou Marnane devenu célèbre pour avoir été la première structure hospitalière à accueillir les malades de la Covid-19. Enfin, nous avons constaté l’engagement personnel du Khalife général des Mourides en terme d’appui financier et moral par des faits et gestes tout en insistant en permanence sur l’existence de la maladie et à cela s’ajoutent les nombreuses actions de sensibilisation déployées sur le terrain accompagnées de la distribution de produits de prévention à grande échelle mobilisant des moyens financiers colossaux qui auraient dû servir à autre chose si les donateurs étaient sûrs que la maladie est imaginaire. Malgré tous ces faits, une bonne partie de la population de Touba ne croit toujours pas à l’existence de la maladie. Les raisons sont nombreuses, mais on peut en citer quelques-unes. Dans un premier temps, il faut constater, avec désolation, qu’une mauvaise compréhension des types de malades dit asymptotiques a créé chez plusieurs personnes un sentiment de déni surtout que les personnes malades se trouvant dans cette catégorie avec la complicité de personnes mal intentionnées ont multiplié des sorties dans les réseaux sociaux pour nier avec ignorance l’existence de la maladie.  À cela s’ajoute, force est de le reconnaître, le comportement déplorable de certaines autorités religieuses qui, loin de soutenir le khalife dans son engagement dans la lutte contre la propagation de la pandémie à Touba, s’adonnent tous les jours à des campagne de désinformation et de démobilisation soit à domicile soit dans les réseaux sociaux créant chez les populations des comportements de défiance par rapport au respect des gestes barrières. En agissant ainsi, ces autorités rament à contre-courant des recommandations du Khalife pour des intérêts crypto personnels et politiques. En définitive, ce sont des facteurs sociaux culturels ajoutés à une volonté manifeste de la part de certaines autorités de nuire à l’Etat et au Khalife qui peuvent expliquer des croyances infondées ni spirituellement ni scientifiquement sur la pandémie. Toutefois, l’espoir d’assister à un changement de comportement positif par rapport à l’existence de la pandémie est toujours permis en ce sens que l’État et le Khalife sont plus que jamais déterminés à éradiquer la maladie et que l’engagement des acteurs que nous sommes dans la conscientisation des masses sur les dangers du déni de l’existence de la maladie commence à porter ses fruits, car depuis deux jours, aucun cas de transmission communautaire n’a été enregistré à Touba. Néanmoins la lutte continue contre les fossoyeurs de l’ordre public sanitaire et de l’ordre religieux». 

Mor Seck (Ancien Dg Maison de l’Outil) : « Ignorance et fatalisme ! »

«Je pense que ce n’est pas seulement à Touba. C’est certainement plus ostentatoire dans la ville sainte. Mais, l’indifférence ou le relâchement, c’est dans tout le pays. Et c’est lié (je pense bien) à l’ignorance et au fatalisme. Il y a aussi que certaines mesures barrières, notamment le port de masque, sont difficilement conciliables avec une cité comme Touba, avec l’environnement social (cérémonies familiales et religieuses), économique (pauvreté) en plus du climat chaud et peu confortable au port de masque. Voilà, entres autres éléments, qui justifient le comportement regrettable d’une bonne partie de la population particulièrement à Touba et le réveil risque d’être catastrophique. Que Serigne Touba nous préserve d’un chaos !».

Abdou Lahad SECK Sadaga (député) : « Des chefs religieux sont derrière et manipulent… »

«Je l’avais déjà dit et je n’ai pas changé d’avis entre temps. Pour moi, si les populations ne croient pas à cette maladie, à son existence réelle, c’est parce que des chefs religieux sont derrière et manipulent. Si des populations ont osé envahir les rues de Touba, faisant fi de la sacralité de la cité, brûlant des pneus et jetant des ordures parterre, c’est parce que des Imams et des chefs religieux tenaient très souvent des sermons et déclarations différents de ceux du Khalife Général des Mourides. Quand le Khalife dit par la parole et le geste que la covid19 existe bel et bien et qu’il faut veiller à respecter les gestes barrières, et qu’à côté, un Imam ou un chef religieux rétorque que la Covid-19 est une intention politique créée pour combattre Touba et que le port de masque ne rime pas avec la confiance inébranlable qu’on doit avoir vis-à-vis de Serigne Touba, cela pose problème. Je les avais accusés. Je continue de les accuser. L’État a fait tout ce qu’il pouvait dans la communication, dans la prise de décrets, dans la fourniture de masques, dans la mise à la disposition des populations de kits alimentaires. Le Khalife Général a sensibilisé en mettant un foulard autour de son visage, dégagé des centaines de millions de Fcfa et fait changer le format de célébration des magals. Malheureusement, à côté, d’autres chefs religieux ont tenu des discours contraires avec, parfois, des théories maléfiques».

Modou Mbaye Ndiaye (Communicateur traditionnel) : « Ces contradictions »

En tant que communicateur traditionnel, je suis bien placé pour confirmer que les populations de Touba, dans leur écrasante majorité, ne croient pas à l’existence réelle de cette maladie. La cause est simple. La communication est partie du sommet pour essayer de descendre à la base alors qu’il fallait procéder exactement par le schéma opposé. Ils ont communiqué exactement comme si c’est des Européens qui parlaient à  des Européens. Nos autorités ont parlé exactement à la manière des autorités  françaises ou Espagnoles. Le discours n’était pas contextualisé. Il n’était pas adapté à nos réalités. 

Ensuite beaucoup de choses ont été dites au début et ont, par la suite, été démenties. Des fois, les gants sont bons. Subitement, ils ne l’ont plus été. On demande aux populations d’utiliser le liquide antigel. Ensuite, on nous dit que c’est mauvais pour la santé sexuelle des hommes. On nous dit que les masques ne sont valables que pour 3 tours d’horloge, ensuite, on nous signale que c’est possible de les laver. On déclare des médecins malades. Ils font la grogne. On leur dit que les tests étaient  finalement négatifs. On dit que telle personne est morte de coronavirus, quelques heures après, on voit ses enfants, ses épouses déambuler… Même pour l’aide, le retard qu’elle a accusé pour sa distribution est sujette à des suspicions.

Serigne Mame Mbaye Sylla (SG Touba Ca Kanam) : « Ces exagérations… »

«La population de Touba remet en cause l’existence réelle de la Covid-19 pour plusieurs raisons. Je peux les énumérer de manière non exhaustive : absence de prise en charge effective des familles mises en quarantaine par les autorités étatiques ; campagne  de sensibilisation sur les mesures préventives qui a dérouté  pour  n’avoir pas comme choisi canaux les autorités religieuses,  les autres organisations sociales… ; exagération sur la gravité et la vitesse de la propagation de la Covid-19. Tel que relaté par les autorités sanitaires, beaucoup ont pensé que les morts allaient être comptées par certaines. Au finish, on s’est rendu compte qu’elle était moins dangereuse que le paludisme. Il y avait plus de cas asymptomatiques que de véritables malades. Et puis, par rapport à la contamination donnée exponentielle, aujourd’hui, on voit que les mesures barrières ne sont pas respectées et les cas sont comptés avec les doigts de la main tous les jours».