Après le coup d’État au Mali et avant des élections présidentielles prévues le mois prochain en Côte d’Ivoire et en Guinée, comment se porte la démocratie en Afrique de l’Ouest ? Le rapport annuel du think tank Afrikajom Center, basé à Dakar et dirigé par Alioune Tine, passe au crible 16 pays et analyse «les nouvelles pathologies de la démocratie» dans la région. Ses auteurs recommandent à ces États, dans un entretien avec nos confrères de Rfi, de «rompre avec la démocratie d’imposture».

Vous écrivez dans votre rapport aujourd’hui, ce ne sont plus les coups d’État militaires qui font des morts, mais les troisièmes mandats. C’est cette question d’actualité, aujourd’hui, en Côte d’Ivoire notamment et en Guinée, qui vous inquiète le plus ?

Absolument. Le coup d’État réparateur au Niger en 2009-2010 n’a fait aucun mort. Au Mali, le coup d’État a fait quatre morts, mais quand le président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire dit qu’il va participer à l’élection présidentielle pour un troisième mandat, il y a eu immédiatement des manifestations qui ont fait 26 morts, beaucoup de blessés, et avec beaucoup d’opposants et d’activistes des droits humains qui sont aujourd’hui en prison. Cela rappelle les vieux démons de la Côte d’Ivoire en 2010. Le risque de rechute, il est réel. Nous pensons qu’en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, il faut absolument reporter l’élection présidentielle et discuter, débattre du processus électoral qui est contesté. Donc, il me semble qu’aujourd’hui, il faut que les chefs d’État examinent la question du troisième mandat avec, par exemple, Alpha Condé en Guinée Conakry. Depuis le début, quand on a planifié le referendum et les élections législatives et les manifestations, ça a fait plus de 50 morts, des dizaines de personnes qui sont en prison. Je pense que c’est extrêmement grave pour que la Cédéao et la communauté internationale commence à opiner là-dessus, pour créer les conditions d’une sanction pour des présidents qui sont des présidents qui sont des présidents dé-régulateurs.

Justement, vous plaidez pour qu’il y ait un sommet de la Cedeao qui soit dédié à la limitation des mandats présidentiels.

Il y avait un sommet en 2015 pour que la limitation du mandat soit inscrite dans le protocole additionnel sur la gouvernance et la démocratie. Il y a deux pays qui était contre, c’était la Gambie et le Togo. Maintenant, je pense qu’il faudra aujourd’hui réinscrire dans l’agenda du sommet de la Cedeao la question de la limitation du mandat et la régler pour de bon. Et moi, j’ai été extrêmement satisfait d’avoir entendu le président Buhari interpeller ces collègues chefs d’État pour dire: que nous autres, leaders des États membres de l’Afrique de l’Ouest, nous devions respecter notre Constitution. Ça c’est un bon début.

Sur cette question du troisième mandat, un mot sur le Sénégal où ce débat agite également la classe politique, le débat sur un éventuel troisième mandat du président Macky Sall en 2024. Le président n’a pas dit oui, mais il n’a pas dit non.

Je peux comprendre le président avec son gouvernement et les ambitions qu’il y a au sein de son parti pour dire : «Écoutez, on travaille et que les gens qui ont envie de faire campagne n’ont qu’à quitter mon gouvernement pour y aller». Cela dit, tous les présidents du Sénégal ont enlevé la limitation des mandats. Senghor l’a enlevé, Diouf en 1999 l’a enlevé, mais il a été battu par Wade en 2000. Wade l’a enlevé, il a été battu aussi en 2012. Donc, le président Macky Sall n’a pas le droit à l’erreur. Et également son rôle historique, aujourd’hui, c’est de respecter la limitation du mandat et se l’appliquer à lui-même.

«Les coups d’État sont plus sophistiqués en Afrique de l’Ouest». C’est ce que vous écrivez dans le rapport, il s’agit, désormais, de coups d’État électoraux ou constitutionnels. Pourtant, il y a ce coup d’État militaire au Mali, le mois dernier, sachant que votre rapport a été rédigé avant cet évènement. Pourquoi, selon vous, le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta s’est effondré si rapidement ?

Quand même, dans les manifestations, qu’on le veuille ou non, l’imam Dicko a énuméré les problèmes : la mal-gouvernance, la corruption, vous avez, comme je le dis, la crise du suffrage universel, les élections législatives, la manière dont cela s’est déroulé et a été contesté ont été un phénomène déclencheur. Le Mali, c’est un cas, pour effectivement tirer les leçons de ce qui se passe quand effectivement vous n’avez pas le respect de l’État de droit. Les gens ont perçu le coup d’État comme un coup d’État réparateur. Quand les gens vont dire : « tiens, nous avons besoin d’un régime militaire », quand vous avez les gens qui font confiance en un imam et non plus aux politiques, ça devrait amener les politiques, qu’ils soient de l’opposition ou du pouvoir, à repenser la politique en Afrique.

Comment est-ce que vous voyez la suite des évènements ? Quelle peut être l’issue de la crise selon vous ?

L’issue de la crise, c’est qu’il faut que la junte militaire cède le pouvoir dans les meilleurs délais. La solution, c’est la transition civile.

Alors le tableau que vous dressez dans ce rapport est assez sombre, pourtant vous restez optimiste avec «de nouvelles formes de résistance et l’émergence de nouveaux acteurs». C’est la société civile, c’est ça, qui fait maintenant office de contre-pouvoir à la place des Parlements ?

Je pense que l’Afrique bouge avec sa jeunesse, extrêmement dynamique, et souvent inspirée, ça c’est très important, qui arrive quand même à battre des dictateurs et des tyrans. On l’a vu en Gambie, #Gambiadecided, on l’a vu ici avec le mouvement du 23 juin. Le Hirak a eu raison en Algérie du long règne de Bouteflika. Donc, il y a aujourd’hui une nouvelle culture politique, c’est avec ces mouvements-là qu’il faut compter pour voir comment on peut changer positivement.