Le jeune sénégalais Doudou Faye, 14 ans, originaire de Mbour, confié à des passeurs par son père à qui on aurait promis un club en Italie, a péri durant sa traversée clandestine pour rejoindre l’Europe. Révélations exclusives.
Dans un pays au bord de l’implosion…
L’affaire fait grand bruit au Sénégal.On le surnommait « Doudou » et c’est avec ce diminutif qu’il restera. Il avait 14 ans et comme beaucoup d’enfants de son âge, il rêvait de devenir footballeur professionnel. Il avait fait le serment un soir en se couchant de rejoindre un grand club européen pour y faire une brillante carrière. Il voulait devenir riche et célèbre pour aider sa famille. Ce rêve d’enfant perdu ne s’accomplira jamais. Dans un pays au bord de l’implosion, ravagé par la crise économique et la désertion des touristes depuis la crise du Covid-19, gagner de l’argent pat tous les moyens est une aubaine. Même si cette aubaine est parfois son propre fils…
Les terribles confidences du père
Fin octobre, le papa de Doudou a payé de l’argent à des passeurs pour que ces derniers transportent de nuit son bambin par bateau jusqu’en Espagne avec escale aux Canaries. Charge ici à d’autres exploitants de la misère de le faire passer en France ou en Italie, vers l’Eldorado. Mamadou Lamine Faye, qui a fait embarquer son fils, a été arrêté mercredi dernier et placé en garde à vue « pour homicide involontaire et complicité de trafic de migrants ». Mieux, selon la presse, il est passé aux aveux. «Je voulais juste lui trouver un avenir meilleur», a-t-il confié aux enquêteurs. L’enquête révèle qu’il avait remis aux passeurs 250 000 Fcfa (environ 380 euros).
Pensionnaire du centre de formation Diambars
Originaire de Mbour, à 80 kilomètres au sud de Dakar, Doudou Faye était un jeune sénégalais doué pour le foot. Elève en classe 3e, il était déjà pensionnaire dans un centre de formation à Saly, une station balnéaire proche de la capitale. Cet institut a ouvert ses portes en 2003 sous l’impulsion de Jimmy Adjovi-Boco, Bernard Lama, Saër Seck et Patrick Vieira pour former les meilleures pépites sénégalaises, les futurs « Lions de la Teranga ». Mais son père voyait les choses autrement : pour lui, Saly c’était trop petit. Paris, Milan, Londres : voilà ce qui, selon lui, convenait à son petit prodige haut comme trois pommes. On lui a dit que son fils avait un avenir en Europe. Des recruteurs lui ont promis que Doudou allait devenir le plus grand joueur de sa génération. Mamadou Lamine Faye a écouté. Pire, il a cru ces intermédiaires sans scrupule qui lui ont affirmé qu’un club pro, probablement en Italie selon les premiers éléments de l’enquête, attendait son fils sur un tapis de roses.
Sa maman n’a pas pu lui dire adieu
La maman de Doudou n’a pas été mise au courant de cette entreprise criminelle. Elle n’a pas pu dire adieu à son fils. Seul et terrifié, Doudou a embarqué avec d’autres migrants entassés les uns sur les autres sur une pirogue pour rejoindre l’Espagne sur l’Atlantique via la côte de l’ouest africain. Un voyage terrible et dangereux qu’empruntent depuis quelques semaines des milliers de Sénégalais et d’Africains dans l’espoir d’un avenir meilleur. Doudou est tombé malade peu après le départ. Les trafiquants n’ont rien fait pour le soulager. Seuls ses rêves de football lui ont permis de tenir un peu mais Doudou, trop affaibli, a fini par succomber. Les passeurs se sont débarrassés de lui en le jetant par-dessus bord… Les rares témoins ont juré aux autorités qu’à cet instant, le petit garçon était déjà mort. Cela restera la version officielle.
«Il a offert sa vie au ventre de l’Atlantique»
« Il s’appelait Doudou, il avait 14 ans. Son père l’a mis dans une pirogue en direction de l’Espagne pour, dit-il, lui donner une chance de réussir dans la vie. Il a offert la vie de Doudou au ventre de l’Atlantique qui n’en a fait qu’une gorgée comme ces milliers de nos jeunes hommes et femmes engloutis par la grande bleue », a écrit sur sa page Facebook, le réalisateur sénégalais Maky Madiba Sylla. Un message abondamment relayé sur le continent africain. Au Sénégal, cette tragédie est devenue le symbole d’un pays en détresse et l’image des dramatiques émigrations clandestines. Plus de 1 500 migrants ont été interceptés sur les côtes du pays ces derniers jours. Des dizaines d’autres – un chiffre que réfutent les autorités sénégalaises – sont morts dans les mêmes circonstances que le petit bonhomme qui rêvait de football. Les passeurs ont été identifiés, mais ils courent toujours, prêts sans doute à recommencer leur sinistre besogne. Le corps de Doudou gît, lui, au fond de l’océan à tout jamais.