La veuve du guide des thiantacounes, Sokhna Aïda Diallo, est tombée en disgrâce à Touba. En revendiquant l’héritage de son mari, elle s’est attirée les foudres du Khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, et d’une bonne partie de la puissante confrérie.

Persona non grata à Touba. Au sein de la très influente confrérie mouride, deuxième plus importante du Sénégal, le statut est peu enviable. À fortiori lorsque l’on se revendique guide spirituel. C’est pourtant ce à quoi fait face l’autoproclamée « maraboute » Sokhna Aïda Diallo, qui s’attire depuis plus d’un an les foudres du khalife général des mourides et de nombreux dignitaires de la confrérie musulmane.

Dessous et non-dits d’une guerre de succession

La veuve de Cheikh Béthio Thioune, le très influent et très controversé guide spirituel des thiantacounes (un courant de la confrérie), est tombée en disgrâce dans la ville sainte du mouridisme. Au point de se voir interdire l’organisation de toute célébration religieuse à son domicile de la région de Diourbel à l’occasion du Magal de Touba – le principal pèlerinage de la confrérie –, célébré le 6 octobre dernier. Pour comprendre «la campagne d’ostracisation» dont fait l’objet cette quadragénaire, il faut remonter au décès de son mari, en mai 2019. Alors qu’il vient d’être condamné par la justice sénégalaise, notamment pour «complicité de meurtre», le cheikh décède brutalement en France. S’engage alors une guerre de succession entre sa cinquième épouse et son fils aîné Serigne Saliou Thioune «Gueule Tapée».

«La famille africaine est élastique. Dans les très grandes familles, il y a forcément des courants différents, des dysfonctionnements ou des incompréhensions », se contente de résumer un proche du défunt marabout. Ce disciple thiantacoune refuse de commenter le conflit, «surtout en période de Magal». Car dans la famille Thioune-Diallo, la question de la succession dépasse le champ du matériel. Entre le fils aîné de Cheikh Béthio et sa veuve, c’est avant tout l’héritage spirituel qu’on se dispute. Du moins en public. Le premier revendique son droit d’aînesse quand la seconde fait valoir que c’est le marabout des thiantacounes lui-même qui aurait émis le souhait de la voir mener ses fidèles après sa mort.

«Il est déjà arrivé qu’une femme hérite…»

«Sokhna Aïda Diallo est l’épouse d’un cheikh assez particulier dans la confrérie qui, déjà de son vivant, avait voulu faire d’elle un marabout. Mais Cheikh Béthio Thioune n’a jamais eu les prérogatives de nommer des cheikh, et encore moins des cheikhettes», balaie Cheikh Guèye, chercheur sur le mouridisme, dont il est un disciple. Selon l’universitaire, «la règle est claire : le fils aîné d’un marabout le devient à son tour lorsque son père décède. Ou alors quelqu’un est fait cheikh par le khalife général. En se revendiquant marabout, Sokhna Aïda Diallo a défié les règles du khalifat». En effet, il est déjà arrivé, au sein de la confrérie, qu’une femme hérite des disciples de son père, «mais uniquement dans le cas d’un héritage biologique», nuance Cheikh Guèye, selon qui «une femme ne peut pas diriger un homme à la prière, ni dans les pratiques cultuelles».

Des femmes marabouts, il y en a pourtant déjà eu au Sénégal, rappelle Ahmed Khalifa Niasse, chef religieux de la confrérie niassène et ancien ministre. «Quand l’islam est arrivé au Sénégal, il a trouvé le matriarcat et il l’a évincé. Mais, des femmes savantes en islam, ça existe partout. Il y a des maraboutes en islam. Chez les mourides, il y a d’ailleurs deux Magals, le Magal de Touba, dédié à Cheikh Ahmadou Bamba, et le Magal de Porokhane, consacré à Mame Diarra Bousso, la mère de Serigne Touba. Si on a une génération de femmes savantes qui connaissent mieux le Coran que les hommes, elles seront des maraboutes», revendique-t-il.

Étalage de richesses et «12 millions» de disciples

Selon Ahmed Khalifa Niasse, le différend qui oppose Sokhna Aïda Diallo et Serigne Saliou Thioune, derrière lequel se sont rangées les éminences mourides, est d’une autre nature. «Au-delà de la succession spirituelle de Cheikh Béthio Thioune, son héritage matériel engendre des tiraillements. Beaucoup se posent des questions sur l’origine de sa fortune et surtout sur son volume, qui serait colossal», croit-il savoir. Il faut dire que les thiantacounes ont la réputation d’être parmi les disciples les plus fervents et les plus généreux du pays. Et s’il en avait probablement moins que les 12 millions qu’il revendiquait de son vivant, «registres à l’appui», Cheikh Béthio Thioune comptait de nombreux fidèles.

Les images de ses «thiants» (action de grâce) témoignent de cérémonies fastueuses, où circulent des liasses de billets et des montres clinquantes, offertes au marabout. Un style opulent qui semble lui avoir survécu. Lors du dernier Magal, la presse sénégalaise a fait état de millions de francs CFA, d’un 4X4 de luxe, et même d’une villa avec piscine offerts à Sokhna Aïda Diallo. S’il est difficile de savoir si ce pactole est réel ou exagéré par des médias qui se repaissent de cette brouille depuis plus d’un an, il représente bien les fantasmes qui entourent les mourides.

Cheikh Béthio et sa veuve, sulfureux et controversés !

«Cheikh Béthio Thioune était un marabout en marge de la confrérie. Ses célébrations posaient des problèmes de bienséance, notamment du fait de l’étalage de ses richesses. Cet ancien haut fonctionnaire et disciple du cinquième Khalife général des Mourides (Serigne Saliou Mbacké) pensait qu’avoir beaucoup de talibés suffisait à faire de lui un marabout important, mais la vérité c’est qu’il a toujours attiré des disciples désœuvrés, parfois déséquilibrés, et que cela a toujours posé des problèmes à la confrérie», confie un spécialiste du mouridisme qui a préféré témoigner sous couvert d’anonymat.

Sulfureux et controversés, Cheikh Béthio Thioune et sa veuve ravivent la question de la légitimité de succession au sein de la confrérie mouride. Mais, selon le marabout Ahmed Khalifa Niasse, le problème qui se pose ici est lié davantage à la personnalité des protagonistes qu’à la question de la place des femmes. «Les femmes sont au centre de toutes les religions monothéistes, et elles le sont aussi au sein des confréries sénégalaises. Mais, Sokhna Aïda Diallo, qui se revendique maraboute, n’évoque ni le Coran ni les hadiths. Elle esquisse quelques pas de danse que tout le monde reprend. En islam, la spiritualité n’a jamais fait l’objet de pas de danse», ironise le chef religieux.

(Source : Jeune Afrique)