L’implantation à Dakar des antennes de Rfi en mandenkan et en fulfulde et le démarrage effectif d’un programme renforcé dans ces deux conglomérats linguistiques représente un événement majeur dans notre paysage médiatique. On ne peut donc que regretter que la presse ouest-africaine en général et sénégalaise en particulier, ne lui ait pas consacré la place qu’il méritait. Le choix de la capitale sénégalaise pour accueillir cette structure n’allait pourtant pas de soi.
Dans la sous-région, notre pays n’est pas en effet celui qui abrite les communautés mandenkan et fulfulde les plus nombreuses ni même les plus mobilisées pour la défense de leurs cultures respectives et nos médias, radios et télévisions, ne leur consacrent qu’une faible part de leurs programmes, quand ils ne les ignorent pas tout simplement. A défaut de Bamako, black listée par la France, Abidjan, pour le mandenkan, ou Conakry, pour le fulfulde, auraient été des choix plus objectifs car même si ces dernières capitales ne se trouvent pas dans leurs aires géographiques traditionnelles, les populations de langue dioula et peule y exercent une forte influence en raison de leur poids culturel ou économique.
On peut donc dire que le choix de Dakar est, d’une certaine manière, une forme d’illustration de «l’exception sénégalaise», le signe que, grâce à la relative sérénité de sa vie politique, à l’esprit de tolérance de ses populations et à leur cohésion sociale, notre pays mérite sa réputation de terre d’accueil et de stabilité. C’est donc une fois encore, l’occasion d’inviter nos politiques, et tout particulièrement nos dirigeants, à préserver cet acquis et à en faire le fondement même de notre culture politique. Mais l’important est bien ailleurs que dans cette faveur accordée à notre pays et qui, peut-être, a d’autres motivations moins avouables. L’important, c’est d’abord le seul fait que ces émissions, diffusées depuis une terre africaine, soient placées sous la responsabilité de femmes et d’hommes locuteurs des deux langues, formés au métier de journaliste, initiés aux méthodes modernes et ouverts au monde extérieur.
Cela nous change des «animateurs» formés sur le tas et dont quelques-uns ont été choisis par leur entregent plus que par leur compétence, ou des «communicateurs traditionnels» souvent enclins au travestissement ou à la laudation, et qui constituent le gros des troupes de ceux qui servent les langues locales sur nos antennes. Avec Rfi, les auditeurs en fulfulde ou mandenkan ont désormais accès aux mêmes informations que ceux qui l’écoutent en français et peuvent participer à des émissions interactives calquées, par exemple, sur le modèle d’émissions aussi populaires que «Appel sur l’actualité» ou «Alors on dit quoi ?».
C’est un changement de qualité significatif car, au Sénégal comme dans les autres pays de la région, les émissions en langue locale, même lorsqu’elle est appelée pompeusement «langue nationale» alors qu’elle s’est à peine émancipée de son vieil statut colonial de langue vernaculaire, tournent généralement autour des faits divers, quand elles ne se contentent pas de faire du folklore ou de la pseudo-histoire. Enfin, et ce n’est pas anodin, l’offre éditoriale de Rfi en mandenkan et en fulfulde est à la fois indépendante des pouvoirs locaux, politiques mais aussi religieux, plus fiable et plus pluridisciplinaire puisque tous les sujets sont abordés : la jeunesse, la santé, le genre, l’économie, l’environnement et bien sûr l’actualité, sans compter la revue de presse.
Mais le plus important, c’est sans doute que ces émissions brisent le carcan colonial dans lequel étaient enfermées nos cultures et nos parlers et qui a fait que nos indépendances ont ajouté à la balkanisation de nos pays celle de nos langues. Les chaînes de radio sénégalaises qui émettent en wolof ne se préoccupent guère du wolof diffusé en Gambie, quand elles ne le tournent pas en ridicule, le mandingue propagé par nos radios ne profite pas non plus des subtilités engrangées par le malinké de Guinée ou par le dioula de Côte d’Ivoire. La situation est encore plus rocambolesque pour les populations de langues peules qui constituent, peut-être à une exception près, des groupes minoritaires éparpillés sur un vaste archipel. Les émissions de Rfi en mandenkan et en fulfulde nous rappellent à tous qu’une langue n’est pas une nationalité, qu’elle est avant tout une culture.
Evidemment, pour parvenir à cet exploit, il a fallu que Rfi se dote de nouveaux moyens, mais elle s’est surtout donné du temps en augmentant les crédits horaires consacrés aux deux langues, tout en facilitant le relais de ses émissions par les radios communautaires et en offrant même à ses auditeurs la possibilité de la suivre sur les réseaux sociaux et sur les ondes courtes. La balkanisation de nos langues, amplifiée par le fait qu’elles ne sont pas généralement enseignées à l’école et qu’elles n’ont pas de supports écrits, a eu pour conséquence de faire d’elles, non des traits d’union entre les populations qui les véhiculent, mais des idiomes nationaux, reconnaissables par leurs accents ou leur vocabulaire.
Je ne peux pas me prononcer sur les sentiments des auditeurs de Rfi en mandenkan, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que ceux qui l’écoutent en fulfulde sont partagés entre la curiosité et l’émotion face à la confrontation, toute pacifique, de parlers d’une même famille qui, à leur grand désespoir, s’écartent les uns des autres au fil des jours. Ils sont sensibles aux efforts que font les journalistes venus du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso ou de Guinée pour d’abord se comprendre entre eux avant de se faire comprendre par leurs auditeurs et de construire par petites touches une lingua franca compréhensible par tous.
J’espère que leurs auditeurs sont prêts, à leur tour, à fournir le même effort, à se plier au même exercice et à s’apercevoir qu’ils parlent tous la même langue. D’ores et déjà, on peut dire que pour la première fois et sur une même radio les différences s’estompent entre pulaar, fulfulde, fulani et que chaque parler enrichit l’autre. Pour la première fois enfin, une chaîne de radio de grande diffusion émet chaque jour, sept jours sur sept, deux heures durant, dans une langue parlée par des dizaines de millions de personnes réparties dans près de quinze pays. C’est une double révolution.
(Source : Fadel Dia)
REPORTAGE : AU CŒUR DE LA NOUVELLE RÉDAC TION DE RFI EN FULFULDE-MANDENKAN
La rédaction de RFI en fulfulde-mandenkan a vu le jour ce 14 janvier. Fin 2020 déjà, l’équipe en mandenkan s’était étoffée avec plus d’une vingtaine de personnes venues du Mali, de Guinée, du Burkina Faso, de Côte d’ivoire et du Sénégal. L’antenne offre aujourd’hui quatre heures de contenus quotidiens, en langues peule et mandingue, sous forme de journaux, reportages et magazines. Le projet a été financé par l’Agence française de développement (AFD) pour notamment renforcer l’accès à une information fiable et indépendance au Sahel. Reportage.
Le jour n’est pas encore levé. Les matinaliers de l’équipe de la rédaction fulfulde-mandenkan de RFI rejoignent la radio. Ce matin, le thermomètre affiche un peu moins de 20 degrés, ce qui n’est pas si courant à Dakar. La corniche est balayée par des rafales de vents, obligeant certains journalistes à ressortir les gros pulls des armoires.
Blagues et café
Dans la salle de rédaction, les ordinateurs flambant neufs ronronnent. Au mur, le grand logo de RFI en blanc sur fond rouge. Georges prépare son édition. C’est lui qui ouvre le bal en mandingue à 7h TU. Ce matin, au sommaire de son journal : les élections en Ouganda, la visite d’une délégation de la Cédéao au Mali, les recherches de la jeune étudiante sénégalaise Diary Sow disparue en France. Les sujets s’enchaînent sans difficulté. « Ça déroule », comme disent les journalistes dans leur jargon.
Ça blague un peu derrière la vitre avec le technicien, mais tout est en ordre. Les copains et les copines, l’odeur du café, la rédaction est plongée dans l’ambiance si particulière des matinales à la radio. Georges est déjà un « vieux routier » de la radio, il était là dès le lancement à Paris des antennes mandenkan il y a déjà cinq ans.
Ensuite, c’est Didi qui s’installe dans le studio, large sourire derrière le micro, voix assurée. Elle passe en revue la presse ouest-africaine. Depuis le 14 décembre, date du lancement de la nouvelle rédaction, Didi a dû trouver son rythme. Le réveil sonne à 3h du matin. La matinale bouscule les organismes. Elle a tout essayé pour dormir. Le matin après les éditions, l’après-midi, le soir ? Finalement, elle a choisi de faire un mélange des différentes solutions. « On verra quelle est la meilleure », plaisante-t-elle.
Torrent de mots
La rédaction est jeune. Au sein des équipes, on parle le français, bien sûr, car c’est la langue que tout le monde comprend ici ; mais en petits groupes, soudain la discussion démarre en mandenkan ou en fulfulde, langues locales auxquelles se mêlent de temps en temps quelques expressions en anglais branché.
7h30 TU. Cette fois, ce sont les journalistes du fulfulde qui font leur entrée. Abdoulaye et Aïssatou, vêtus de jeans ou de tenues plus traditionnelles, selon les jours et l’humeur du moment. Lunettes en métal noir carbone, casque audio sur la tête, Abdoulaye impose son rythme. Il vient du Mali. Quand il « parle dans le poste », nul doute que le public l’écoute. Mais quand le rouge antenne s’éteint, il redevient un garçon discret.
Aïssatou, jeune Sénégalaise longiligne, donne un peu l’impression de se perdre dans les grands fauteuils de l’espace de travail. Quand elle parle dans le micro, les mots coulent comme un petit torrent. Seul le nom imprononçable d’un club de football allemand peut brutalement mettre fin à cette symphonie. Même pas peur ! Aïssatou présente chaque matin le journal des sports.
(Source : Rfi)