Alors que dans le camp de Macky Sall, certains ne font pas mystère de leur désir d’engloutir l’opposition tout entière, Ousmane Sonko assume de porter seul, ou presque, la contestation. Quitte à être la première cible du pouvoir. Voire, si l’on en juge par la plainte pour «viols et menaces de mort» dont il fait l’objet de la part d’une masseuse, à ses risques et périls.

Il n’y a pas si longtemps, il n’était encore que cet inspecteur des impôts turbulent, qui s’était fait connaître en accusant le chef de l’État de «corruption» et de «viol de la Constitution et du code pétrolier». C’était en 2016 et la sanction n’avait pas tardé à tomber : Ousmane Sonko était radié de la Fonction publique par décret présidentiel pour «manquement au devoir de réserve». Depuis, il a fait du chemin. Après avoir été élu député en 2017 et remporté 16 % des suffrages lors de la présidentielle de 2019, il est de fait devenu, à tout juste 46 ans, l’un principaux adversaires à Macky Sall. Voire l’un des derniers.

Levée de fonds et menace de dissolution de Pastef

Son propre parti, le Pastef, pourrait-il s’en trouver menacé ? Le 2 janvier, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, faisait savoir par voie de communiqué que la formation s’exposait «à la dissolution», comme «tout parti politique qui reçoit des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal». En cause : une campagne de levée de fonds internationale lancée le même jour par Pastef. Elle aurait déjà permis de récolter plus de 125 millions de Fcfa et 80 millions de promesses de dons, et les Sénégalais de la diaspora y ont largement contribué. «Les partis politiques ne peuvent bénéficier d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs de leurs adhérents et sympathisants nationaux, et des bénéfices réalisés à l’occasion des manifestations», rappelle pourtant le ministre.

Les équipes d’Ousmane Sonko dénoncent une «manœuvre d’intimidation» : «La cotisation de nos militants est notre seul mode de financement depuis la création du parti, précise le chargé de communication de Pastef, El Malick Ndiaye. Mais, le succès de cette campagne a fait peur aux autorités». Pastef enfreint-il la loi ou est-il la cible d’un pouvoir qui ne pouvait laisser passer pareille occasion d’entraver la progression de son adversaire ? Une chose est sûre : l’opposition sénégalaise est déjà très affaiblie par la mise hors-jeu de Karim Wade du Parti démocratique sénégalais (PDS) et de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, tous deux (toujours) inéligibles au Sénégal.

«Il n’est jamais bon pour un Président en fin de mandat de…»

Quant à Idrissa Seck, arrivé deuxième à l’issue du dernier scrutin présidentiel, et Oumar Sarr, transfuge du PDS, ils ont rallié la majorité à l’occasion du remaniement du 1 novembre 2020. Dans le camp de Macky Sall, certains ne font pas mystère de leur désir de voir l’opposition entièrement engloutie dans la machine BBY (Benno Bokk Yakaar). Pour gouverner plus «confortablement» et sans contestation, et préparer au mieux la présidentielle de 2024, à laquelle il ne peut participer selon la Constitution, le président n’a pas hésité à se séparer de plusieurs de ses plus proches ministres. «Il a toujours voulu éviter un combat des chefs, explique l’un de ses conseillers. Il a eu le courage de couper des têtes pour éviter que le travail du gouvernement ne soit parasité.»

«On allait droit vers une cacophonie et une guerre fratricide, renchérit un observateur de la vie politique sénégalaise proche de Macky Sall. Il fallait clarifier la situation.» En écartant ces «ambitieux», Macky Sall s’est aussi rapproché de personnalités à l’ancrage territorial marqué : Idrissa Seck à Touba, Oumar Sarr à Dagana et Aïssata Tall Sall dans le Fouta pourraient renforcer sa coalition lors des prochaines élections locales. «Il n’est jamais bon pour un Président en fin de mandat d’être minoritaire dans les collectivités», assure son conseiller. Une stratégie qui «relève de la politique à l’ancienne», tacle un cadre déçu de l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel) pour qui «coopter un chef de parti n’équivaut pas à coopter ses bases».

Un radical arc-bouté sur sa position antisystème

Ousmane Sonko, lui, se veut confiant. Mieux, il se satisfait de découvrir le «vrai visage» d’opposants qui, selon lui, n’en étaient pas ou plus. Le député «patriote», arc-bouté sur sa position antisystème, assume de porter seul, ou presque, la contestation contre le régime de Macky Sall. Agitateur pour les uns, tribun pour les autres, il a su trouver son public et son électorat en un temps record. «Les Sénégalais en ont assez des acteurs politiques versatiles, qui changent de camp au gré de leurs intérêts», confiait-il à Jeune Afrique en novembre. Un constat partagé par un ancien compagnon de route de Macky Sall.

«Ce serait un danger de penser que déstructurer l’opposition est un moyen de gagner des élections, car l’opposition est un canal qui permet de rassembler la frustration des populations. Sans interlocuteurs, le débat se joue entre le pouvoir et la rue, analyse notre source. L’opposition, c’est comme l’eau qui coule. Si vous l’empêchez de passer d’un côté, elle finira toujours par couler ailleurs.» En tout cas, Sonko revendique une ligne radicale et constante. Il compte sur la levée de fonds lancée début janvier pour consolider sa position de challenger face à Macky Sall et préparer les prochaines élections locales, déjà reportées, dont la nouvelle date n’a pas encore été fixée.

(Source : Jeune Afrique)