Me Augustin Senghor compte s’appuyer sur sa solide expérience, accumulée en 12 ans à la tête de la Fédération sénégalaise de football (FSF), pour présider aux destinées de la Confédération africaine de football (CAF). Dans un entretien avec Intelligences Magazine, l’avocat spécialisé en droit des affaires et maire de Gorée évoque la mauvaise passe que traverse l’instance faîtière, lève un coin du voile sur son projet pour relancer la CAF et revient sur son bilan aux commandes de la FSF.
Vous briguez la Présidence de la Confédération africaine de Football (CAF) dont l’élection est prévue en mars prochain. Depuis quand cette candidature a commencé à germer dans votre esprit ?
Cette candidature s’est imposée d’elle-même, aussi bien à moi qu’aux autres. Je pense que c’est l’aboutissement de tout un processus, qui a commencé depuis près de onze ans ; de sorte que, dans l’environnement où j’étais, pas mal de dirigeants africains et même mondiaux me disaient, qu’en vertu de mon expérience et de mes compétences, je devrais songer à briguer la présidence de la CAF. Mais, pour dire vrai, c’est lors des six derniers mois que l’idée s’est vraiment installée.
Quels enjeux, ceux qui vous demandaient de vous présenter, voyaient-ils autour de votre candidature ?
On s’est rendu compte que, depuis 28 ans, on avait un Président (Ndlr : le Camerounais Issa Hayatou) en place, qui a réalisé d’excellentes choses, mais il n’y avait pas eu assez de changements dans le personnel dirigeant de la CAF, ni d’initiatives. Et la nouvelle génération, que nous représentions, était avide de ce changement. Nous voulions nous tourner vers une nouvelle page, avec une CAF plus moderne, qui puisse s’adapter aux nouvelles réalités, ce qui me semble légitime. C’est à partir de là que les gens ont commencé à penser à ceux qui pouvaient être les successeurs du Président Hayatou en particulier.
En présentant un diagnostic de l’état général du football africain, vous avez été bienveillant vis-à-vis de celui que vous voulez remplacer. Est-ce que vous souhaiteriez que l’on vous perçoive comme le candidat de la rupture, de la continuité, du changement dans la continuité ? Comment aimeriez-vous qu’on vous perçoive ?
Nous sommes à une période charnière de l’histoire de la CAF. Cette instance traverse des moments particulièrement difficiles. Mais ce n’est pas une raison pour faire l’erreur de tout jeter à l’eau. En réalité, certains aspects de l’état des lieux permettent de dire qu’il y a eu des avancées notables qu’il faut consolider. Les aspects les plus importants, qui ont été sources des difficultés de la CAF, c’est là qu’il faut une réforme totale. Cela va de la réforme de nos textes en vigueur, de la révision de notre ordonnancement juridique à la réforme organisationnelle, aussi bien des organes de gouvernance que des organes indépendants… Nous avons de la matière pour pouvoir bâtir sur l’existant. Mais il va falloir procéder aux ruptures nécessaires qui vont nous propulser au niveau des autres confédérations dans le monde, c’est-à-dire une confédération moderne basée sur l’éthique de gestion, la transparence, mais surtout assurer une meilleure attractivité de la CAF.
Concrètement dans votre programme, pouvez-vous nous donner un ou deux exemples de ce que vous allez faire, si demain vous êtes élu, pour notamment lutter contre le manque de transparence que beaucoup dénoncent ?
Comme je le dis, ce sont les textes, les statuts et les règlements qui sont à moderniser et mettre en adéquation avec l’objectif de bonne gouvernance qu’on s’est fixé. C’est aussi mettre en place le personnel humain nécessaire pour pouvoir appréhender les problèmes, pouvoir les traiter. Mettre en place des manuels de procédures qui permettent de gérer de manière assez cohérente et transparente les affaires d’une institution quelle qu’elle soit. Mettre des organes de contrôle forts et indépendants. Ce qui n’existe pas encore… Sans code d’éthique, ni commission d’éthique, comment peut-on évaluer le travail en termes de gouvernance, en termes de transparence, si on n’a pas les instruments nécessaires.
Le président Ahmad avait été épinglé pour une affaire de corruption et de détournement de fonds. Il a ensuite été suspendu de ses fonctions, puis réintégré suite à une décision du Tribunal arbitral du sport (TAS). Avez-vous été surpris par cette décision ?
Pas du tout. Pas du tout. Comme je l’ai dit, il faut respecter jusqu’au bout les principes de la présomption d’innocence et les droits à la défense. Pas du tout. Comme je l’ai dit, il faut respecter jusqu’au bout sa présomption d’innocence et ses droits à la défense. Au finish, nous saurons ce qui sera décidé. Donc moi ça ne me surprend pas. Ça ne remet en cause aucun aspect de notre démarche personnelle en tant que candidat…
En lançant votre campagne, vous avez déclaré vouloir rendre le football africain plus uni, plus performant et plus attractif. Aujourd’hui, quelle atmosphère avez-vous ressentie dans cette campagne ? Quand on parle d’unité africaine, est-ce que vous sentez des divisions entre le Maghreb, l’ouest, l’est, le sud etc. ?
Le constat que j’ai fait, c’est celui d’une balkanisation sportive du football africain. Il faut regarder ce qui se passe avec les unions zonales. C’était censé être un moyen d’action de la CAF pour pouvoir travailler à la base, toucher le maximum d’acteurs du football et le maximum d’associations nationales. Mais c’est devenu un instrument politique pour faire élire ou faire tomber des dirigeants, de sorte que, sans se rendre compte, il y a eu une cristallisation des positionnements géographiques. L’autre problème que pose la balkanisation, c’est la division de la CAF en groupements linguistiques. Une division qui pose des soucis de distribution de positions au sein des instances de la CAF.
Pas de sentiment d’inachevé ou de regrets ?
Dans les entreprises humaines, et je pense que ce n’est pas propre au football, chacun vient faire sa partition avant de partir. Je peux avoir une pointe d’amertume parce qu’en 2019, on perd cette finale sur rien du tout. Mais je suis fier du travail que l’on a fait. Aujourd’hui, on est premier en Afrique sur le classement Fifa depuis plusieurs années. Nos équipes de jeunes brillent partout depuis cinq ou six ans et surtout, on a acquis une stabilité à nulle autre pareille. Si on se souvient de la situation de notre football dans les années 2006 à 2008 et si on voit le chemin parcouru dix ans après, nous pouvons dire que le bilan est largement positif.
Si vous êtes élu président, vous allez quitter vos fonctions de président de la Fédération sénégalaise de football. Comment vivez-vous avec cette perspective ?
De manière sereine. En 2009, cela s’est fait naturellement parce que je ne suis pas quelqu’un qui est dans une logique de carrière et d’ambition personnelle. Aujourd’hui également, être candidat à la CAF relève d’un processus logique et normal. Je crois à une notion qui est très forte, celle du destin et le destin est tracé, chacun à sa mission à remplir. Quand cette mission se termine, il faut passer à autre chose en allant de l’avant. Aujourd’hui, si une étape est franchie et que je me retrouve à être candidat à la CAF, c’est que, mentalement, je me suis prêt à quitter la présidence de la Fédération, parce que j’ai toujours pensé qu’un jour ou l’autre j’allais quitter, en ayant apporté ma contribution.