Autant la prolifération du Typha australis étouffe le Lac de Guiers, autant la multiplication hors normes des partis politiques affaiblit la démocratie sénégalaise, car participant à l’atrophie des organisations partisanes censées l’animer. Si le parti au pouvoir additionne souvent, les autres, mêmes membres de la majorité, vivent au quotidien le spectre de la scission. Leur grand nombre les éloigne de leur fonction première : rassembler pour aller à la conquête des suffrages. Certes, depuis 2000 et l’arrivée aux affaires avec le Président Wade de la «Coalition Ca 2000» devenue Cap 21, elles-mêmes héritières de plusieurs fronts constitués dans l’opposition au régime socialiste, le temps est aux grands regroupements dans l’exercice du pouvoir. Un peu plus loin dans l’histoire politique du Sénégal, la longévité au pouvoir exécutif des socialistes (1957-2000) s’explique, en partie, par les regroupements initiés par le Président Senghor dans les années 1960, avec notamment le Pra/Sénégal après avoir fait la paix avec Me Lamine Guèye une décennie auparavant. Aujourd’hui, la tendance est à l’éclatement même si, paradoxalement, un parti né d’une scission peut se retrouver dans la même coalition électorale que la formation dont il est issu. Les partis ne peuvent plus faire l’économie de divergences. La contradiction y débouche le plus clair du temps sur le départ d’un membre influent qui crée, à son tour, sa propre organisation.
Le dernier divorce ? Ancien vice-président de «Rewmi», le député Déthié Fall a lancé dimanche dernier le Parti républicain pour le progrès (Prp) «Disso Ak Askan Wi», après seize ans de compagnonnage avec l’actuel Président du Conseil économique, social et environnemental, Idrissa Seck. Il y a cinq mois, le nouveau chef de parti avait été rétrogradé au poste de secrétaire national de «Rewmi» chargé du développement industriel. Le 27 novembre suivant, il avait vivement critiqué la politique gouvernementale, alors que moins de vingt jours plus tôt, Idrissa Seck avait rejoint dans la surprise générale la majorité présidentielle et noué une alliance avec le Président Macky Sall. Le divorce était consommé. Scénario classique… Le Sénégal compte pas moins de trois cent vingt-six (326) partis politiques. Parmi ces formations politiques, peu, moins de 30, ont une existence conforme à la loi, informait «Le Soleil» en décembre 2019 dans un dossier consacré à la floraison des formations ayant un récépissé. Et, depuis 32 ans, malgré les Constitutions de 2001 et 2016, la loi 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques n’a pas été modifiée. Les congrès statutaires se tiennent épisodiquement, les comptes financiers sont opaques et on compte sur les doigts des deux mains les partis qui ont siège digne de ce nom.
La crise du militantisme n’explique pas tout et il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. Ici, les formations les plus influentes animent leurs structures, renouvellent leurs instances de base (Ps), vendent des cartes de membre (Pds) ou animent une «école» du parti. La démocratie interne, le mode de dévolution des responsabilités et les orientations sont généralement idéales dans les textes constitutifs. Mais, on voit que tout dépend de la conjoncture politique, des options du leader-fondateur et, surtout, de la poche de ce dernier. Or, c’est connu, qui paie commande. Et la gestion des égos, centrée autour de la proximité avec le chef, ne vient rien arranger. Naturellement, les divergences sur l’orientation ont fait le lit de maintes scissions dans les partis politiques, surtout de Gauche. Mais, le plus clair du temps, on quitte le parti car on estime ne pas y être respecté à hauteur de sa «valeur». C’est une tendance lourde qui semble loin de s’estomper. Preuve que les positionnements personnels (sans capital idéologique ou doctrinal) sont une explication à la prolifération des partis, ces derniers croissent en nombre après chaque élection présidentielle suivie d’un changement à la tête de l’Etat.
Hormis la période qui a suivi l’ouverture de 1981, ce sont après les élections que les fractures s’opèrent. Combien de partis sortis des flancs du Ps après sa défaite de 2000 ? Combien du Pds après 2012 ? Voilà maintenant 30 ans, en 1981, que le Président Abdou Diouf avait ouvert les vannes du multipartisme intégral. Durant de longues années, cela a été un point positif. Mais depuis quelques temps, la nécessité d’une régulation s’impose à la démocratie sénégalaise sans restreindre les avancées obtenues. Car le nombre élevé de partis banalise le discours, l’uniformise et entretient le culte du chef charismatique qui décide de tout. Résultats, comme dans les arènes, le jeu politique devient une dialectique du «moi» au grand dam des tenants du débat d’idées. Jusqu’à faire regretter les «Quatre courants» de 1974… Dans ce cadre, la question du financement des partis est l’un des points saillants du volet politique du Dialogue national. Des réformes qui sortiront des réflexions menées dans ce sens, trouverons-nous, peut-être, les moyens de réguler la création des partis politiques dont la plupart ne correspondent pas, dans leur fonctionnement de tous les jours, au label démocratique que le Sénégal dit détenir.