Pour un Sénégal libre et démocratique : L’étendard toujours flottera au vent…

Lorsque le jeune graffeur Docta m’a fait parvenir des images de sa dernière fresque  sur le mur du stade Iba Mar Diop, sise à l’avenue Blaise Diagne, à la Médina, titrée « Free Sénégal »,et célébrant la révolte populaire du mois de mars passé ainsi que les semblables évènements qui ont jalonnés le cours de l’histoire du Sénégal indépendant, en 1968, 1988, 1993, 2011 et 2021, je me suis souvenu d’un texte de jeunesse, écrit dans les années 1980, intitulé « L’étendard toujours flottera au vent… » Et j’ai accompli un voyage à rebours dans le temps. Et j’ai fait le constat que les choses n’ont pas beaucoup évolué, chez-nous. Car il m’a semblé que le même sentiment de révolte traverse les deux œuvres, malgré les décennies qui les séparent.

Oui, me suis-je dit alors, le Sénégal soupire, le Sénégal pleure, le Sénégal expire… Car « les Sénégalais sont fatigués », toujours, comme disait le président Kéba Mbaye. Trop fatigués. Plus que fatigués, hélas ! Ils ont faim. Ils ont soif. Ils ont peur… Et, l’étendard dans la main, une certaine « jeunesse malsaine » qui « préfère être libre en prison qu’être prisonnier dans la rue », toujours, portera le combat…

Voici le texte, quelque peu naïf, quelque peu mal écrit, il est vrai, mais plein de spontanéité, comme une pierre qu’on lance pour calmer les vagues d’une poitrine en colère, pleine de feu, comme un volcan :

Les ténèbres perdurent

Le Sénégal soupire

Car le vampire a la peau dure

Et les dents dans ma chair qui bouge

Il s’engraisse de mon sang rouge

Sang rouge d’une âme frémissante

L’obscurité m’a absorbé

Mes membres sont torturés

Et les vautours en chœur

M’ont dérobé le cœur

Cœur battant à la peau ridée

Et saignante

Je ne suis plus qu’un expire

Qui ne cesse de s’épaissir

Sous des morsures à n’en plus finir

Mais me dis-je malgré mon martyr

Le vertige et la crise

Ne me feront pas lâcher prise

L’étendard toujours flottera au vent

Dans ma main rebelle amaigrie par l’anémie

Pour découvrir le visage haineux de l’ennemie

Qu’il nous faudra combattre sans trêve

Et demain tout s’effacera comme un mauvais rêve

Sous le soleil de l’amour un jour

Vivront des hommes pour toujours…

Bref… Que les haines et rancœurs soient dépassées. Que pointe le soleil de l’amour et de la réconciliation au Sénégal et partout dans le monde… Merci l’artiste, de m’avoir replongé dans l’univers de ma jeunesse. Merci de m’avoir fait voyager. N’est-ce pas cela le miracle de l’art ? J’invite les présidents Macky Sall, Moustapha Niasse, Idrissa Seck et les autres, à faire un crochet à la Médina pour voir l’œuvre. Je les invite à lire plus souvent nos murs. À lire nos visages. À lire nos regards… Peut-être entendront-ils nos cœurs. Peut-être se souviendront-ils de leurs colères et révoltes de jeunesse, de leurs nuits blanches et du brasier de leur poitrine et comprendront, demanderont pardon et pardonneront ? Peut-être se souviendront-ils de leurs discours d’alors, des prières adressées à Dieu et aux Saints et des promesses faites à eux même et aux populations ?

J’invite Khalifa, Sonko, Bougane, Barth et Marius à entreprendre le voyage. À écouter la clameur silencieuse. Celle-là que ne rythment pas les grenades lacrymogènes, qui ne pose pas de barricades, n’ameute pas les foules et les flics, n’affole pas les pères et mères de famille et ne cherche à manipuler ni presse ni autorités religieuses ni autorités coutumières ni jeunesse en colère. Ils se rappelleront peut-être tous les trains manqués par notre peuple, les paradis rêvés depuis Blaise Diagne et Mamadou Dia ? Ils comprendront peut-être les guéguerres politiciennes, les complots et dénonciations, les insultes et vociférations, les emprisonnements arbitraires, le refus de nos gouvernants d’assumer notre indépendance vis-à-vis de la France et le mystère de la transhumance politique et du reniement des opposants qui accèdent au pouvoir et oublient leurs engagements, oublient leurs serments, oublient leur peuple ? Peut-être qu’alors ils oublieront d’oublier, quant à eux, et travaillerons véritablement à changer les choses. Je le leur souhaite vivement. Je le souhaite à nous tous. À tous les Sénégalais.

ABDOU KHADRE GAYE

ÉCRIVAIN

PRÉSIDENT DE L’EMAD