Parce qu’ils sont historiquement implantés sur la presqu’île du Cap-Vert, les Lébous estiment que la mairie de la capitale devrait leur revenir à l’issue des élections locales de janvier 2022. Une revendication ethno-politique qui détonne au Sénégal.

Mi-juin, réunis en grand conclave à Dakar, sur la plage dite de la Mosquée de la Divinité, les Lébous ont donné de la voix. Les membres de cette communauté, géographiquement concentrée sur la presqu’île du Cap-Vert qui héberge la région de Dakar, ont énuméré leurs revendications : que les droits de leurs pêcheurs soient mieux défendus face aux bateaux-usines chinois, que les terrains désaffectés de la capitale leur soient prioritairement réattribués et surtout, car c’est bien là ce qui a retenu l’attention, que la mairie de Dakar leur revienne à l’issue des prochaines élections locales, prévues en janvier 2022.

Levée de boucliers contre tout «ethnicisme municipal»

Les Lébous ont précisé que deux ministres pouvaient selon eux prendre les rênes de la capitale : celui de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, qui est l’actuel maire de la commune de Yoff, ou son collègue chargé de la Pêche, Alioune Ndoye, déjà maire de Dakar-Plateau. Tous deux étaient présents lors du fameux conclave et ils n’ont pas bronché lorsque les notables de leur communauté (Abdoulaye Makhtar Diop, Grand Serigne de Dakar, ainsi que l’Imam de la Grande mosquée de la capitale) ont exprimé leur souhait de faire de l’un ou de l’autre leur champion. En réclamant la mairie au nom d’une obligation d’autochtonie, les Lébous portent-ils un sérieux (et inédit) coup de canif à la cohésion nationale ?

«Ce pays est bâti sur des cohésions qu’il ne faut pas fragiliser»

Acteur de la société civile et directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé s’érige «contre tout ethnicisme, y compris municipal». Lui-même se décrit comme «Lébou et Sénégalais bon teint». «Ces discours n’engagent que leurs auteurs. Tout discours, ethniciste ou régionaliste est à bannir, insiste-t-il. Demain, est-ce que les Halpulars ne vont pas dire qu’il faut être un bon Halpular pour être président ? Et est-ce que les Casamançais ne vont pas faire de même ?». «Ce pays est bâti sur des cohésions qu’il ne faut pas fragiliser, ajoute-t-il. Le président Macky Sall devrait appeler les ministres concernés à se désolidariser de ce type de revendications», tranche-t-il. Mais, les Lébous ne sont-il pas «chez eux» dans la ville de Dakar, qu’ils ont fondée au 15ème siècle après avoir fui les royaumes de l’intérieur du pays pour se réfugier dans la presqu’île du Cap-Vert, et ce avant que les Français ne «fondent» à nouveau Dakar en 1857 ?

Ces erreurs fatales qui ont affaibli les Lébous

«À Rufisque, Ouakam, Ngor, Yoff, Bargny, Sendou ou Toubab Dialaw, les populations ne sont plus majoritairement léboues, poursuit Moundiaye Cissé. Les Lébous ont commis beaucoup d’erreurs au cours de ces deux dernières décennies et c’est ce qui les a affaiblis.» Une critique qui fait référence au fait qu’il n’y a pas un mais deux Grands Serignes de Dakar (autrement dit deux chefs supérieurs lébous), élus par les membres de la communauté, et que l’État les traite avec une égale considération : le député Abdoulaye Makhtar Diop, ex-ministre d’Abdou Diouf, et Pape Ibrahima Diagne, fils du précédent Grand Serigne. «Les Lébous doivent s’adapter et s’organiser différemment. On ne peut plus être une communauté fermée», conclut Moundiaye Cissé.

«Dangereuse ethnicisation de la politique»

Abdou Khadre Lô, consultant et analyste politique, va dans le même sens : «Mamadou Diop, qui a été maire de Dakar de 1984 à 2002, était Lébou. Mais, ça n’était pas le cas de Khalifa Sall ni de Soham Wardini. Quant à cette revendication, elle me paraît d’autant plus inopportune que Dakar est un carrefour et on ne peut pas dire qu’un groupe ethnique y prédomine. La capitale sénégalaise est un creuset et un melting-pot, qui compte quatre millions d’habitants de toutes origines du fait de la centralisation de l’administration et de l’économie. La communauté léboue est peut-être la communauté autochtone, mais elle n’y est pas majoritaire.» Abdou Khadre Lô de conclure : «Avoir un fief ou un bastion, c’est normal. Ce qui est dangereux, c’est cette forme d’ethnicisation de la politique».

La boîte de Pandore (finalement) ouverte…

Les Lébous ont-ils (finalement) ouvert la boîte de Pandore ou surfent-ils sur l’air du temps ? En octobre dernier, le député Aliou Dembourou Sow de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) au pouvoir avait appelé la communauté peule «à prendre les machettes pour défendre la candidature de Macky Sall à un troisième mandat en 2024». Une déclaration à l’emporte-pièce qui avait fait scandale et à la suite de laquelle une plainte avait été déposée devant le tribunal de grande instance de Dakar. Pour ce qui est des Lébous, ils seraient, selon les estimations, environ 200 000. Pour (re)prendre la mairie de Dakar, ils devront donc convaincre en dehors de leurs rangs. L’avenir nous édifiera.