Le ministre auprès du président de la République chargé du suivi du Plan Sénégal Émergent (PSE), Abdou Karim Fofana, se prononce, dans cet entretien exclusif, sur les questions brûlantes de l’actualité.
M. le Ministre, on sait que le Plan Sénégal Émergent (PSE) est le bréviaire du régime et la feuille de route du gouvernement. Comment se porte-t-il aujourd’hui ?
Le PSE se porte bien même si la crise sanitaire mondiale et ses conséquences sur l’économie nous ont amenés à nous réajuster notamment en adoptant le Plan d’Actions Prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A).
Nous avons produit, il y a quelques semaines, un document bilan 2014-2020 du PSE. Cela permet de voir les résultats satisfaisants que nous avons obtenus sur les batailles clés dans cette première phase et une projection sur les défis.
D’abord, il faut rappeler la méthode du PSE et ses promesses. Il s’agissait pour le Président Macky Sall d’initier une planification à long terme pour le Sénégal sur un horizon à 20 ans. Avant le PSE, nous étions sur une série de plans quinquennaux orientés vers la réduction de la pauvreté.
Donc le PSE a apporté une nouvelle approche «long-termiste» avec des objectifs globaux que sont la transformation structurelle de notre économie, la justice sociale et l’équité territoriale entre autres.
Sur la méthode toujours, le PSE procède par priorisation et par séquencement.
Au lieu de mettre sur pieds et de suivre 200 ou 300 projets qui doivent aider à atteindre le but ultime, ici ce sont 27 projets et 17 reformes phares qui font l’objet d’un monitoring quotidien par le cabinet du Ministre en charge du suivi du PSE et les équipes du BOS (Bureau Opérationnel de suivi du PSE).
Enfin, le séquencement concerne l’organisation des projets par PAP (plan d’action prioritaire) de 5 ans qui nous permet de lancer et de suivre graduellement les projets et réformes phares. Cette méthode du Président de la République est efficace et a donné des résultats concrets.
Par exemple, l’année 2020 est marquée par des productions records de céréales et d’arachide. Le secteur minier est devenu un véritable moteur d’exportation pour avoir rapporté 790,8 milliards FCFA de devises en 2019.
Le secteur des infrastructures a enregistré des réalisations d’envergure dans la période 2012-2019 notamment dans le volet routier et autoroutier avec la livraison des autoroutes Diamniadio-AIBD, AIBD-Thiès-Mbour, ou Thiès-Touba, qui ont permis d’atteindre un linéaire d’autoroutes de 233 km à fin 2019 contre 35 en 2012.
Dans le secteur de l’énergie, la puissance installée est passée de 573 MW en 2012, à 1 206 MW en 2019 et enfin 1 529 MW en 2020. Le Sénégal a aussi doublé son taux d’accès à l’électrification rurale en moins de 10 ans.
Sur les réformes, je vous donnerai juste un exemple, l’ensemble des sociétés du Secteur parapublic ne versaient que 4 milliards de francs CFA en 2012, aujourd’hui ce mon tant a atteint 50 milliards de francs CFA. Il s’agit là d’une série de performances que je vous cite pêle-mêle et qui vont dans le sens des promesses du PSE.
Il est de notoriété publique que le chef de l’État attache beaucoup d’importance au suivi des projets du PSE. Selon des indiscrétions, vous êtes un des rares ministres à faire un exposé tous les mercredis. Comment cela se passe ?
C’est l’occasion de rendre un hommage mérité aux équipes du BOS pour le travail quotidien effectué. Cet hommage est dû aussi à tous mes prédécesseurs à cette station qui ont pérennisé ce modèle.
En effet il a été mis en place un dispositif de suivi des directives du président de la République sur la mise en œuvre des projets et réformes phares du Plan Sénégal Émergent.
La méthode s’articule autour de huit points à savoir : le projet ou réforme phare concerné, la structure concernée, les directives du président de la République, le délai, le statut c’est-à-dire si c’est non lancé, en cours de réalisation ou réalisé, l’état d’avancement, les problèmes rencontrés et les recommandations au président de la République.
Lors de chaque réunion hebdomadaire du conseil des ministres, nous faisons le focus sur un projet ou une réforme phare suivant ce dispositif pour permettre au Chef de l’État de prendre les décisions qui s’imposent.
C’est un dispositif un peu méconnu du grand public avec une cinquantaine de personnes en interne sans oublier les chefs de projet et les points focaux dans les ministères et les structures publiques qui exécutent les projets.
L’objectif est de régler chaque semaine que compte l’année un problème majeur concernant un projet ou une réforme phare du PSE. Cela nous permet de régler au moins 40 à 52 problèmes dans l’année sur des sujets majeurs qui doivent structurer le Sénégal à l’horizon 2035.
C’est une méthode qui a fait ses preuves au point d’inspirer d’autres pays. Nous avons reçu récemment des délégations venues de la RDC, du Mali, du Burkina Faso et du Maroc composées de membres de l’équivalent du Bureau Opérationnel de Suivi chez nous. Ils étaient venus s’imprégner de notre manière de travailler pour plus d’efficacité dans la conduite des affaires publiques chez eux.
Malgré tout cela, l’opposition continue de flétrir le projet de gouvernance du Président de la République. Comment vivez-vous toutes ces critiques de l’Intérieur ?
Vous savez l’opportunisme politique n’a jamais fait bon ménage avec la vertu. Nous sommes en face de deux types d’opposants, ceux qui veulent faire oublier leurs fautes morales et ceux qui n’ont pas pu mobiliser un nombre suffisant de parrainages pour la présidentielle et qui veulent continuer à jouer les prolongations.
Donc, l’opposition cherche à être dans son rôle tant qu’elle reste dans les valeurs et principes républicains. Et nous notre rôle est de travailler et d’expliquer ce que nous faisons car, à la fin, les populations restent seuls juges de notre action. Nous aurions pu attendre des critiques constructives de l’opposition que nous pourrions inclure dans notre feuille de route.
Malheureusement, elle est, dans son écrasante majorité, constamment dans l’invective, la manipulation et le procès d’intention. Par exemple, elle nous avait dit, en son temps, que le président de la République avait décrété l’État d’urgence et fait voter une loi d’habilitation pour prendre toutes sortes de décisions en porte à faux avec la démocratie, sans passer par l’Assemblée nationale.
Au bout du compte, ses membres ne peuvent pas sortir une seule décision allant dans ce sens et prise dans ces conditions. Et au lieu de faire amende honorable, ils persistent dans ce procès d’intention.
Pour reprendre -ne serait-ce qu’Ousmane Sonko, le leader de Pastef, qui a récemment fait une conférence de presse- « votre gestion du pays est catastrophique dans tous les domaines ». Que répondez-vous à cela ?
Ousmane Sonko veut simplement profiter du malheur causé aux sénégalais par la situation sanitaire pour faire oublier sa responsabilité dans les évènements douloureux de mars dernier, avec son appel à l’insurrection suivi d’une menace de 2e vague.
Nous aurions attendu de lui plus de responsabilité et de compassion pour les sénégalais. Il souffle le chaud et le froid à propos de la vaccination, par exemple, et ne donne pas le bon exemple, alors que c’est le seul moyen largement accepté par la communauté scientifique pour réduire les risques de contagion et développer une immunité collective.
On comprend que ce qui l’intéresse c’est de tirer son épingle du jeu politique. Tout ce qu’il dit, est exprimé avec une légèreté déconcertante. Il dit beaucoup de choses sans aucune maitrise de son sujet.
Relativement à sa dernière sortie, c’est méconnaitre son sujet que de minimiser l’importance de la résilience économique en de telles circonstances, en déclarant qu’il fallait en priorité s’occuper du problème sanitaire car il a causé le problème économique. C’est méconnaitre son sujet que de dissocier les deux.
À partir du moment où, comme partout ailleurs dans le monde, il faut vivre avec le virus car sa capacité de mutation le rend difficile à combattre, nous avons mis des moyens dans le système de santé et avons insisté dans la résilience et la relance de l’économie. Si cela n’avait pas été fait, nous serions en train de gérer une grave crise économique aux conséquences sociales dévastatrices.
Aujourd’hui, en plus d’avoir évité cet effondrement social que d’aucuns prédisaient, le Sénégal a signé des partenariats internationaux pour la production de vaccins. En outre, c’est par souci de transparence que le Fonds Force Covid, dirigé par le Général François Ndiaye, a été mis en place. Si nous voulions gérer ces fonds de façon nébuleuse, ce dispositif de suivi n’aurait pas été mis en place.
L’autre chose est qu’Ousmane Sonko, je m’en rends compte avec stupéfaction, ne sait pas ce qu’est un confinement. En effet, je l’ai entendu dire qu’il ne fallait pas accepter un nouveau confinement. Or l’État, depuis le début de cette crise, n’a jamais opté pour le confinement.
Couvre-feu, interdiction des déplacements entre régions, fermeture de certains lieux publics, incitation au télétravail, respect des mesures barrières…voilà ce qui a été adopté. En dehors des heures de couvre-feu lorsque c’était en vigueur, les Sénégalais ont pu vaquer à leurs occupations.
On est en confinement quand on oblige les gens à rester chez eux de jour comme de nuit sauf pour des urgences ou autres choses bien encadrées telles que les soins médicaux, les courses alimentaires ou la pratique du sport en quelques dizaines de minutes et pour lesquelles il faut une autorisation permettant de sortir.
En France, par exemple, il fallait remplir et télécharger un formulaire dont les indications étaient très contraignantes. La violation de ces règles était pénalement punie. Nous n’avons jamais opté pour cela.
Que pensez-vous de la gestion de la troisième vague du Covid-19, avec son lot de morts et de malades ?
Vous savez, en temps de crise, les intelligents cherchent des solutions et les autres des boucs émissaires. Ainsi, je voudrais d’abord apporter une précision. Certains opposants font preuve de mauvaise foi en affirmant que le président de la République est le responsable de cette 3e vague, car il aurait convoyé des gens partout et organisé des rassemblements.
Les spécialistes, dont le Pr Moussa Seydi, ont clarifié cela en précisant que l’épicentre de cette 3e vague se trouve à Dakar. Or, le Président de la République a effectué cette tournée économique dans d’autres parties du pays. Il faudrait aussi que ces opposants apportent la preuve du convoyage de personnes d’une région à une autre lors de la tournée. C’est plutôt l’opposition qui a organisé des manifestations à Dakar de façon répétitive.
La gestion de cette 3e vague se fait avec responsabilité. C’est le lieu de féliciter le personnel médical pour son dévouement et son efficacité. Partout dans le monde, y compris dans des pays plus avancés, nous avons vu les problèmes causés par le rebond de la pandémie.
De ce point de vue, le Sénégal fait preuve d’une grande résilience. Si l’État continue dans cette voie, que le personnel médical reste mobilisé, que les citoyens respectent les mesures édictées, nous surmonterons cette nouvelle épreuve.
Comment expliquez-vous, en tant que membre du gouvernement, l’absence de décisions contraignantes, voire coercitives, de la part de l’État pour un respect scrupuleux des mesures barrières ?
La contrainte et la coercition ne sont pas efficaces dans toutes les situations. Parfois, la communication, le dialogue, la sensibilisation donnent de meilleurs résultats. Mais, il y a un comité national de gestion composé de spécialistes qui indique la voie à suivre.
L’État exécute ses recommandations en tenant bien sûr compte de plusieurs facteurs. À chaque étape, une évaluation de la situation est faite et les mesures idoines sont prises.
Il y a un peu plus d’un an, vous quittiez le département de L’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique pour devenir ministre auprès du président de la République chargé du Suivi du PSE. Vous ne vous êtes jamais prononcé sur ce jeu de chaises musicales qui avait surpris beaucoup de Sénégalais. Comment l’aviez-vous vécu à l’époque ?
Je l’ai vécu en républicain. En République, il y a des moments où l’heure vient de passer le témoin et d’aller œuvrer ailleurs au service de la nation. De tels moments sont incontournables dans un pays qui marche vers le progrès. Je pense, en effet, que la nature même d’un système de gouvernance efficace veut que les hommes passent et que demeurent les institutions. Ainsi va la vie en République pourrait-on dire.
Pour beaucoup d’observateurs, en vous faisant migrer du ministère de l’Urbanisme vers son cabinet pour vous confier le suivi du PSE, le chef de l’État vous avait sanctionné. Est-ce réellement le cas ?
Vous savez, c’est déjà un grand privilège de servir l’État et la nation à ce niveau. Que ce soit au gouvernement ou au cabinet du Président de la République, il faut toujours avoir conscience de l’honneur qui nous est fait.
C’est aussi un espace où j’apprends beaucoup sur notre pays et notre économie et surtout les mécanismes pour construire le développement.
Enfin, nous interagissons beaucoup avec les acteurs des grands projets pour aider à ceux-là à se débloquer et avancer au bénéfice des populations. S’il existe des gens pour sous-estimer cette position, ce n’est pas mon cas.
Avec le retour de certains occupants de la voie publique, malgré les grands efforts de l’UCG et de votre successeur au ministère de l’Urbanisme, n’avez-vous pas un léger goût d’inachevé en voyant Dakar replonger dans ses travers ?
Je pense que mon successeur prend cette question à bras le corps. Les styles sont peut-être différents mais l’ambition reste la même : faire de Dakar et des autres parties du pays des lieux où il fait bon vivre avec un cadre de vie agréable et un système de collecte des déchets modernes.
Le lancement récent du PROMOGED par le président de la République est la preuve que de grandes avancées sont réalisées dans ce domaine. Les difficultés ne peuvent pas manquer notamment dans la lutte contre les encombrements mais des dispositions sont prises pour les surmonter.
Nous allons vers des élections locales. Êtes-vous candidat à la mairie de Fann-Point E-Amitié ?
Je poursuis le travail que j’ai toujours fait à la base. Je vais à la rencontre des populations, car pour moi cette proximité est importante et ne répond pas forcément à un impératif électoral. Je suis bien sûr prêt à servir les populations de ma commune à l’endroit où je serai plus efficace pour trouver des solutions à leurs difficultés.
Toutefois, je fais partie d’une organisation politique dont je respecte les règles de fonctionnement. Le dernier mot reviendra à mon parti et à la coalition à laquelle j’appartiens. Mais je me tiens prêt.
Êtes-vous conscient du risque politique que vous prenez en voulant briguer cette mairie qui, on le sait, est convoitée par d’autres membres de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) au pouvoir et même de l’Alliance pour la République (APR), votre propre parti ?
Lorsqu’on est mû par l’intérêt général, on ne raisonne pas ainsi. Il n’y a pas de risque à vouloir toujours se mettre au service de ses concitoyens. Et même s’il y en avait un, cela ne ferait que conforter ma vision de la politique qui est avant tout un sacerdoce.
De mon point de vue, c’est un élan de bienveillance et d’altruisme au service de ses semblables qui est au-dessus de toute autre considération. Si c’est cela le risque, je l’assume pleinement.