Selon une étude rétrospective, portant sur les registres du service d’anatomie pathologique de l’Hôpital Aristide Le Dantec et parcourue par Rewmi Quotidien, 143 suicides ont été rapportés sur 10 ans.
Le service d’Anatomie pathologique du Centre hospitalier national Aristide Le Dantec, reçoit les morts de toute la région de Dakar (centre-ville, périurbain, banlieue) et même ceux des autres villes du Sénégal, sur une période de 10 ans (janvier 1996-décembre 2005), durant laquelle il a été colligé 143 cas de suicide. L’étude a passé en revue de façon systématique tous les rapports d’autopsie et toutes les réquisitions établies par les commissariats de police et les brigades de gendarmerie de la région de Dakar.
Les experts retenaient donc comme suicide tous les cas classés comme tels par les opérateurs de ces autopsies médico-légales. À Dakar, les morts par suicide restent peu fréquentes au regard de la mortalité générale. Les hommes se suicident deux fois plus que les femmes et le suicide reste l’apanage de l’adulte jeune dont l’âge se situe entre 21 et 30 ans.
Les suicidés résident le plus souvent en zone périurbaine et ils commettent cet acte dans la majorité des cas en période de froid (pendant les mois de janvier, février et mars), plus avant midi et en soirée qu’en après-midi. Aussi 97.2% des suicidés ont utilisé un seul moyen pour se suicider et le suicide complexe (utilisation de plusieurs moyens) a concerné seulement un cas dans notre étude. La pendaison reste le mode le plus utilisé.
Les hommes se suicident 2 fois plus que les femmes
Sur les 143 suicidés, 99 étaient des hommes (soit 69.2%) et 44 des femmes (soit 30.8%): les hommes se suicident deux fois plus que les femmes. L’âge des suicidés varie de 10 à 75 ans avec une moyenne de 32.7 ans, une variance de 169,662. Dans la série, 22 ans est la fréquence d’âge la plus relevée (le mode) et 50% des suicidés ont un âge inférieur à 30 ans (la médiane). Il n’y a aucun cas de suicide avant 10 ans.
Le suicide est plus fréquent chez l’adulte jeune dont l’âge est compris entre 21 et 30 ans. Le suicide des jeunes entre 10 et 20 ans représente 14.8% des cas de notre série. Les suicidés résident surtout dans la zone périurbaine de Dakar qui concentre 50.4% des cas.
Les hommes préfèrent donc des moyens de suicide violents (pendaison, arme à feu et arme blanche), alors que les femmes et les adolescents (tout sexe confondu) utilisent les intoxications. Le recueil des facteurs concourant au suicide permettrait une prévention de ce dernier. 139 suicidés ont utilisé un seul moyen, ce qui représente un pourcentage de 97.2%. Dans un seul cas, le suicidé a utilisé deux moyens pour se suicider soit 0.7%.
Les hommes préfèrent des suicides violents
A l’analyse des procédés utilisés par les suicides, l’étude a noté une prédominance de la pendaison (44%) suivie par les intoxications le plus souvent de nature médicamenteuse (37%) et les armes à feu (5.6%). Concernant les intoxications, la nivaquine et les insecticides organochlorés (Baygon) restent les principaux produits utilisés.
Le suicide par arme blanche est peu fréquent dans notre série (5%), il représente le quatrième moyen de suicide. Il constitue avec le suicide par arme à feu les deux formes généralement retrouvées chez les suicidés de nationalité européenne. Le cas d’association de suicide que nous avons eu concernait une intoxication non réussie couplée à une pendaison.
La pendaison est prédominante chez les hommes (60 cas sur 63) alors que l’intoxication est le moyen suicidaire de la femme (37 cas sur 53). Les suicides par arme blanche et ceux par arme à feu surviennent exclusivement chez les hommes puisqu’ils représentent respectivement 5.0% (tous les 7 cas) et 5.7% (7 cas sur 8).
Les jeunes, dont l’âge se situe entre 10 et 20 ans utilisent plus volontiers l’intoxication comme moyen suicidaire (52.4%), alors que pour les autres tranches d’âge, la pendaison reste le moyen le plus utilisé pour se suicider (52.5%). Chez les hommes, quelle que soit la tranche d’âge considérée, la pendaison reste le moyen le plus utilisé.
Les femmes plus tentées par les intoxications
Par contre, chez les femmes, l’intoxication est le moyen le plus utilisé avec une prédominance entre 18 et 25 ans. Ces jeunes femmes présentaient, le plus souvent, un état gravidique au moment du suicide. Cela peut s’expliquer par la relative facilité à se procurer le lien ou les produits toxiques, contrairement aux armes à feu dont la détention constitue un délit réprimé par la loi, en l’absence d’un permis de port d’arme.
Le suicide par intoxication médicamenteuse est remarquable dans nos pays, car il s’agit le plus souvent d’avortement provoqué par la chloroquine: la dose abortive est malheureusement la dose létale. Cela pose un problème bioéthique, l’avortement thérapeutique n’étant prévu dans notre législation que lorsque la vie de la mère est menacée par la poursuite de la grossesse.
Le suicide dans la région de Dakar reste à prédominance masculine. Les adultes jeunes dont l’âge varie entre 21 et 30 ans constituent la population la plus touchée avec un âge moyen de 32.7 ans. La fréquence d’âge la plus élevée est de 22 ans et 50% des suicidés ont moins de 30 ans. La fréquence du suicide dans cette tranche d’âge pourrait s’expliquer par le chômage et le fort taux de déscolarisation dans cette frange de la population.
Une des 10 principales causes de mort dans le monde
En effet, le suicide est l’une des dix causes principales de mort dans le monde. Plus de 700 000 personnes se suicident dans le monde au cours d’une année et 20 à 40 fois plus de sujets ont attenté à leur vie. Un suicide et une tentative de suicide surviennent respectivement toutes les 43 secondes. En Afrique, la fréquence des suicides et des tentatives de suicide est mal connue à cause de la rareté des publications et la quasi inexistence des études dans la plupart des pays.
En France, le suicide entraîne près de douze mille (12 000) décès annuels, de nombreuses années de vies perdues, de dizaines de milliers d’hospitalisations après tentatives de suicides. Il reste la première cause de mortalité chez les 25-34 ans, et la deuxième chez les 15-24 ans, après les accidents de la circulation.
La faiblesse des chiffres relevés en Afrique noire est liée à la forte pénétration et la fréquente pratique religieuse, notamment pour le Sénégal. Ces religions se sont greffées sur une culture où le suicide n’est pas toléré, il n’est pas considéré comme un acte de bravoure, comme en Asie ou de désespoir ou déséquilibre en Occident, mais plutôt comme une faiblesse.
32,6% des suicides sont enregistrés en banlieue
La banlieue dakaroise est le lieu de survenue de 32,6% des suicides. Cette banlieue est le lieu d’habitation de la main d’œuvre transplantée, résultat de l’exode rural dû à la sécheresse dans les contrées lointaines. Le suicide survient aussi dans la majorité des cas en zone périurbaine, où les familles sont le plus souvent monoparentales et moins nombreuses, le soutien psychoaffectif est par conséquent, moins important qu’en banlieue.
Cette zone périurbaine représente à peu près la middle class faite d’intellectuels avec des familles à l’occidentale. La fréquence du suicide dans cette frange de la population pourrait s’expliquer par la faible cohésion du tissu social. Dans la zone périurbaine, les deux premiers facteurs sont amoindris, tandis que la formation d’une nouvelle famille est un échec pour les populations de la banlieue. Par ailleurs, selon les études, les suicidés présentent des troubles mentaux dans 90% des cas, et deux diagnostics coexistent dans 70 à 80% des cas.
Le suicide est en particulier surreprésenté dans la population des patients souffrant de schizophrénie. La recherche de facteurs favorisants tels que les antécédents médicaux de pathologies psychiatriques et de comportements suicidaires, les addictions éventuelles et les motifs du suicide nous auraient permis de mieux comprendre l’épidémiologie du suicide dans la région Dakaroise.
Cette étude permet d’attirer l’attention sur la gravité du suicide et confirme la nécessité d’une action préventive pratique et d’une intervention du Médecin Légiste devant toute mort par suicide dès la levée de corps. À Dakar, les morts par suicide restent peu fréquentes au regard de la mortalité générale et leur nombre est probablement sous-estimé du fait des obstacles socio-culturels, religieux, socio-économiques et des dysfonctionnements de la procédure judiciaire.