La jeunesse a besoin d’être écoutée, entendue et accompagnée
En tant qu’habitant de Dakar Plateau, je voudrais donner mon avis sur la rencontre du Président avec les jeunes des quartiers. Réunion que j’ai suivie avec beaucoup d’intérêt. L’initiative est à saluer. Parce que quand le Chef de l’État se donne le temps de rencontrer et d’échanger avec sa jeunesse, on ne peut que s’en réjouir, si on est doué d’intelligence. Car la jeunesse sénégalaise a besoin d’être écoutée, entendue, accompagnée, surtout par le premier des citoyens. Et il s’agit là d’une urgence, attendu que la situation qu’elle vit est difficile, et frise même quelque fois le désespoir, surtout à Dakar où on voit des armées de jeunes trainer dans les quartiers de palabre en palabre, sans perspective, sans avenir, rêvant d’un ailleurs meilleurs, véritables aubaines pour les trafiquants de drogue, les politiciens véreux, les passeurs de la méditerranée et même (et ce n’est pas à exclure) les groupes terroristes. Les préoccupations des jeunes ont pour noms : éducation, formation, emploi, financement, sans oublier la question des infrastructures sociales de base et du cadre de vie. Inutile d’insister, les intervenants à la conférence ont évoqués les chômeurs désemparés, les porteurs de projet en désespérances, les malades et les étudiants délaissés, les familles sans latrine, les quartiers sans édicule publique, l’encombrement et l’insécurité ambiante, le manque d’espace jeune et l’affaire du stade Assane Diouf qui a rendu malade tous les jeunes de l’arrondissement, etc. Et le Président a donné son engagement. Espérons que le suivi se fera comme il se doit. Vivement le règlement définitif de la question de l’accès à l’eau et à l’assainissement de Kaye Findiw et autres quartiers démunis du Plateau. Vivement le nouveau stade Assane Diouf, le marché Tilene moderne et la Maison du cuir… Mais l’initiative, je pense, doit être élargie aux femmes et aux personnes du troisième âge, détenteurs d’un capital d’expérience fort appréciable, et qui mérite d’être partagé.
Le jokko est une bonne chose, s’il est suivi d’un doxantu c’est encore mieux
J’ai entendu des jeunes de l’opposition critiquer la décision sous prétexte qu’elle serait politicienne ou bien qu’il serait bien trop tard pour le président d’entamer un tel processus. J’ai aussi entendu des jeunes appartenant au camp présidentiel contester le groupe chargé de piloter l’activité, sous prétexte que beaucoup de ses membres ne sont pas de leur bord. Moi-même j’ai pensé qu’elle pourrait être plus inclusive, et impliquer, par exemple, les artisans, les pêcheurs côtier, les apprentis-coxeurs, etc. Bref, on peut critiquer l’idée, mais elle est bonne, et je pense que les maires pourraient s’en inspirer, et aller plus loin. Ceux des communes pourraient, par exemple, organiser des Jokko présentiels dans les quartiers. Ceux des villes des Jokko thématiques. Quant à l’Etat central, il pourrait diversifier son intervention par des Jokko ciblés avec les acteurs du mouvement associatif et autres dynamiques communautaires, etc. Bref, on est à l’heure du Jokko. Espérons que le processus sera mené à terme et que tous suivront, les collaborateurs du Président en premier. Que les cœurs s’ouvriront, que les visages se dérideront, que les mains se tendront. J’encourage donc les jeunes à y participer massivement, car disait Senghor « le Sénégal est le pays du dialogue » et l’émergence et le développement auxquels nous aspirons se feront par la concertation, l’entente et la collaboration ou ne se feront pas. Je félicite les organisateurs du jokko de Dakar Plateau et tous les intervenants. Je suggère aux premiers nommé de convier le président à une promenade dans les quartiers : Niaye Thioker, Reubeuss, Kaye Findiw, Roukhou Djine, Rail, etc. Et à lui faire visiter les ateliers Khotou Kees, ceux des artisans, des femmes et des handicapés de la Medina, etc. Car si le jokko est une bonne chose, le faire suivre d’un doxantu est encore mieux.
Faisons ensemble une promenade dans l’arrondissement de Dakar Plateau
Oui, faisons un tour dans l’arrondissement de Dakar Plateau, capitale de la capitale, circonscription administrative regroupant les communes de Gorée, Dakar-Plateau, Médina et Gueule Tapée-Fass-Colobane, avec ses canaux à ciel ouvert, véritables dépotoirs presque jamais curés et exhalant la puanteur, ses marchés et ses gares routières rarement nettoyés, ses artères surencombrées où les panneaux d’affichage ont remplacé les arbres, ses égouts sans regard (parce qu’on les vole dit-on), trous à ordures et fléaux des aveugles et des étourdis, ses rondpoints dégarnis et sales, ses coins-de-rue-urinoirs, ses murs-tableaux-d’affichages, ses immeubles vétustes ou mal construits, s’affalant en cascade, emportant des vies humaines… Et l’avenue Georges Pompidou, ex-William Ponty, reine des rues de notre capitale, défigurée et méconnaissable. Et le cap Manuel devenu inaccessible. Et l’anse Bernard menacée de privatisation. Et Tilene, le marché de la Medina, délaissé, vampirisant les rues environnantes, à l’instar des marchés dakarois. Et Sandaga, Le Soudanais, réduit en poussière. Car, à Dakar, on délabre et casse du patrimoine sans état d’âme, on défigure la ville sans s’en rendre compte, sourd au tocsin. Triste spectacle de ces vieux quartiers branlants, voisins centenaires du Palais présidentiel et qui manquent aujourd’hui encore de presque Tout, avec un grand T. Même les pénc lébu, patrimoine plusieurs fois centenaire, sont abandonnés à leur triste sort, hélas !
Il y avait une maison des jeunes et un grand stade à Reubeuss…
Et pourtant, il y a à peine quelque décennies, les rues de la capitale étaient dégagées, propres, bordées d’arbres formant par endroits des arcs de triomphe et remplies du ramage des oiseaux. Les marchés étaient nettoyés à l’eau de mer et leur limite bien fixée. Il y avait une maison des jeunes et un grand stade à Reubeuss, une école des arts à Niaye Thioker. Il y avait des terrains de football et de basket, des salles de cinéma, des bibliothèques, des médiathèques, des jardins… Il y avait des falaises portant des forêts, des plages propres où se ramassaient des sebbet et où on accédait par des escaliers en pierre de Rufisque… Et l’architecture du complexe scolaire de la Médina réjouissait les regards à partir de l’avenue Blaise Diagne. Et le boulevard Général De Gaulle, ex allées du Centenaire, cœur battant de Dakar, ignorait le phénomène de « marchéisation » de la ville. Et l’avenue Jauréguiberry (actuel Emile Badiane), Gambetta (actuel Lamine Guèye), au même titre que William Ponty (actuel Georges Pompidou), faisaient la fierté des habitants du Plateau. Et les enfants couraient partout dans les quartiers, les populations étaient gaies… Et le nom de Dakar Plateau bruissait à l’unisson des vagues s’épanchant sur ses rivages…
Il est temps de travailler au changement des comportements
Mais aujourd’hui ! Aujourd’hui, hélas, tout a changé. Partout c’est la décrépitude, la saleté et les mauvaises odeurs. Et Dakar, où l’on ne peut plus se promener, est devenue la capitale de l’enjambement et du contournement, comme dit le plasticien Viye Diba. Il est temps de travailler au changement des comportements. Car s’il est vrai que le développement est d’abord un gap infrastructurel et économique à résorber, et qu’il se fera par la concertation et le dialogue ou ne se fera pas, il est tout aussi vrai qu’il ne se fera pas si nous ne changeons pas nos comportements. Car le développement est le fait de l’homme. Et, nous ne nous lasserons pas de le dire : pour que soit le développement, il faut d’abord que soit l’homme. Il faut, pour que soit le développement, des citoyens éduqués, formés et disciplinés, possédant un sens élevé du civisme et de la citoyenneté ainsi que le gout de l’effort et l’amour du travail bien fait ; des dirigeants patriotiques et intègres possédant à la perfection l’esprit de sacrifice, l’endurance et la loyauté, le sens moral et celui de l’idéal. Il faut que toutes et tous, du sommet à la base de la pyramide sociale, quelque humble que nous soyons et quelque modeste que puisse paraître notre œuvre, nous nous disions que l’avenir de ce pays nôtre dépend de nous et de notre œuvre. Il faut que l’écrivain ou le journaliste tenant sa plume, l’animateur, l’homme politique ou le prêcheur face à son public, le chercheur, l’étudiant, l’artiste, l’homme d’État ou l’administrateur dans son cabinet de travail tout comme l’ouvrier face à son ouvrage ou le blogueur face à son ordinateur… Il faut que toutes et tous, dis-je, pèsent le poids de la responsabilité qui repose sur leurs épaules.
ABDOU KHADRE GAYE
ÉCRIVAIN, PRÉSIDENT DE L’EMAD