Encore une fois, notre cher pays est touché par des catastrophes terribles. Avec beaucoup d’amertume, je m’incline devant la mémoire des personnes qui ont perdu leurs vies dans ces tragiques accidents qui ont couté la vie à 41 et 22 personnes en l’espace d’une semaine.
Nos condoléances les plus sincères vont vers leurs familles respectives. Qu’ils reposent en paix. La raison de mon amertume est qu’une fois encore mon cher pays, ainsi que ses dirigeants, ont buté sur la même pierre qui a engendré les tristes records de morts à travers des accidents qu’on pouvait éviter.
Je m’arrête un instant pour analyser avec vous les données relatives aux accidents de la circulation en Espagne et au Sénégal.
TYPE DE VEHICULE | UNITÉS 2020 | VS 2019 |
Turismes | 25.169.000 | + 0,6 % |
Comerciales | 3.862.000 | + 2 % |
Industrielles | 614.144 | + 1,2 % |
Bus | 62.115 | + 0.9 % |
Source : Direction Générale de la Circulation (DGT) en Espagne.
Comme vous le savez, disposer de données fiables au Sénégal est presque impossible, ainsi je m’appuierai sur des données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS):
“Au Sénégal, près de 27 000 personnes sont victimes d’accidents sur la voie publique chaque année, dont 11 000 sont enregistrées à Dakar. Cette tendance reflète celle de la Région africaine. Alors qu’elle ne représente que 3 % du nombre total de véhicules immatriculés, la Région compte 20 % des décès par accident de la route dans le monde, avec près de 272 000 décès. De plus, elle a le taux de mortalité routière le plus élevé avec 26,6 pour 100 000 habitants.” Selon les données de la Banque Mondiale de 2019, au Sénégal nous enregistrons 24 morts par accident de la route pour 100 000 habitants.
L’Agence Ecofin précise que : “Le taux de mortalité lié aux accidents de la route reste inquiétant au Sénégal, en dépit des efforts consentis par les autorités. Au-delà du coût humain, ces accidents constituent un fardeau important pour l’économie du pays.
Entre 2015 et 2019, les accidents routiers ont occasionné en moyenne 644 décès chaque année. Les chiffres sont de l’ONG Partners West Africa (PWA), qui a tenu mardi 6 juillet 2022 un atelier de partage et de plaidoyer avec les acteurs étatiques sur la problématique de la sécurité routière”.
En comparant les données des deux pays, on constate que l’Espagne avec 47 millions d’habitants et le Sénégal avec 17 millions d’habitants, nous nous rendons compte de la situation dramatique dans laquelle on se trouve.
Après les tragiques accidents de ces jours à SIKILO à Kaffrine et SAKAL, en ma qualité d’expert en sécurité routière, je souhaite engager la réflexion et formuler des propositions susceptibles d’éclairer cette nébuleuse avec toute la rigueur scientifique et l’expertise qu’il faut pour affronter cette question difficile.
Pour cette raison, j’ai pris la précaution d’attendre les conclusions du conseil interministériel que le Président de la République a convoqué autour du Premier ministre. J’ai également pris note des réactions des professionnels du transport, des usagers de la route ainsi que des citoyens, de manière générale.
Pour être sincère, je suis vraiment déçu par les réactions, recommandations et conclusions. Je considère á la limite que certaines mesures portent atteinte même aux droits de l’homme.
Par exemple, la mesure de limiter les déplacements dans une tranche horaire fixée avec l’interdiction de voyager la nuit. C’est une aberration et un recul démocratique.
Il est également interdit d’importer de pneus usés. C’est bien comme mesure. Mais, en contrepartie, les pneus neufs importés seront-ils de bonne qualité et à des prix accessibles aux citoyens ?
Les véhicules reformés avec des porte bagages et des habitacles réaménagés avec des « versailles » seront interdits, mais qu’en sera t- il des véhicules qui en disposent actuellement et qui représentent presque 100% du parc automobile.
Quid du plombage des véhicules de transport de personnes et de marchandises à la vitesse de 90 kilomètres à l’heure ?
Pour rappel, “une voiture d’une masse de 1 000 kg roulant à 90 km/h effectue 25 mètres par seconde. En cas d’accident, le choc est terrible. Une personne adulte occupant ce véhicule peut développer une force de 3 tonnes et plus, suivant son poids”. Les panneaux de signalisations de limations de vitesse, la mise en place de radars fixes et mobiles et la presence des forces de sécurités spécialisées en sécurité routière peuvent réduir drastiquement le nombre très élevè des victimes de la route.
La CEINTURE DE SÉCURITÉ, solidaire de l’habitacle, contribue à la décélération des occupants qui bénéficient de la déformation du véhicule et de l’étirement de la ceinture. L’absence de ceinture de sécurité, multiplie par 10 le risque de se tuer sur la route en cas d’accident. Son utilisation doit être obligatoire para tous les passagers d’un véhicule, son utilité est plus que demontrée en cas d’accident pour sauver des vies et aussi eviter des blessés graves.
Former et sensibiliser à la sécurité routière
Le gouvernement croit-il réellement que le problème avec les visites techniques, sera résolu avec la proximité ?
Je ne le crois pas, ce n’est pas une question de proximité, il y a un problème structurel de corruption qui existe et qui est entretenu par des groupes d’intérêts d’une part, et d’autre part par des autorités qui sont conscientes du problème, mais qui ne veulent pas assumer leur responsabilité ou qui sont complices. En atteste la dernière tragédie, le véhicule de transport des personnes, a passé sa visite technique moins d’un mois avant l’accident.
Le dernier point que je voudrai aborder avant de formuler des recommandations /orientations, c’est la question de l’obtention du permis de conduire et l’autorisation de conduire des véhicules de transports de personnes à partir d’un certain âge (25 ans). Une autre aberration, est qu’il existe des données qui étayent cette mesure. Le mode d’obtention et de délivrance des permis de conduire avec toute la corruption qu’il y a autour, on en parle mais on agit pas pour l’éradiquer définitivement.
Depuis la nuit des temps, l’être humain a cherché des moyens pour se déplacer, le véhicule à moteur a fait irruption dans notre vie et continuera à nous accompagner pour beaucoup de siècles encore, raison pour laquelle, nous devons reconsidérer notre cohabitation avec cette machine.
De quoi on parle?
De la cohabitation, de véhicules conduits par des personnes, des personnes qui se déplacent à travers d’autres moyens de transport ou à pied et pour terminer des infrastructures qui doivent être utilisées de manière sûre et dans les meilleures conditions.
La conjugaison de ces éléments dans l’espace public doit se faire de la manière la plus correcte, responsable et adéquate possible pour réduire les facteurs de risques qui peuvent mettre en danger tous les usagers des routes. Il est plus qu’urgent de prendre des mesures drastiques pour affronter ce fléau avec des actions claires.
Nous parlons de sauver des vies humaines, éviter des tragédies, conscientiser les différents acteurs pour un comportement responsable.
Commençons par le véhicule de transport, il doit remplir toutes les conditions de garanties technique et administrative pour son utilisation. Quand on nous informe que l’un des véhicules impliqué dans l’accident tragique de cette fin de semaine ne disposer pas d’assurance pour circuler, on est édifié sur la gravite des choses et la négligence criarde qui existe dans ce secteur.
L’exigence de remplir les conditions techniques et d’opérer les contrôles nécessaires pour atteindre les standards de qualité doivent guider le travail des commis de l’administration chaque jour. Ces agents publics doivent être conscients que chaque faille de leur part peut être tragique et qu’ils seront responsables de ces failles devant la justice, pour mise en danger de la vie d’autrui.
Le code de la route nous enseigne qu’un véhicule ne peut pas circuler s’il ne dispose pas de ces trois documents : permis de conduire, assurance et visite technique en vigueur. Le respect de ces conditions cumulatives et leur mise en application incombent aux autorités de l’Etat à travers ses démembrements.
Les conducteurs de ces véhicules doivent remplir toutes les conditions de préparation, technique et psychotechnique pour conduire.
La préparation théorique est très importante. Cette phase doit permettre d’évaluer les connaissances théoriques du conducteur par rapport au code de la route, en même temps on évaluera ses aptitudes de conduites face à certaines situations. C’est la raison pour laquelle la régularisation de la formation pour l’obtention du permis de conduire dans les auto-écoles doit être une priorité.
Après la partie théorique, on abordera la partie pratique. Dans cette phase, il s’agira, avec l’aspirant au permis de conduire, les cas relatifs aux problèmes de conduite qui peuvent survenir durant toute sa vie active de conducteur. A ce niveau, on doit évaluer la patience, la discipline, la tolérance, le contrôle du stress, les réactions devant certaines situations, la sécurité routière, les capacités d’anticipation, la conscientisation sur la responsabilité etc…
En plus de ces aptitudes, la personne qui aspire à conduire des autobus de transports de personnes, des camions de marchandises, des camions de transport de produits dangereux ou des véhicules lourds, doit passer des examens pour l’obtention du Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) qui a comme objectif de renforcer les aspects fondamentaux d’une bonne conduite en toute sécurité.
Je vais aborder le dernier point avec beaucoup d’intérêt pour son rôle de régulateur, d’agent de développement, de superviseur et de garant du bon fonctionnement de l’ordre établi: Je veux nommer l’Etat.
Dans son rôle régalien, l’Etat a l’obligation, à travers les recettes du trésor public, argent de contribuables, de mettre en place des infrastructures routières de qualité comme moyen de communication. Ces routes doivent remplir toutes les conditions requises pour leur utilisation. L’infrastructure routière doit être bien élaborée, bien signalisée et sous haute surveillance pour une utilisation dans les meilleures conditions afin de réduire au maximum les facteurs de risques qui peuvent provoquer des accidents.
Une bonne infrastructure routière doit être soutenue par la mise en place d’unités d’intervention rapide en cas d’accident pour l’évacuation et la prise en charge des victimes.
Il y a un vrai problème lorsqu’un Président donne 200 millions de FCFA pour la prise en charge d’accidentés ou qu’il a affrète un hélicoptère pour l’évacuation des blessés comme si l’Etat ne pouvait pas disposer d’unité d’intervention pour ces genres de catastrophes. A quoi rime ce centralisme ou cette manière de faire de la politique avec la souffrance des personnes.
Sur le plan législatif, des mesures drastiques doivent être prises, leur mise en application et leur respect par tous les usagers de la route est impératif. La sanction doit être politique, civil ou pénal. La sécurité routière ne doit plus être reléguée au second plan, elle est et demeure une préoccupation principale de toute la population. Des mesures doivent être prises, évidemment, mais au préalable, il faut un diagnostic, sans précipitation, sans complaisance avec des acteurs professionnels qui connaissent la matière et qui veilleront à l’obligation de sa mise en œuvre en toute orthodoxie.
La non prise en compte de ces éléments, le laxisme, le manque de rigueur et de fermeté des agents qui sont en charge de réguler ce secteur névralgique pour toute société qui aspire à un développement durable nous font payer un prix très élevé en vie humaines.
SERIGNE FALL
Expert en Sécurité Routière
Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED)
Madrid (Espagne)