L’Assemblée nationale a voté, vendredi dernier, la levée de l’immunité parlementaire du député et leader de Pastef/Les Patriotes visé par une plainte pour « viols et menaces de mort ». Une procédure jugée «viciée et illégale» par Ousmane Sonko qui a déjà annoncé qu’il ne répondra à aucune convocation de la justice.
L’issue du vote ne faisait aucun doute. Enclenchée le 9 février, la procédure de levée d’immunité de l’opposant Ousmane Sonko s’est achevée vendredi vers 14h. Les députés étaient appelés à se prononcer lors d’un vote à main levée, au cours d’une session plénière mouvementée, organisée à huis clos mais filmée par une députée présente. Tandis qu’un important dispositif sécuritaire avait été mis en place autour du bâtiment, auquel les journalistes n’avaient pas accès, plusieurs députés de l’opposition ont déclaré ne pas se rendre à l’Assemblée, qualifiant le vote de «mascarade».
«Dire le droit et faire triompher la vérité»
Les députés ont donc choisi d’approuver les recommandations de la commission ad hoc chargée d’examiner la procédure. Dans le rapport de la commission consulté par Jeune Afrique, les députés établissent que «le député Ousmane Sonko doit aller se défendre devant la justice et l’accusatrice doit avoir la possibilité de se défendre devant la justice, seule compétente pour dire le droit et faire triompher la vérité». «Au regard du caractère sérieux de la saisine et des accusations graves contre le député Ousmane Sonko, la commission a adopté, à une très large majorité, la décision de recommander à la séance plénière de lever [son] immunité parlementaire pour permettre à la justice de poser les actes, conduire les procédures et appliquer les dispositions de la loi pour aboutir à la manifestation de la vérité», a conclu la commission. Ce rapport s’est basé sur un dossier constitué notamment des procès-verbaux des auditions réalisées par les gendarmes suite à la plainte déposée le 3 février contre Ousmane Sonko. Dans celle-ci, l’employée du salon de massage le Sweet Beauté accuse l’opposant de l’avoir violée et menacée de mort sur son lieu de travail, à plusieurs reprises.
«Procédure expéditive et obstruction»
Le député a admis être un client régulier de ce salon, qu’il dit fréquenter pour des «raisons médicales», mais nie les accusations de la plaignante. Ce dernier avait déjà annoncé, jeudi soir face à la presse, qu’il ne comptait pas répondre à une éventuelle convocation de la justice. Une posture en contradiction avec celle qu’il avait prise le 7 février dernier, lorsqu’il s’était dit prêt à répondre à la justice dès lors que son immunité serait levée. «Je ne répondrais pas si la levée d’immunité n’est pas légale», a justifié Ousmane Sonko.En effet, l’opposition a dénoncé plusieurs vices de formes dans la procédure menée à l’Assemblée nationale. Le 20 février, deux députés de l’opposition ont même démissionné de la commission ad hoc, dénonçant le manque d’indépendance d’une Assemblée largement acquise à Benno Bokk Yakaar, (BBY, la coalition présidentielle), qui détient 125 députés sur 165. Une démission qualifiée de « fuite en avant » par le président de la commission Pape Birame Touré, membre de la majorité. «Il y a eu obstruction, a dénoncé l’un des démissionnaires vendredi à l’Assemblée, le député Moustapha Mamba Guirassy. Nous n’avons eu aucune possibilité d’aller au fond du dossier pour statuer pour savoir si on pouvait lever l’immunité de notre collègue.»
«Machination politique sordide»
La procédure a été «expéditive», a également dénoncé Ousmane Sonko jeudi, ironisant sur la vitesse d’exécution de sa levée d’immunité, «le seul domaine où Macky Sall fait du fast-track», en référence à une expression chère au chef de l’État s’agissant des réformes qu’il initie.Sonko a aussi pointé du doigt le juge d’instruction chargé de l’affaire, Mamadou Seck, «faible et non indépendant», membre «du triangle des Bermudes judiciaires» composé, selon le leader de Pastef, du procureur de la République Bassirou Guèye et du doyen des juges Samba Sall. «Je suis le protagoniste malgré moi de ce feuilleton que ne mérite pas notre nation», a-t-il affirmé, dénonçant une «machination politique sordide aux conséquences imprévisibles». Il a d’ailleurs affirmé avoir été placé sous surveillance. Au cours d’une longue diatribe, il s’est adressé directement au président Macky Sall, qu’il accuse d’être à la tête de ce complot visant à l’écarter du jeu politique. «Nous connaissons vos viles méthodes, mais je peux vous assurer que nous avons du répondant», lui a lancé Ousmane Sonko. Macky Sall s’est exprimé au sujet de cette affaire pour la première fois cette semaine lors d’un entretien accordé à nos confrères de RFI, évoquant une «affaire regrettable». «Il y a une accusation, des procédures, il ne faut pas mêler le président à ça. J’ai suffisamment de choses à faire pour comploter des choses aussi basses», a-t-il ajouté.
«Vers une arrestation illégale et imminente»
«[M’]arrêter le plus rapidement possible, décerner un mandat de dépôt, ouvrir une instruction non limitée dans le temps pour me laisser pourrir et me radier de la liste électorale, et ternir mon image auprès des Sénégalais : voilà l’objectif de Macky Sall», a rétorqué l’opposant, qui a fait appel au «droit constitutionnel, naturel et individuel de résistance à l’oppression». Le 8 février, des heurts avaient opposé ses partisans et les forces de l’ordre devant son domicile, alors que l’opposant avait refusé de se rendre à la convocation que lui avaient adressé les gendarmes. Après Karim Wade, cadre du Parti démocratique sénégalais (PDS) condamné à six ans de prison en 2016 pour enrichissement illicite et désormais exilé au Qatar, et Khalifa Sall, ex-maire de Dakar gracié de sa peine pour détournements de fonds public mais aujourd’hui inéligible, Ousmane Sonko sera-t-il le prochain opposant à visiter les cellules de la prison dakaroise de Rebeuss ? Quoi qu’il en soit, Pastef se prépare à «l’arrestation illégale et imminente de son leader». «On s’achemine vers sa convocation devant le juge. S’il ne répond pas, la justice peut venir le cueillir, glisse un responsable du parti. Nous n’avons jamais envisagé l’avenir du parti sans lui, mais aujourd’hui ça va peut-être être le moment de se poser la question.»