Alors que les Sénégalais ne sont pas encore édifiés sur le montant réel dépensé pour le transport des vivres dans le cadre de l’assistance alimentaire aux ménages vulnérables dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, un autre fait curieux, qui frise un parfum de scandale, suscite de vives réactions. Que s’est-il passé ? Il s’est en effet trouvé que deux des 4 marchés d’achat de riz d’un montant total de 17,8 milliards francs de CFA (soit 9.625.000.000 francs CFA et 8.250.000.000 francs CFA), ont été accordés à deux sociétés de noms différents -Avanti Suarl et Afri and co- mais qui ont, curieusement, la même adresse social: 150, Avenue Lamine Gueye de Dakar. C’est-à-dire au siège social du restaurant PlanetKebab de l’homme d’affaires Rayan Hachem. Ce dernier est d’ailleurs en même temps gérant de la société Avanti Suarl, enregistré sous le Ninéa 0060871932A2, qui a gagné le marché à 9.625.000.000 francs CFA. Mais, à la surprise générale, il est constaté qu’Afri and co (8.250.000.000 francs CFA) ne figure même pas sur le répertoire des entreprises publié sur le site web du Bureau d’appui à la création d’entreprise de l’Apix. Dans son commentaire de ce mardi 14 avril, le journaliste de la Rfm, Babacar Fall, parle de « gros scandale ». « Aucune situation d’exception ne doit justifier une manipulation frauduleuse des deniers publics », a notamment déclaré le chroniqueur. Il faut rappeler qu’au total, 4 sociétés ont été annoncées comme attributaires. Il s’agit, selon l’avis d’attribution, du groupe Bambouck logé à Koungheul au quartier Fass, Comptoir commercial Mandiaye Ndiaye sis à Sergent Mamamine angle Escarfait et les sociétés Avanti Suarl et Afri and Co sises à l’Avenue Lamine Gueye.
Le député Diop Sy pris en flagrant délit de violation de la loi
L’autre fait qui suscite polémique, c’est l’attribution du marché du transport à l’Urbaine d’entreprise (Ude) du député Demba Diop Sy. Pourtant, le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment en son article 113, indique que « sont incompatibles avec le mandat de député, les fonctions de chef d’entreprise, de président de Conseil d’Administration, d’administrateur délégué, de directeur général, directeur adjoint ou gérant, exercées dans les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garantie d’intérêts, de subvention, ou sous une forme équivalente, d’avantages assurés par l’Etat ou par une collectivité publique, sauf dans le cas où ces avantages découlent de l’application automatique d’une législation générale ou d’une réglementation générale, les sociétés ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement appel à l’épargne et au crédit, les sociétés et entreprises dont l’activité consiste principalement dans l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’Etat, d’une collectivité ou d’un établissement dont plus de la moitié du capital social est constituée des participations de sociétés ou d’entreprises ayant ces mêmes activités ». L’article 114 va plus loin : « Il est interdit à tout parlementaire d’exercer, en cours de mandat, une fonction de membre du Conseil d’administration ou de surveillance ou toutes fonctions exercées de façon permanente en qualité de conseil dans les sociétés, établissements ou entreprises visés à l’article précédent. Il est de même interdit à tout parlementaire d’être, en cours de mandat, actionnaire majoritaire d’une telle société, établissement ou entreprise […] ».
Un footballeur et un chanteur pointés du doigt
L’après-covid-19 risque d’éclabousser le Sénégal avec des scandales financiers en série. Le Témoin jure que des langues vont se délier pour dénoncer la gestion des fonds et l’attribution des marchés « pandémiques ». La preuve par ce célèbre ancien international de football qui a réussi à gagner un marché de transport destiné à convoyer l’aide alimentaire. À défaut d’avoir la logistique nécessaire (camions), notre talentueux footballeur de renommée internationale a tout bonnement filé le marché à un homme d’affaires. Et, le tour là encore est joué ! Tenez ! Il y a quelques semaines, un grand chanteur avait remis un important don de lots de produits sanitaires au ministère de la Santé. Don ? Oui, les acteurs de la cérémonie avaient bel et bien parlé de « don » pour lutter contre la propagation du covid-19. En tout cas, Le Témoin a appris que ce n’était pas un don, mais plutôt un marché gagné par le chanteur. Et pour ne pas créer des mécontentements auprès de ses pairs musiciens, nous souffle-t-on, il fallait simuler une cérémonie de remise de « dons », et le tour est joué ! Vrai ou faux ?
Marché de 17 milliards : Le patron de Planet Kebab passe à table
Il est le patron de Planet Kebab. Jusque-là donc, il était connu dans le domaine de la restauration rapide. Mais, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le Sénégal découvre un Rayan Hachem importateur de riz. Deux de ses entreprises, Avanti Suarl et Afri And Co, ont remporté deux marchés juteux d’importation de riz pour la campagne de distribution de vivres menée par le ministère du Développement communautaire et de l’Équité sociale et territoriale dirigé par Mansour Faye. La première a raflé la mise pour 9 milliards 625 millions de franc Cfa, le second pour 8 milliards 250 millions de francs Cfa. « Scandale ! », s’écrient d’aucuns, pointant des soupçons de deal autour de ces gros marchés. Réplique de Rayan Hachem, qui se considère comme un importateur de premier plan de la denrée, calibre Moustapha Tall ou Bocar Samba Dièye. Dans L’As, il dit : « Ce n’est pas parce que j’ai commencé par Planet Kebab que je ne dois pas évoluer. La société Avanti Suarl importe du riz depuis maintenant 4 ans. » Le Libano-Sénégalais affirme en plus qu’il soutient la filière riz local, une condition, signale-t-il, pour obtenir une Déclaration d’importation de produits alimentaires (Dipa). Hachem martèle : « Nous avons démarré avec 30 mille tonnes en 2016 puis 40 mille tonnes en 2017, 80 mille tonnes en 2018 et 120 mille tonnes en 2019. Et la société Afri And Co est dans l’importation de denrées alimentaires depuis un an. » Même si, comme il l’affirme, ces sociétés paraissent éligibles aux marchés en question, la polémique semble résider dans les conditions d’attribution des juteux contrats à lui et non à d’autres présentant sans doute les mêmes atouts.
Reste maintenant à savoir si la loi d’habilitation, votée le 1er avril dernier donnant carte blanche au chef de l’Etat de gouverner par ordonnance en vue de faire face au coronavirus, permet certains travers dans cette aide alimentaire même si celle-ci est destinée aux populations nécessiteuses ? L’ancien député Moustapha Diakhaté répond par la négative. Car, martèle-t-il, « l’urgence de venir en aide aux populations n’abroge, absolument pas, les règles constitutionnelles de bonne gouvernance et les incompatibilités parlementaires ».