En temps de Covid-19, il faut plus que jamais encourager les investissements des diasporas, à l’effet démultiplicateur en termes d’emplois, dans leur pays d’origine. C’est ce que plaide Rabah Arezki, l’économiste en chef de la Banque africaine de développement (BAD) et vice-président chargé de la gouvernance économique et de la gestion des connaissances.
L’Afrique pâtit de la fuite de ses cerveaux depuis des décennies dans nombre de domaines clés de l’économie. La pandémie de Covid-19 est un révélateur supplémentaire de la vulnérabilité du continent sur le plan du capital humain, notamment dans le secteur médical. L’Afrique subsaharienne affiche un ratio de 0,2 médecin pour 1 000 habitants contre plus de 3,7 au sein de l’Union européenne. Le nombre important de médecins algériens, zimbabwéens et nigérians officiant respectivement en France, en Afrique du Sud et aux États-Unis illustre cette fuite médicale des cerveaux et les difficultés des pays d’origine à retenir leurs talents. Dans le même temps, le Covid-19 met en évidence la possibilité, via internet, de développer massivement le travail à distance tout en assurant le maintien de services de qualité. L’explosion de la valeur de l’action Jumia, qui a été multipliée par plus de 6 depuis le début de 2020, illustre le potentiel croissant du e-commerce et, plus largement, de l’économie digitale.
Capacité à mobiliser ses réseaux
La plupart des start-up qui se distinguent ont à leur tête des individus issus de la diaspora forts de leur expérience, de leur capacité à mobiliser des capitaux et leurs réseaux. C’est par exemple le cas de Peter Njonjodu, cofondateur de Twiga Foods, plateforme digitale d’intermédiation entre producteurs et vendeurs de produits agricole lancée au Kenya, et de Mehdi Yettou et Noureddine Tayebi, fondateurs de la plateforme de transport individuel Yassir en Algérie, comme bon nombre d’autres innovateurs dans la fintech et l’énergie. Retenir et attirer les talents africains est un levier important pour mener à bien la transformation digitale du continent et vice versa… le recours au digital peut contribuer à dynamiser les actions des États pour lutter contre la fuite des cerveaux en se centrant sur la diaspora.
Trappe à pauvreté
Dans un monde globalisé, la situation des pays africains est complexe : continuer d’investir dans le capital humain sans stratégie de mobilisation des talents incluant la diaspora risque de perpétuer la situation de trappe à pauvreté. En outre, si l’affinité de la diaspora africaine (incluant les deuxième et troisième générations) pour le pays d’origine conduit souvent à explorer l’idée d’un retour, celui-ci, physique et définitif, demeure difficile. Les écarts de revenus entre pays d’origine et pays plus développés restent importants, tout comme les différences de perspectives de carrière. Et, même si certains quittent les pays occidentaux pour l’Afrique comme d’autres abandonnent les villes pour la campagne à cause d’un coût de la vie exorbitant dans certaines capitales, l’adaptation au pays d’origine est souvent délicate.
Internet, la clé de voûte
Internet offre la possibilité de mobiliser à distance cette manne de talents au sein de la diaspora, capable de faire émerger de nouveaux secteurs d’activité créateurs d’emplois de qualité. Pour cela, il faut effectuer d’énormes progrès au niveau de la qualité et de la disponibilité de l’internet de haut débit. Même chose concernant l’essor des systèmes de paiement mobile. Dans certains pays d’Afrique centrale le cout d’accès à internet peut représenter jusqu’à plus d’un quart du revenu mensuel. Le taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique sub-saharienne a atteint plus de 50 % laissant espérer une accélération de l’accès au paiement mobile, y compris en zone rurale. Les États, qui trop souvent régulent mal le secteur des télécoms et se concentrent sur la taxation pour augmenter leurs revenus, doivent aussi revoir leur copie afin de capitaliser sur les dividendes en termes de croissance et d’emplois liés à la garantie d’un internet de qualité et à bas prix pour tous.
Démocratiser les solutions technologiques
Dans un contexte de poussée démographique et de moyens publics limités, la solution technologique, seule capable d’assurer la délivrance de service de qualité à grande échelle notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation, s’impose. D’une part, ces investissements dans les services ont un effet multiplicateur en termes d’emploi potentiellement très important. D’autre part, ces investissements réalisés par les diasporas présentent une grande stabilité étant donné l’affinité portée au pays d’origine. Enfin, les investisseurs étrangers sont largement prêts à soutenir cette diaspora dans son projet de retour. Il est donc grand temps de mobiliser cette botte secrète comme catalyseur de ces investissements étrangers au moment où la crise du Covid-19 fait de la restauration de la confiance un élément crucial. Le saut technologique vers l’économie digitale se fera si le continent arrive à mobiliser cette diaspora, même à distance.