En 2007, dans l’une de mes interventions à l’occasion de l’examen du budget, j’avais demandé au ministre d’État Abdoulaye Diop, en charge de l’Économie et des Finances, si le gouvernement avait fait une étude sur l’impact de l’indiscipline sur l’économie du pays. Il me répondit avec humour, en me demandant de leur proposer des termes de référence. Si je rappelle cette anecdote de ces moments passionnants de la 11ème législature, c’est juste pour inviter les Sénégalais à s’interroger sur les problèmes que vit le pays avec la situation engendrée par la pandémie virale Covid-19. Le Président de la République a déclaré la guerre à la maladie en prenant des mesures et des dispositions que tout le monde avait saluées en son temps. Trois mois après, les cas se multiplient et la contamination progresse de manière exponentielle. 

La cause principale de cette propagation rapide de la maladie n’est rien d’autre que la conséquence directe du non-respect des mesures barrières. Les populations manifestent même et souvent de manière violente contre l’imposition de ces mesures si bien qu’on  pourrait facilement indexer l’indiscipline des sénégalais encore une fois. Cependant, devrions-nous nous  arrêter à ce constat et interpeler les Sénégalais en leur demandant d’être plus disciplines dans leurs comportements ? Si la discipline signifie, de manière simple, le respect des règles qui régissent le groupe, la société, voire la nation; l’indiscipline serait le non-respect de ces règles. À partir de ce moment  la logique voudrait que les sénégalais soient classés en deux groupes. Le groupe de ceux qui respectent les règles face à celui de ceux qui les enfreignent. C’est-à-dire, le groupe des « disciplinés » face à celui des « indisciplinés ». Dès lors, la question toute simple qu’il faut poser  est la suivante : Y-a-t-il des sénégalais qui respectent les règles ? Ma réponse est non. Cela ne veut aucunement dire cependant que tous les Sénégalais sont indisciplinés. Loin de là. Le non-respect des règles et les manifestations violentes qui en découlent ne sont pas souvent un acte d’indiscipline encore moins une défiance à l’égard d’un régime et de son chef. C’est souvent l’expression d’une ignorance ou d’un ras-le-bol face à ces règles. Au Sénégal et en Afrique, les populations ne se sont jamais appropriées les règles qui régissent la société du fait que ces règles ne sont pas les leurs. Elles ne se reconnaissent pas dans ces règles, tout simplement parce que celles-ci sont souvent en porte-à-faux avec leurs cultures, leur croyances et leurs aspirations. 

Au Sénégal et en Afrique, c’est le modèle de gouvernance et de développement qui pose problème. Nous avons un modèle hérité des colons auquel personne ne croit. Tout simplement, à la veille des indépendances, le souci des élites était moins de prendre en charge les préoccupations des populations, que de démontrer aux yeux du colonisateur qu’elles étaient capables de fonctionner de la même manière que lui. On assista dès lors à l’adoption des mêmes systèmes politiques et du même modèle de gouvernance. Force est de constater avec amertume, que le modèle politique brandi à longueur de journée, et dont se réfèrent théoriquement les acteurs à tous les niveaux, est très loin d’être adapté à nos réalités socioculturelles. C’est pourquoi, c’est à la  limite navrant de constater dans le landerneau politique, des chapelles qui se réclament à cor et à cri du socialisme, du libéralisme, du communisme, entre autres, alors qu’il n’en est rien. En réalité, elles ne posent concrètement sur le terrain politique, aucun acte qui cadre avec l’idéologie dont elles se réclament. Beaucoup d’exemples peuvent corroborer cette idée dans les faits. En vérité, nous ne sommes ni libéraux, ni socialistes, encore moins communistes. Nous ne sommes rien d’autre que des sénégalais, africains,  musulmans  ou chrétiens. C’est donc la tumultueuse période de l’émancipation qui nous a plongés dans ces histoires d’idéologie et il fallait à tout prix montrer au colonisateur, que la leçon était bien assimilée, sans nous soucier de la prise en charge de nos besoins réels. In fine,  nous sommes empêtrés dans un modèle et un système que personne ne maitrise, auxquels personne ne croit et chacun y va de sa propre compréhension et de sa ruse.

En définitive, la ruse devient la seule clé de réussite, qui permet de passer entre les mailles du filet, mais personne n’applique réellement le modèle à l’appartenance duquel on se réclame. L’exemple le plus pertinent est le fonctionnement de nos partis politiques. La démocratie est brandie comme une panacée qui n’offre malheureusement aux populations que la liberté d’expression. Ce qui se passe avec le modèle politique se retrouve également dans celui économique, éducatif, sanitaire, de développement tout court. Nous ne nous sommes pas posés la question adéquate sur le modèle de développement qu’il nous fallait et le type de citoyen à former pour sa  mise en œuvre. Tous nos problèmes sont partis de là. Il est grand temps de se pencher sur ce problème qui ne cesse de freiner toute perspective de  développement. Ceci doit  être l’affaire de tous et doit susciter une union sacrée. À partir de ce moment, il appartient au Président de la République de créer les conditions à travers l’opportunité de la lutte contre la pandémie et ses conséquences sur notre économie  pour la réaliser. Nous ne nous nous sommes jamais donnés  les moyens de le faire;  étant toujours préoccupés, les uns (opposition) à créer les conditions de faire tomber le régime en place, les autres (majorité), à chercher à se  maintenir au pouvoir par tous les moyens. La Covid-19 est une opportunité et une perche que le Bon Dieu nous a tendue pour nous permettre d’inverser la tendance de la dépendance et du sous-développement. Serrons les rangs, réglons le problème de l’incohérence de notre modèle pour mieux préparer l’unité de l’Afrique, seul moyen objectif de réaliser le développement de nos pays trop vulnérables. 

Ababacar BA

Ancien Député-maire de Khombole

Président ADS/PAPA