Le syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes) et la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs) ont co-organisé un atelier de partage sur la situation des universités publiques sénégalaises. Une occasion saisie par les uns et les autres pour procéder à un diagnostic sans complaisance et arriver à un triste constat : agir avant qu’il ne soit trop tard.
Université Cheikh Anta Diop de Dakar : Le sempiternel défi de massification
Considérée jusque-là comme la mère des universités publiques sénégalaises, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar n’a pas échappé au nombre pléthorique d’étudiants qui y suivent les cours. Dans ce temple du savoir, le déficit en infrastructures est un réel problème face à un nombre insuffisant d’enseignants qui dispensent les cours, témoigne Diaga Diouf de la coordination Saes/Ucad.
Selon le syndicaliste, le temple du savoir ne dispose que de « 217 salles de cours, soit 23 253 places physiques pour près de trente mille étudiants ». Pour une université de renommée comme Cheikh Anta Diop, il n’y a que « 1375 enseignants chercheurs pour 183 bureaux », regrette Diaga Diouf. Et les étudiants ne sont pas eux aussi épargnés par ces difficultés qui gangrènent le temple du savoir. Selon toujours le membre du Saes/Ucad, au niveau du campus social, il n’y a que « 5000 lits disponibles, 27 blocs sanitaires (soit 1 bloc sanitaire pour 29 763 étudiants) ». Ce qui nécessite de larges concertations pour trouver des solutions urgentes à ces difficultés au grand bonheur du monde universitaire.
Université virtuelle du Sénégal : Seuls 4 Eno livrés sur 50 promis
Créée pour initier les nouveaux bacheliers au numérique, l’université virtuelle du Sénégal a connu un grand boom démographique ces dernières années. En l’espace de six années d’existence, l’UVS est devenue la deuxième université, en termes d’effectifs, avec environ 29 000 étudiants, derrière l’Ucad. Pour cette année, avec la décision du gouvernement d’orienter 10.000 étudiants, l’université compte 39.000 bacheliers, pour un budget de 4,5 milliards de francs et une dette de 1,5 milliard de francs CFA pour les deux dernières années, si l’on se fie aux propos de Momar Sylla Dieng de la section Saes de l’Uvs. En plus de ces problèmes, l’espace d’enseignement virtuel ne dispose pas suffisamment d’Eno, (espace numérique ouvert). « Le ministère avait promis de livrer 5 Eno avant le démarrage des cours. Mais finalement, seuls 2 Eno supplémentaires (Guédiawaye et Saint-Louis) sont disponibles », souligne Momar Sylla Dieng. Qui précise que, « les 3 autres prévus à Louga, Thiès et Pikine sont toujours attendus. Quant aux 42 autres, on n’en parle plus, regrette Abdou Khadre Diop ». Pendant ce temps, constate toujours le syndicaliste, « le taux de décrochage est passé de 44% à la première année (2014) à 22%. En plus, ajoute-t-il, ceux qui intègrent et adoptent le système restent à 90% ». Des efforts qui méritent d’être soutenus par l’autorité.
Université de Thiès : Gros problème de management, 5 recteurs en l’espace de 12 ans
Créée en 2008, l’université de Thiès connaît un sérieux problème d’instabilité dans sa gouvernance. Le top management a plusieurs fois changé de visage en une décennie. « L’université de Thiès a connu 5 recteurs en 12 ans », regrette Massamba Thiam. À cela s’ajoute le problème d’infrastructures. Les travaux de l’université peinent toujours à être livrés à temps. À titre illustratif, « 17 bâtiments ont été loués par l’université au départ. Aujourd’hui, le nombre a baissé, mais des services importants comme la bibliothèque centrale, le rectorat et l’agence comptable sont toujours dans des bâtiments en location », révèle Massamba Thiam, coordinateur de la section Saes. Il s’y ajoute que 25% seulement des enseignants sont des permanents, contre 75% de vacataires pour 6 000 étudiants, souligne toujours le syndicaliste.
Université Assane Seck de Ziguinchor : Recours aux écoles élémentaires pour combler le déficit en infrastructures
Chaque université a ses réalités. Et la particularité à l’université Assane Seck de Ziguinchor, c’est que « l’université n’a pas été pensée avant sa réalisation » souligne Ndiémé Sow de la section Saes/Ziguinchor. En clair, précise toujours la syndicaliste, « tout a été fait dans la précipitation. Après le Joola, il y a eu un empressement de l’État pour créer une université à Ziguinchor », précise encore Ndiémé Sow. Comme toutes les autres universités publiques du pays, le temple du savoir de Ziguinchor fait face à de nombreux problèmes d’infrastructures. La preuve, « l’une des Unités de formation et de recherche (Ufr) est abritée par un bâtiment qui, à l’origine, était destiné à un logement de fonction. Ce sont les salons, les chambres et les cuisines qui sont transformés en bureau et salles de cours », souligne la chargée de communication du bureau national du Saes. Il s’y ajoute que, « le peu de bâtiments qui existent à Ziguinchor est en état de délabrement avancé », se désole-t-elle. Une situation qu’elle explique par « un manque de volonté de la part des autorités ». Alors que « le déficit en infrastructures est tel que le recteur s’est tourné du côté des écoles primaires pour trouver une solution. Cette option a permis à l’université de disposer de 71 salles de classes », alors que le nombre d’étudiants a augmenté considérablement ces dernières années avec 8000 étudiants en 2019.
Université Alioune Diop de Bambey : Quand le déficit budgétaire freine l’élan et compromet les résultats
Pour l’année scolaire 2018/2019, la capacité d’accueil pédagogique étaient de 4 910 étudiants. Mais, pour l’année 2020, près de 3 000 nouvelles orientations sont prévues à l’université Alioune Diop de Bambey, soit une augmentation de 61%. Ce qui constitue un réel problème pour s’assurer de la qualité de l’enseignement. En plus de ce nombre pléthorique d’étudiants dans le temple du savoir, l’université fait face à d’autres problèmes liés aux capacités d’accueil au niveau social, notamment, le logement, la restauration. Au moment où l’université fait face à un déficit budgétaire, se désole Mouhamadou Ngom de la section Saes de l’université Alioune Diop de Bambey
Université El Hadji Ibrahima Niasse de Kaolack : Quand le budget est incapable de prendre en charge les dépenses
Au-delà du déficit infrastructurel, l’université à vocation agricole et métiers annexes (USSEIN), plus connue sous l’appelation Université El Hadj Ibrahima Niass fait face à un déficit criard de budget, si l’on se fie aux propos des membres de la coordination du Saes/USSEIN, Karalan Sy et Moussa Guèye. « Le budget est incapable de prendre en charge certaines dépenses. Et mieux encore, il n’y pas de budget d’hébergement pour les vacataires », rapporte le syndicaliste Karalan Sy. À cela s’ajoutent d’autres problèmes liés au service d’accueil et de restauration. « Nous n’avons pas de services d’accueil et le pire c’est que c’est le Saes qui s’est cotisé pour mettre en place un restaurant fonctionnel pour le personnel enseignant », déplore toujours Karalan Sy. Les syndicalistes déplorent également le problème de communication entre l’administration et les enseignants.
Université Gaston Berger de Saint-Louis : Conçue pour 2 000 étudiants, elle accueille plus de 3 100 étudiants.
Pour l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, la question des infrastructures pédagogiques est une question préoccupante et très complexe, car ayant conduit à de vives tensions entre étudiants et forces de l’ordre et qui ont causé la mort de l’étudiant Fallou Sène. Des tensions sont notées dans la disponibilité des salles de cours. L’accompagnement promis tarde à se concrétiser malgré l’effort fait par certaines Ufr pour accueillir plus de bacheliers. « Les dépassements constatés sur le nombre d’étudiants que devait recevoir l’université créent des difficultés de programmation pour les cours », se désole Diégounoun Diouf, membre de la coordination Saes/UGB. Conçue pour 2 305 étudiants à son ouverture, l’université Gaston Berger est actuellement à 3 100 étudiants. Ce qui impacte fortement le volet social. « Le volet social constitue aussi une grosse inquiétude. Car les conditions de vie et de restauration des étudiants se sont dégradées ces dernières années », souligne Diégounoun Diouf. Mais, « pour éviter que l’histoire se répète », le syndicaliste reste persuadé que « la question de l’assainissement doit être réglée définitivement ». Il invite, à cet effet, les autorités à prendre le taureau par les cornes, avant qu’il ne soit trop tard.