Depuis l’interpellation du faux médecin Amadou Samba, par les policiers de la Sûreté urbaine de Dakar, suite à des tests de Covid-19 qu’il effectuait sur des patients, cette affaire a pris une nouvelle ampleur.  D’un courage étonnant et d’une fourberie insaisissable, Amadou Samba a réussi à se mouvoir, des années durant, dans le très sélectif milieu de la médecine jusqu’à son arrestation vendredi dernier. Enquête sur ce jeune «Rufisquois» qui a réussi à tromper son monde.

Son histoire aurait pu déclencher un grand élan de compassion et de regrets. Surtout chez ses proches et parents qui devraient être tristes face au «destin» d’un des leurs alors promu à un bel avenir. Bien au contraire. L’arrestation, depuis vendredi, par la Sûreté urbaine de Dakar, du faux médecin Amadou Samba qui effectuait des tests de Covid-19 sur des patients, n’est pas une surprise à Rufisque, une ville où il a passé une bonne partie de sa vie. Au quartier Keury Kao où il a vécu sous l’aile protectrice de ses oncles depuis le décès de sa grand-mère, Amadou, plus connu sous le nom de «Papy Samba», est présenté sous les traits d’un homme «pressé de réussir». «C’est un mégalomane qui n’en fait qu’à sa tête.

«Ce gosse vivait au-dessus de ses moyens»

Il se comportait comme quelqu’un qui est au-dessus de tous. Depuis que je l’ai fréquenté, j’ai su très tôt que ce gosse vivait au-dessus de ses qualités et de ses moyens», témoigne D. Ciss, un ancien voisin et militant de l’Alliance pour la République (Apr) à Rufisque. Le comportement de ce jeune né en 1988, d’après les confidences de ses proches, a même poussé un de ses amis à trouver légitime la question qu’il s’est toujours posée : «Est-ce que Papy Samba est équilibré ?» Ce «Baye-Fall» rencontré au coin de la rue Ousmane Socé Diop x rue Péchot, a «toujours douté sur la santé mentale» de son «ami». Il se rappelle l’avoir revu, il y a juste une semaine, traîner dans le quartier, avec «une pile de dossiers en main. C’est certainement les faux papiers avec lesquels il ferrait ses victimes», juge-t-il. C’est le sentiment qui habite cette dame gérante d’une boutique de vêtements. Elle se rappelle l’avoir accueilli dans son magasin il y a moins de 15 jours. «Il était venu pour acheter des chemises Lacoste, mais j’ai l’impression qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales.»

«Papay Samba», un jeune mégalomane, jouisseur et gourmand

Dans son entourage, les témoignages sont unanimes. Même au sein de sa propre famille. Une de ses sœurs dont «L’Observateur» a recueilli le témoignage par le biais d’une autre personne, signale que «Papy Samba», ancien pensionnaire de l’école sénégalo-turc Yavuz Selim, est connu «pour être un perturbateur, c’est pourquoi il est renvoyé de beaucoup d’établissements scolaires qu’il a fréquentés». Il revient dans les confidences que Samba était contraint d’entretenir un «grand mensonge». Pour ceux qui le connaissent, l’homme aime la belle vie et adore les petites sorties et autres escapades dans les hôtels les plus huppés de Dakar et de la Petite Côte de Saly. «A chaque fois qu’il parle, il évoque les noms de hautes personnalités et parlent des affaires à coup de millions», explique un jeune de Keury Kao. D’après lui, à chaque fois qu’il passe voir ses amis, il ne cesse de montrer des photos en compagnie de hautes personnalités. «Je pensais même qu’il travaille dans le gouvernement. Car, il nous parle de Palais, de tel ministre, des Directeurs généraux qu’il fréquente et des grands hommes d’affaires», se souvient un de ses contemporains. Qui révèle qu’un ami l’avait même surnommé «Grand homme d’affaires sénégalais». Même si le voisinage se posait des questions sur son statut, le doute devenait parfois sans objet en raison du niveau de vie de Amadou Samba. «Il était souvent très liquide et menait une vie de Pacha.» Son obésité témoigne, d’après une de ses voisines du quartier de Keury Kao, de sa gourmandise. «Il passe tout son temps à manger. C’est un homme fade, il n’a pas de femme et je ne pense même pas qu’il a une copine», souligne N.F, voisine du faux médecin.

Renvoi de la Mutuelle de santé de la Sococim

Pourtant, le cas de «Papy Samba» aurait pu ne pas en arriver là si la famille avait pris au sérieux l’alerte qui avait été lancée depuis longtemps. Un médecin et gestionnaire d’une clinique de renommée à Rufisque se rappelle avoir prévenu un oncle de Amadou Samba. «Je savais qu’il allait avoir des problèmes. On parle de sa clinique à Rufisque, mais en réalité, il n’en pas, sinon j’allais le dénoncer à l’Ordre des médecins. Il traînait souvent aux abords de ma clinique, mais je ne lui ai jamais donné l’occasion de m’approcher. J’ai personnellement informé son oncle de ses agissements. D’ailleurs, il m’a appelé avant-hier vendredi, pour me dire que j’avais raison», regrette le médecin. Ce sentiment de méfiance de ce médecin n’a pas habité les gérants de la Mutuelle de santé de la Sococim qui a employé Amadou Samba en qualité de médecin. Mais, il finit par être viré après seulement un mois de service. «L’homme ne présentait aucun caractère digne d’un homme du sérail. Il était farfelu des fois mal fagoté. Il multipliait les erreurs et semblait trainer des problèmes psychiques.  C’est pourquoi le médecin-chef l’a renvoyé», souffle en cachette un membre du personnel médical de la mutuelle de santé de la cimenterie de Rufisque.

La «déception» d’une famille alertée

Chez la famille de «Papy Samba», c’est le temps des regrets. Pourtant, tout a été fait pour lui donner un avenir radieux. «Lorsque son père est allé à la retraite, nous lui avons demandé de tout faire pour organiser sa soutenance. Il n’était plus possible de payer ses études, car étant trop chères. Il nous a déçus», pleure une de ses sœurs au téléphone d’une connaissance. Depuis quelque temps, Amadou vit avec sa mère et sa sœur à Keur Ndiaye Lô, une commune sise dans la commune de Bambilor, à quelques kilomètres de la ville de Rufisque. Ses parents et proches n’ont pas beaucoup douté sur les agissements de leur fils en raison de ses activités connues de tous. «Papy Samba» a participé à plusieurs projets de santé avec des structures reconnues de l’Etat ainsi que des associations. Il a sillonné le Sénégal avec la fondation «Servir le Sénégal» de la Première dame Marième Faye Sall à travers le projet médical dénommé «Rama» qui consistait à une prise en charge médicale des personnes du 3e âge. L’expérience de «Dr Samba» est aussi des journées médicales de Mermoz qu’il organisait avec des parrains constitués «de grosses pontes de la République». Le jeune «médecin» avait également mis sur pied le Doing Business  Holding qui évoluait, selon lui, dans les domaines de l’expertise comptable, l’audit, la fiscalité, la micro-finance entre autres domaines.

Clinique à Dakar avec un numéro de téléphone de Touba

Connu pour son «intelligence», Amadou Samba a réussi à se faire une place dans le cercle des «gros bonnets». Il aime exhiber les photos qu’il prenait avec certaines sommités et grandes personnalités du monde. C’est le cas avec l’audience qu’il a eu au Palais de la République avec le chef du Bureau économique de Turquie à Dakar, lors de la visite du Président Turc Recep Tayip Erdogan à Dakar. Il aurait aussi reçu le lutteur Rocky Balboa et son médecin dans sa clinique dénommée «Cheikh Soumbounou» sises aux HLM 5 de Dakar. Il revient de l’enquête menée par «L’Observateur» que Amadou Samba n’hésitait pas à mentionner un faux numéro de téléphone sur les contacts de ses cabinets médicaux. «C’est le cas avec celui des Hlm 5 où il avait donné le numéro d’un maître d’Arabe établi à Touba». Joint au téléphone, l’enseignant révèle avoir reçu des centaines d’appels qui réclament Dr Samba. Il a d’ailleurs décidé de se rendre à la Police de Touba pour faire une déposition. L’homme est également connu des plateaux de télévision. Il a été invité dans plusieurs émissions sur la prise en charge médicale de certaines pathologies. Pour mieux réussir son jeu, il n’hésitait pas à investir la presse à travers des émissions qu’il publiait après dans les réseaux sociaux. Depuis son arrestation, ses passages aux émissions «Ngonal» de la Tfm et «12-13» de la Rdv tournent en boucle dans les réseaux sociaux. Un fervent défenseur du régime en place qui tirait sur tous ceux qui critiquent la vision de Macky Sall. «Au-delà du Sénégal, il a réussi à nouer des partenariats avec des pharmaciens français et même des hommes d’affaires turcs».

 Contact avec le beau-père de Macky Sall et activités à l’Apr

Pour mieux ferrer ses victimes, Amadou Samba a pris le temps de s’approcher de certains responsables pour valider son militantisme aux côtés du régime en place. L’on confie qu’il rôdait autour du beau-père du président de la République, Homère Seck. A travers sa tendance politique à Rufisque, «Papy» a participé à plusieurs activités sur le terrain. C’est ainsi qu’il a réussi à intégrer le cercle des cadres républicains dirigé par l’actuel ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, sans l’aval des cadres Rufisquois. «C’est après l’élection Présidentielle du 24 février 2019 que nous l’avons rencontré dans le cadre d’une tournée de remerciements auprès des responsables. Ce jour, nous l’avons trouvé dans le bureau du Doyen Homère Seck. Il est venu à Bargny dans l’une de nos réunions et depuis lors, nous le retrouvons dans toutes les rencontres des cadres du parti (Apr). Mais j’avoue qu’il ne milite dans la Ccr de Rufisque et je n’ai jamais reçu son dossier», précise Assane Mansour Mbengue, président de la Ccr de Rufisque. Mais au sein de la Ccr nationale, l’on ne se souvient pas de Amadou Samba. «Je connais presque tous les cadres actifs dans la structure, mais je ne me rappelle pas de lui. S’il a intégré la Ccr, ça ne doit pas durer», explique le responsable Bara Ndiaye. A Keur Ndiaye Lô, l’homme est quasi-inconnu. «Nous ne le connaissons pas. Il n’a jamais milité à Keur Ndiaye Lô. Il ne vote pas ici. Personnellement, je ne le connais pas, les responsables du parti non plus», précise le maire de Bambilor Ndiagne Diop. Même si son militantisme au sein de la Ccr est contesté, «Dr Amadou Samba» a pris part à nombre de rencontres organisées par la structure des cadres dirigée par le ministre Abdoulaye Diouf Sarr. La dernière en date est celle tenue au King Fahd Palace le 16 novembre 2019 et présidée par le Président Macky Sall. D’ailleurs, «Dr Samba» a publié les photos de la manifestation sur la sa page facebook qui a battu un record de visites, le temps d’un week-end. Mais pas pour des consultations médicales. 

Parcours atypique d’un «vierge» médecin

Amadou Samba n’est pas «vierge». Son parcours estudiantin et professionnel n’est pas aussi lisse que son signe astrologique (il est né le 9 septembre 1988). Et pourtant, le faux médecin avait, il y a 4 ans déjà, promis de faire «palpiter les cœurs» de ses détracteurs qui l’avaient pris à partie sur un de ses posts Facebook. «Pourquoi dans cette vie, les gens ont peur d’assumer leur vie et leurs idées. Ce Sénégal est mal barré parce que les gens sont tellement faux et hypocrites. Le défaut du Sénégalais, c’est qu’il pense que tout le monde est comme lui. Allez prendre vos doses de Sintrom 4mg (un anticoagulant), car très prochainement vos cœurs vont palpiter grave», répliquait «Dr Samba», dont le verbe peu hospitalier ne s’éloigne jamais du langage médical. Un milieu qu’il connaît assez bien pour avoir tenté à deux reprises des études en Médecines qui n’ont jamais abouties. Mais qui l’ont beaucoup servi dans sa pratique illégale du métier de médecin. Une profession qu’il a longtemps usurpée et au nom de laquelle il s’est souvent adressé à la population via les réseaux sociaux et les médias.

Un Curriculum Vitæ qui laisse pantois 

Le 4 mars dernier, les animateurs de l’émission «Ngonnal» ont décroché un invité de marque. Pas facile à choper. A la suite de la chanteuse Titi qui n’a pu qu’appeler, à travers sa belle voix, les Sénégalais à la prise de conscience face au Covid-19, Amadou Samba entre en scène. Le spécialiste rêvé pour parler de la nouvelle pandémie. La démarche chancelante, l’homme au physique de lutteur monte sur le plateau. Première fausse note, il serre la main de tout le monde avant de prendre place. «Il faut éviter de serrer la main aux gens en ces temps de pandémie», reconnaît-il, plus tard, son erreur. C’était au cours de l’émission. Face aux comédiens Cheikh Ndiaye, Cheikhou Guèye alias «Sa Neex», Soumboulou Bathily et Abdou Aziz Niane dit «Aladji Gora», le «médecin» tente d’impressionner son monde. Le regard fuyant, il étale son savoir. D’entrée, il décline un Curriculum Vitæ (Cv) qui laisse pantois les animateurs. «Je suis médecin spécialisé en développement industriel du médicament et titulaire d’un MBA à ISM. Je suis militant de l’Alliance pour la République (Apr) à Rufisque», lance-t-il écarquillant les yeux. Assez pour gagner en confiance et, par ricochet, captiver l’attention des téléspectateurs.

Rebut de l’Ucad et Saint-Christopher

Sauf que dans sa présentation, Amadou Samba a volontairement omis de mentionner son passage à la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie (Fmpo) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar et à l’École privée de médecine Saint-Christopher de Dakar. Deux tentatives infructueuses de décrocher le diplôme de médecin. «Il a été renvoyé de la Faculté de Médecine de Dakar. Et par la suite, il est parti à l’école privée de médecine Saint-Christopher où il a aussi été renvoyé. Il n’a pas pu franchir la troisième année à la Faculté de Médecine de l’Ucad», révèle Amadou Sow, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins du Sénégal. Le motif de son renvoi de l’Ucad n’est pas (encore) révélé, mais l’on confie qu’il a été exclu pour outrage au Doyen de la Faculté, le Professeur Ardo Bâ. Son aîné de quelques années à la Fmpo, Amadou Sow ne connaît pas les raisons du divorce entre Amadou Samba et la Faculté de Médecine. Mais, il se souvient du jeune étudiant rufisquois. «C’est un jeune qui me vouait beaucoup de respect. Je l’avais perdu de vue et je ne savais plus ce qu’il était devenu, même si nous sommes devenus, plus tard, amis sur Facebook», explique-t-il.

«Étudiant déjà, il se présentait comme médecin»

Amadou Samba n’en est pas à son coup d’essai. Être médecin, l’enfant de Keury Kao en avait fait plus qu’une obsession, un point d’honneur. «Étudiant déjà, il se présentait comme tel (un médecin). Il aimait être à l’hôpital où il restait volontairement des jours durant sans rentrer chez lui», révèle Amadou Sow. Et plus tard, malgré ses deux échecs, Amadou Samba a voulu toujours être considéré comme une blouse blanche. Quitte à mentir sur son CV et à rouler dans la farine de vrais… collègues. Par la sous-traitance. «Il est dans plusieurs cliniques. Il a eu à faire beaucoup d’hôpitaux. Il y a des collègues cardiologues qui n’en reviennent toujours pas. Parce que durant les services cardio, il y était tout le temps et beaucoup ont pensé qu’il est cardiologue. A un certain moment, il était dans d’autres services. Il a gagné un marché de visite annuelle des travailleurs d’une entreprise publique au Sénégal. Il a sous-traité avec des collègues, des praticiens qualifiés, et il leur doit de l’argent pour ce marché», explique Amadou Sow. Qui, lui aussi, ne revient toujours pas de l’étonnante saga du faux Docteur Amadou Samba.

«Renvoyé de la clinique Jaboot depuis 2019»

Au début, il y a une ordonnance. Un petit bulletin médical avec un nom, un cachet et une signature. «Je soussigné, Dr Amadou Samba, Médecin-chef et directeur de la clinique «Jaboot» (biomédical) sis au Point E, avoir demandé la libération du malade K.D. pour une Mpec», lit-on dans la décharge qui a fait, hier soir, le tour des réseaux sociaux. Un bout de papier et quelques mots qui ouvrent la chasse aux infos. Un coup de fil à la clinique dans la soirée d’hier a permis d’en savoir plus. La clinique a fermé ses portes depuis l’avènement du Covid-19 au Sénégal. Mais il y a encore une voix qui répond au téléphone. Et concernant le «Dr Samba», elle est affirmative. «Il a été démasqué et renvoyé de cette clinique depuis 2019. C’est un faux médecin. Il n’est rien dans cette clinique», confie l’homme qui a décroché le téléphone. Comment cette clinique a pu recruter un faux médecin ? Et pourquoi, quand la structure s’en est rendue compte, elle n’a pas porté l’affaire devant la Justice ? Autant d’interrogations qui demeurent jusque-là sans réponses et qui ont peut-être permis au «Dr Samba» de poursuivre son entreprise délictuelle.