L’économiste sénégalais Makhtar Diop prend, à 60 ans, la tête de la Société financière internationale (IFC, Groupe Banque mondiale). La consécration d’une approche méticuleuse, patiente et discrète.

«Right choice, right time» («bon choix, bon moment»). L’adresse simple, signée par le Rwandais Donald Kaberuka, ex-président de la Banque africaine de développement (BAD), a particulièrement touché son destinataire, entre autres nombreuses marques de soutien dans les médias sociaux, le 18 février dernier. Le Sénégalais Makhtar Diop est alors officiellement présenté en tant que nouveau directeur général et vice-président de la Société financière internationale (IFC), la filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé. Il devient le premier Africain à la tête de la plus grande institution internationale d’aide au développement.

Très longue procédure de recrutement

Après un long processus de recrutement (une centaine de candidatures), l’économiste de 60 ans est choisi pour remplacer le Français Philippe Le Houérou à compter du 1er mars 2021. L’annonce du départ de ce dernier, en juin 2020, a activé à Washington comme dans les capitales africaines un Who’s Who de noms providentiels. L’économiste camerounaise Vera Songwe et le ministre ivoirien Thierry Tanoh, tous deux anciens d’IFC, ou encore le titan franco-ivoirien de la finance Tidjane Thiam… Ce dernier finira par siéger au comité de sélection ad hoc chargé de trouver le candidat idoine, composé de six personnes issues de l’institution de Bretton Woods, et présidé par l’Indonésienne Mari Pangestu. Une procédure longue donc, dictée par les contraintes de la crise sanitaire, jusqu’à la validation de la candidature de Makhtar Diop par le conseil d’administration de l’institution le 17 février. À cette date, le comité de sélection présente sa short-liste au président du groupe de la Banque mondiale. David Malpass a alors trois candidatures en main, toutes sont africaines. Selon les informations de JA, aux côtés de celui de Makhtar Diop, figure le dossier de l’ancien Premier ministre togolais (2008-2012) Gilbert Houngbo, finalement réélu à la tête du Fonds international de développement agricole (Fida) à la mi-février.

Bataille de pointures et alignement d’étoiles

En course également, Leslie Maasdorp, vice-président et directeur financier de la Nouvelle banque de développement (NBD), passé entre autres par Bank of America Merrill Lynch et Barclays, et ancien DG adjoint du département des entreprises publiques au ministère sud-africain du Travail, lors de la vague de privatisations à la fin des années 1990. Malpass choisira Diop et soumettra sa décision au vote des administrateurs. La suite de l’histoire est connue… Mais, pour quelles raisons le profil de l’ancien ministre sénégalais de l’Économie et des Finances (2000-2001), héraut de la Banque mondiale, s’est-il imposé à IFC ? Une partie de la réponse est contenue dans la question. Le reste est dû à un alignement d’étoiles, pour faire du fils d’un avocat et d’une sage-femme originaires de Saint-Louis le choix naturel. «Par son parcours académique comme par ses réalisations professionnelles, Makhtar avait plus que ce qu’il fallait pour occuper le poste», assure Ibrahim Sagna, responsable mondial du conseil et des marchés de capitaux d’Afreximbank. Ce financier salue l’éthique de travail de son compatriote avec lequel il a collaboré étroitement au Fonds monétaire international (FMI) en 1997 à l’époque où Alassane Ouattara était directeur général adjoint de l’institution. «Makhtar Diop est un dirigeant qui a toujours obtenu des résultats», poursuit Sagna qui se souvient d’une personnalité «déjà exceptionnelle».

Bien que favori, il renonce à la BAD

Ces mêmes atouts ont contribué à faire de Makhtar Diop, en 2014, un favori pour la présidence de la BAD, à l’issue du second mandat de Donald Kaberuka. À l’époque, le Sénégalais est fortement soutenu. Il est d’ailleurs désigné parmi les 50 Africains les plus influents par Jeune Afrique. Au demeurant, à Washington, on respecte le profil de libéral modéré et le combat pour la bonne gouvernance de celui qui, en janvier 2012, est devenu le premier Africain francophone nommé vice-président de la Banque mondiale chargé de l’Afrique. Ce n’était toutefois pas son heure. À la mi-octobre 2014, contre toute attente, Makhtar Diop renonce à se présenter. Le Nigérian Akinwumi Adesina sera élu quelques mois plus tard. Réfutant les controverses de l’époque, l’entourage du Sénégalais l’affirme aujourd’hui : il ne faut pas chercher la petite bête. Des «motifs personnels» ont expliqué le retrait de 2014. L’économiste a continué son chemin sans ressentir la moindre amertume, encore moins l’idée d’une quelconque revanche. Cet épisode aura pourtant permis à Makhtar Diop de consolider son curriculum vitæ, son expérience au sein du groupe de la Banque mondiale, jusqu’à en diriger la principale filiale consacrée à l’investissement privé dans les pays en développement. «Il a commencé sa carrière dans le privé, c’était donc dans son ADN», confie un proche.

Plus gros portefeuille de la Banque mondiale

Tout juste diplômé en économie des universités de Warwick et de Nottingham, en Angleterre, et en finance à l’École supérieure des sciences commerciales appliquées (ESLSCA), en France, Diop démarre dans le secteur bancaire. Il rejoint le FMI en 1997 pour atterrir trois ans plus tard au gouvernement sénégalais, comme ministre de l’Économie et des Finances. Fin 2001, il entre à la Banque mondiale, groupe qu’il ne quittera plus, ou presque. Au siège de la Banque mondiale, Makhtar Diop a notamment marqué ses six années à la tête de la région Afrique subsaharienne, avec un montant record d’engagements de 70 milliards de dollars. À ce poste, il a œuvré à la mobilisation de financements privés pour les infrastructures en Afrique, favorisé les écosystèmes d’innovation et accéléré l’adoption de nouvelles technologies. Spécialiste des énergies renouvelables, il a également encouragé les investissements dans ce domaine ainsi que l’interconnectivité régionale dans les secteurs de l’énergie et du transport. Fort de ce bilan, c’est à lui que Jim Yong Kim, alors président de la Banque mondiale, pense en 2018 pour diriger sa nouvelle branche Infrastructures, jusque-là contenue dans le portefeuille «Développement durable». Makhtar Diop ajoute de nouvelles cordes à son arc puisqu’il pilote à la fois les secteurs transports et économie numérique, l’énergie, ainsi que le financement des infrastructures et les partenariats public-privé.

Devenu incontournable dès la survenue de la pandémie

En définitive, son périmètre (énergie, transport, numérique & télécoms) représente 31 % du portefeuille des engagements nets de la Banque mondiale. C’est le plus important de l’institution multilatérale. Makhtar Diop se rapproche davantage des yeux et des oreilles de Jim Yong Kim, puis de David Malpass, qui lui succède en janvier 2019. Et encore, il devient incontournable à l’arrivée de la pandémie. «La crise du Covid-19 a mis l’accent sur le numérique, c’est indiscutable», soulignait-il en décembre dernier. Il rappelle d’ailleurs que la Banque a signé dès avril 2020 un plan d’action en réponse à la crise avec le Forum économique mondial (WEF), le groupement des acteurs de la téléphonie mobile (GSMA) et l’Union internationale des télécommunications (ITU), pour la mise en place d’un accès à l’équivalent de la 4G partout dans le monde d’ici à 2030. Le numérique est l’un des thèmes centraux actuels de la Banque mondiale, avec le transport et la logistique des vaccins. Sujets sur lesquels Makhtar Diop s’est penché plusieurs mois avant sa sélection à l’IFC. David Malpass n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner le 18 février dernier. «Ses compétences aideront le groupe de la Banque mondiale à apporter une réponse rapide à la crise mondiale et contribueront à bâtir une reprise verte, résiliente et inclusive.» La boucle est bouclée.