La Cour des comptes française a enquêté sur la stratégie de la France dans les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) et la cohérence des actions civiles et militaires dans la région, au service de la sécurité de ces États et du développement économique et social de leurs populations. La France a déclaré l’espace sahélien, l’une des régions du monde les plus déshéritées, prioritaire pour l’aide au développement. Si les dépenses françaises y ont plus que doublé, passant de 580 M€ à 1,35 Md€ entre 2012 et 2018, la majorité des sommes concernées a trait aux dépenses militaires. L’aide publique au développement n’a pas suivi la même progression et la priorité affichée tarde à se traduire dans les faits. Concernant la présence militaire française, l’extension progressive du périmètre d’intervention et la diversification des objectifs rendent incertains les critères qui permettront d’évaluer si un terme satisfaisant a été atteint, pour la France et pour le Sahel. Un bilan d’étape paraît nécessaire, notamment afin de préciser ces critères. Les complémentarités entre actions militaires et civiles d’aide à la stabilisation et au développement doivent être recherchées et se traduire dans l’organisation de la réponse française, notamment avec une coordination interministérielle renforcée. La Cour des comptes formule quatre recommandations à cette fin.

Il était une fois l’Opération Serval…

En 2013, la France est intervenue dans le cadre de l’opération Serval pour mettre fin  à l’occupation du septentrion malien par des djihadistes affiliés à Al Qaïda. Cette intervention s’est poursuivie et à partir de 2014, Barkhane a pris le relais de Serval. Sept ans après, les djihadistes sont dépourvus de territoire comme c’était le cas en 2012 entre Tombouctou, Kidal et Gao, mais les balles n’ont pas pour autant cessé de crépiter au Mali. L’insurrection jihadiste a touché d’autres pays sahéliens et aujourd’hui, rien n’indique qu’elle sera vaincue. C’est dans ce contexte qu’une enquête a été menée par la Cour des comptes française pour évaluer les actions civiles et militaires dans les pays du G5 Sahel et leur relation avec l’aide publique au développement. De ce travail dont un compte rendu  a été envoyé au premier ministre français Jean Castex par le premier président de la Cour des comptes, il est apparu que les priorités n’ont été qu’en partie suivies d’effet, que la connaissance et le suivi de l’aide au développement de la France dans la région doit être renforcée. Selon le rapport, les grands acteurs de l’aide au développement, bilatérale comme multilatérale, dirigent spontanément leurs actions vers des pays dont l’économie est plus avancée et la situation géopolitique plus stable. Il a été aussi constaté que les prêts l’emportent sur les dons. Cette disparité a été corrigée entre 2016 et 2018 et les États du G5 Sahel sont devenus prioritaires à l’aide publique au développement, avec une augmentation de la part de dons et que les crédits spécifiques, gérés par l’Agence française au développement (AFD) soient dégagés à leur profit pour un montant annuel de 100 millions d’euros, 200 millions à partir de 2020

De l’efficacité de l’aide au développement

Mais, selon le décompte fait par la Cour des comptes, entre 2012 et 2018, les dépenses dans les pays du G5 Sahel ont plus que doublé passant de 580 millions d’euros à 1,35 milliard d’euros dont près de 60% de dépenses militaires. L’organe de contrôle décèle une distance entre l’aide publique au développement et convoque les faits selon lesquels les États sahéliens ne représentaient en 2018 que 10% de l’APD française en Afrique. Le constat de la Cour des comptes, est donc que la montée de l’engagement militaire de la France dans la région ne s’est pas accompagnée, jusqu’en 2018, d’une accentuation notable de l’effort d’aide publique au développement. Pour réduire l’écart entre les priorités et les réalisations, la Cour des comptes recommande de doter le CICID et son secrétariat d’instruments de suivi, notamment de tableaux de bord consolidant par région et pays les défenses des administrations publiques et de l’AFD, mais aussi d’indicateurs pour mesurer leur variation dans le temps. Comme évoqué dans le premier paragraphe, les contrôleurs ont interrogé l’efficacité de l’Opération Barkhane. Il est utile de rappeler qu’entre 2014 et 2020, le nombre de militaires déployé par la France au Sahel pour combattre le terrorisme est passé de 4. 000 à 5.100. «En 2018 et en 2019, la dégradation de la sécurité dans les régions adjacentes à son intervention, dans le centre du Mali et dans les régions frontalières du Burkina Faso, n’a pas permis que la stratégie ainsi définie de stabilisation par zones successives se déroule ainsi qu’elle avait été programmée», fait noter la lettre du premier président de la Cour adressée au Premier ministre le 9 février dernier.

Nébuleuse au ministère malien de la Défense

«Plus largement, poursuit la cour des comptes, l’extension par rapport à l’opération Serval du périmètre d’intervention ainsi que la diversification des objectifs ont rendu incertains les critères qui permettront de dire qu’un terme satisfaisant de l’opération, pour la France et les États du G5 Sahel, aura été atteint. » Pourtant, les opérations militaires dans la bande saharo-sahélienne coûtent à la France un milliard d’euros par an. La Cour des comptes est favorable à l’évaluation de l’opération, conformément aux conclusions du sommet de Pau du 13 janvier dernier. Il s’agira de préciser les critères d’un terme satisfaisant de l’opération pour la France et ses partenaires. La Cour s’est aussi intéressée aux missions européennes chargées de la formation des forces militaires maliennes (EUTM Mali) et des forces de sécurité inférieure maliennes et nigériennes (EUCAP). L’organe de contrôle regrette des défaillances dans le suivi des militaires formés dans le cadre des deux missions. « Elles déplorent, en particulier, l’absence, au ministère malien de la Défense, d’un système informatisé des ressources humaines (SIRH) qui permettrait d’avoir une connaissance sûre des effectifs réels de l’armée ainsi qu’un paiement des soldes des militaires sur un compte bancaire qui garantit leur juste rémunération». Pour la Cour des comptes, cette absence d’un SIRH et de procédure de contrôle adéquate des effectifs et des rémunérations versées est anormale, compte tenu de l’importance et de la continuité des efforts humains et financiers de la France pour accompagner le Mali dans la gestion de ses forces armées.

Que font les «Envoyés spéciaux» pour le Sahel ?

La réponse ne risque pas d’arriver de sitôt. Dans la lettre adressée au Premier ministre, le premier président de la Cour des comptes révèle que les deux premiers ambassadeurs, envoyés spéciaux nommés par la France n’ont pas produit de rapport d’activités. Ce qui rend difficile l’évaluation de l’efficacité de ce dispositif même si les éléments dont dispose la Cour des comptes l’amène à reconnaître que «l’autorité interministérielle de l’ambassadeur, envoyé spécial pour le Sahel, reste limitée.» Pour l’organe de contrôle, l’envoyé spécial pourrait contribuer davantage à la coordination des actions des entités publiques concernées.  La Cour des comptes recommande que sa lettre de mission soit signée par le Premier ministre. «Cette modalité pourrait lui donner un surcroît d’autorité pour exercer pleinement sa fonction, y compris auprès des ministères économiques et financiers; elle lui conférerait en  outre une légitimité accrue auprès des gouvernements des États du G5 ainsi que des organisations internationales, en premier lieu les Nations Unies», suggère la Cour des comptes. Qui regrette que les ambassadeurs de la France dans les pays du G5 Sahel ne soient qu’associés à la coopération entre la force Barkhane et l’AFD pour des échanges d’informations et des demandes d’intervention. Selon la Cour des comptes, l’ambassadeur du lieu où se tiennent les réunions, devrait présider ces réunions. La réponse du Premier ministre français à la communication du premier président de la Cour des comptes doit intervenir deux mois après son envoi.