Le sondage, pourtant non publié officiellement, obsède tous les responsables politiques, qui en ont pris connaissance. Mieux, il a marqué les esprits, changé les regards, modifié la donne et bouleversé les cartes. En effet, selon une enquête d’opinion Harris Interactive, au second tour de la présidentielle de 2022, le duel Emmanuel Macron-Marine Le Pen pourrait se jouer, cette fois, dans un mouchoir de poche.

Cela a commencé samedi peu avant 11 heures, François de Rugy s’énerve sur twitter : « Quelle dérive de voir une partie de la gauche renvoyer dos à dos Marine Le Pen et Emmanuel Macron ! Éviter à notre pays de dériver vers toutes les formes de radicalisation est une ardente nécessité. On verra qui est au rendez-vous lors des prochaines élections régionales ». Le message accompagne la Une de Libération du même jour, qui présente Emmanuel Macron et Marine Le Pen dos à dos. L’image est barrée de quelques mots entre guillemets : « J’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini », paroles d’un électeur de gauche déçu par l’actuel président.

Une heure plus tard, Nathalie Loiseau, ex-tête de liste LREM aux Européennes, poste un tweet rageur : « 19 ans. Il n’aura fallu que 19 ans à une partie de la gauche pour perdre la boussole, renier ses valeurs et espérer le pire, dans l’attente illusoire de jours meilleurs pour elle ». Le message est suivi de deux images : la Une de Libé datée du 22 avril 2002 qui dit « NON » à Jean-Marie Le Pen, et de celle du jour.

Au fil de la journée, les messages des marcheurs ne vont pas cesser, mêlant confusément attaque contre le journal lui-même et dénonciation de l’attitude desdits électeurs de gauche. Ainsi Marie Chistine Lang, député LREM de Paris écrit : « Cette soi-disant vraie gauche qui a tout perdu, ses valeurs, sa boussole, sa dignité… Honte à elle ! Quant à nous, nous continuerons à combattre #LePen et à faire barrage au Front National. Toujours, partout ».

Le dossier de Libé s’appuie sur des centaines de lettres reçues par le journal après un appel à témoin, des lecteurs qui se disent prêts à créer un électrochoc. Ces témoignages sont corroborés par une enquête Harris Interactive de fin janvier qui place le président de la République à 52 % des intentions de vote, à quatre points de la présidente du RN, en cas de duel au second tour. Un écart tellement serré qu’il se situe dans la marge d’erreur du sondage. Ce sondage n’a pas échappé à la vigilance des marcheurs.

D’ailleurs, depuis des mois, certains proches du chef de l’État s’inquiètent, sous couvert d’anonymat, de ce mouvement qu’ils sentent progresser. Il y a quelques mois, un ministre de premier plan confiait à La Dépêche : « Mes deux sœurs ont toujours voté PS, elles ont fait une exception en 2017 parce que je faisais la campagne d’Emmanuel Macron. Mais, cette fois, je suis certain que je serai incapable de les convaincre de revoter pour lui ».

En septembre, l’un des piliers du parti disait la même chose avec d’autres mots : « J’ai un vrai doute sur le résultat du second tour de la présidentielle car, cette fois, les électeurs de gauche vont aller à la pêche », nous assurait ce député issu du PS. Alors pourquoi une telle réaction alors qu’une partie des proches de l’Élysée s’inquiètent déjà, depuis des mois, de cette tendance forte des électeurs de gauche ? Mauvaise foi ou déni ?

Depuis, les marcheurs semblent avoir pris un peu de recul, Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de LREM, tweetait en fin de journée : « @libe a raison de nous alerter sur l’état de l’opinion et de l’électorat. Il n’y aura plus de front républicain, c’est un fait. Le RN au pouvoir serait une catastrophe. Nous ne l’empêcherons pas par l’incantation mais par notre action, notre humilité et notre force de conviction ».

Jusqu’alors, seul le volet « premier tour » de l’enquête Harris Interactive, commandé par le quotidien L’Opinion, avait été rendu public. Quels que soient les scénarios, Marine Le Pen y devance Emmanuel Macron, parfois de 3 points. C’est le cas dans le scénario où Arnaud Montebourg représenterait la gauche et Valérie Pécresse la droite. L’écart se réduit si Anne Hidalgo est candidate, à 24/26, quel que soit le candidat de droite, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse. Dans tous les cas, Nicolas Dupont Aignan fait 7 % des voix.