Le bras de fer entre le pouvoir et Ousmane Sonko, principale figure de l’opposition, s’est durci, ce mercredi 3 mars, avec son arrestation à Dakar. Ce fut à la suite de heurts sur le trajet du tribunal, où il devait être entendu au sujet d’accusations de «viols et menaces de mort» contre lui.
L’arrestation de M. Sonko, annoncée par ses avocats au terme d’une matinée tumultueuse dans la capitale sous haute surveillance policière, est le dernier épisode d’une affaire qui agite depuis un mois le monde politique, avec la présidentielle de 2024 en toile de fond. M. Sonko, chef du parti Pastef/Les Patriotes (Les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) et arrivé troisième de la présidentielle de 2019, est au cœur d’une affaire de viols présumés, montée selon lui de toutes pièces par le président Macky Sall afin de l’écarter de la course à la présidentielle de 2024. Il se rendait au tribunal pour être interrogé par le juge quand il a été arrêté. Le déplacement entre son domicile et le palais de justice a donné lieu à des tirs de gaz lacrymogènes pour disperser les groupes exaltés l’accompagnant ou se formant sur son passage, et à des pourparlers de plusieurs heures entre la délégation et les forces de l’ordre sur son itinéraire. Djiby Diagne, l’un des avocats d’Ousmane Sonko, a vu dans son arrestation un subterfuge afin de le mettre en garde à vue pour trouble à l’ordre public et de le conduire ensuite aisément devant le juge chargé de l’enquête pour viols présumés. Cette nouvelle procédure « est une simple technique qui permettait d’avoir la main sur lui et de l’écarter de son public », a-t-il déclaré.
«La volonté du prince»
M. Sonko, 46 ans, est visé depuis début février par la plainte pour « viols et menaces de mort » déposée contre lui par une employée d’un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos. L’Assemblée nationale a levé la semaine passée son immunité parlementaire. M. Sonko nie les accusations. Après avoir affirmé qu’il ne déférerait pas à la convocation du juge, l’ardent et relativement jeune politicien s’est ravisé pour, a-t-il dit, ne pas fournir le prétexte de l’amener de force devant le magistrat. Il a exprimé sa défiance envers une justice sénégalaise qui ne « tranche jamais dans un autre sens que la volonté du prince ». L’affaire Sonko a déjà suscité des heurts début février et donné lieu à des dizaines d’interpellations. Anticipant des troubles, les autorités avaient déployé mercredi d’importants effectifs de policiers et de gendarmes, et fait dresser des barrages filtrants autour du domicile de l’opposant et sur le trajet du tribunal, placé lui aussi sous protection. Une foule jeune et tapageuse s’est massée autour de chez M. Sonko pour lui manifester son soutien au moment où il montait en voiture, entouré de ses gardes, déjà en retard sur l’horaire prévu de son rendez-vous à 9 heures avec le juge, à quelques dizaines de minutes de là théoriquement. « Nous sommes là pour le président Ousmane Sonko. Si on le touche, nous riposterons », a lancé un partisan.
Un journaliste blessé
La procession, suivie par des centaines de supporteurs et escortée par les forces de l’ordre, a progressé dans un vacarme de klaxons et de chants à la gloire du député. Elle a été arrêtée à plusieurs reprises par des tirs de lacrymogènes destinés à disperser les attroupements et par des querelles avec les forces de l’ordre sur le trajet emprunté. Une grenade lacrymogène a été lancée sur un groupe de journalistes, a constaté un vidéaste de l’AFP. Les médias ont diffusé la photo d’un journaliste sérieusement blessé à la jambe. M. Sonko a finalement été arrêté. L’affaire a suscité des comparaisons avec les ennuis de Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ex-président Abdoulaye Wade, et de Khalifa Sall, maire déchu de Dakar, tous deux frappés par des condamnations pour des malversations financières et empêchés de se présenter à la présidentielle de 2019. Le président Macky Sall, 59 ans, élu en 2012 et réélu en 2019, maintient le flou sur l’éventualité d’une candidature à un troisième mandat, malgré la limite de deux, instaurée après une révision constitutionnelle approuvée en 2016. Interrogé récemment sur les accusations de coup monté de sa part, le chef de l’Etat avait répondu : « J’ai suffisamment de choses à faire [pour ne pas] comploter pour des choses aussi basses. »