La chercheuse, devenue spécialiste de l’apnée du sommeil, n’avait jamais entendu parler de cette pathologie avant que sa sœur soit diagnostiquée. Pour Fatoumata Bâ, tout commence par une histoire de famille. L’apnée du sommeil, la chercheuse n’en avait jamais entendu parler avant que ce diagnostic ne soit posé sur la pathologie dont souffrait sa sœur. Quelques années plus tard, la voilà récompensée par la Fondation L’Oréal et l’Unesco pour ses travaux sur ce trouble méconnu auquel elle consacre sa thèse de doctorat.

La Sénégalaise est reconnue comme une des spécialistes du sujet. Une des rares chercheuses africaines en pointe sur ce syndrome, dans un pays où « les études sur le sommeil sont très récentes et peu approfondies, faute d’équipements adéquats », explique la jeune quadragénaire : « Bien que cette pathologie soit fréquente et entraîne des complications telles que l’obésité, l’hypertension et le diabète, elle est sous-diagnostiquée car les professionnels de la santé ne la connaissent souvent pas. »

Et c’est ce qu’elle voudrait contribuer à changer. En s’intéressant à ce sujet, la chercheuse n’a pas choisi un chemin facile. Elle se rend vite compte que mener des études sur le sommeil est un défi au Sénégal, même si elle est rapidement remarquée par le professeur Lamine Gueye, directeur de la chaire de science de la santé à l’Université Gaston-Berger (Ugb) de Saint-Louis qu’elle rejoint.

Il lui faudra pourtant apprendre la patience. Alors qu’elle a commencé ses recherches en 2011, le laboratoire de l’Ugb ne dispose d’un appareil de polysomnographie, primordial pour ses expériences, que depuis trois ans. Et neuf ans lui seront nécessaires pour venir à bout de sa problématique et écrire sa thèse, qu’elle espère soutenir en 2020. « C’est long », concède celle à qui ses pairs ont si souvent conseillé – en vain – de laisser tomber et de passer à autre chose.

« Sérieuse et acharnée, mais prudente »

Cette ténacité, c’est ce qui fait d’elle, aujourd’hui, une scientifique admirée. « Fatoumata travaille avec engagement et abnégation, témoigne le professeur Gueye. C’est une bonne chercheuse car elle est sérieuse, acharnée, mais prudente dans les résultats. Elle ne presse rien et n’est pas facile à décourager. » Son sérieux et sa discipline lui valent d’ailleurs d’être surnommée « la dame de fer » dans les couloirs de l’université. Une image qu’on peine à imaginer sous son sourire.

Reste que l’acharnement dans le travail lui semble presque naturel, comme une marque de fabrique pour cette native de la banlieue de Dakar. Très tôt, la jeune fille excelle à l’école ; elle obtient même son baccalauréat à 17 ans, en 1995. Une prouesse à l’époque, surtout pour une fille. « Mais j’ai eu la chance d’entrer tôt à l’école », justifie-t-elle, comme pour s’excuser de cette précocité qui, sans surprise, la tourne vers les mathématiques et la physique.

Chez elle, l’amour de la recherche et la passion de la science sont une affaire de famille. Elle grandit au sein d’une grande fratrie dont les chemins seront tous scientifiques : plusieurs ingénieurs, un médecin, un enseignant-chercheur à la faculté de médecine de Dakar. « À la maison, enfant, j’ai toujours beaucoup parlé et entendu parler de science », se rappelle-t-elle.

Pourtant, dans sa tête d’adolescente, elle nourrit un projet bien différent : devenir pilote d’avion dans l’armée de l’air… jusqu’à ce que la pression sociale la rattrape par un bon mot de son frère aîné : « Tu es intelligente, va à la faculté de médecine. » C’est rapidement chose faite et Fatoumata Bâ est major de promotion dès la première année à l’université Cheikh-Anta-Diop (Ucad) de Dakar.

Là, elle avale les connaissances sans difficulté et choisit de se spécialiser en psychiatrie. Cheffe de la division de psychiatrie du centre hospitalier voisin de l’Ucad pendant sept ans, cette boulimique de savoir s’inscrit en parallèle en master de science biologique et médicale, option physiologie. « Beaucoup n’est jamais trop » pour cette acharnée de travail qui exerce désormais à la fois comme psychiatre, enseignante et chercheuse en physiologie à l’Ugb.

« La réussite demande de lourds sacrifices »

Les étudiants qu’elle observe au laboratoire lui donnent de l’espoir. « Certains ont le goût de la recherche, ils ont envie de savoir et sont très déterminés », note-t-elle. En voir partir se perfectionner à l’étranger est pour elle une vraie satisfaction. D’ailleurs, elle-même a suivi des cours de perfectionnement en épileptologie, sa seconde spécialité, au Maroc puis en France, en Ouganda et en Tunisie.

Mais, jamais elle n’a été tentée de quitter son pays natal. « Le Sénégal a investi sur moi, il m’a beaucoup donné, je dois le lui rendre », résume-t-elle avec solennité. « Il faut pousser les recherches ici, car les grandes recherches font les grandes universités », insiste-t-elle, convaincue et désireuse de convaincre.

Dans ses rêves d’ailleurs, le laboratoire de physiologique de l’UGB devient un centre de référence dans l’étude du sommeil. Mais, ce qui n’effleure pas encore ses pensées, c’est qu’elle pourrait en être la directrice… Même si en Afrique de l’Ouest, seuls 8 % des laboratoires de recherche sont dirigés par des femmes. Cette inégalité, Fatoumata Bâ n’en a pas souffert.

En revanche, les conventions ont davantage pesé sur elle dans son rôle de mère. Elle se souvient encore être partie pendant près de trois mois alors qu’une de ses filles n’avait que 17 mois. À son retour, on lui a reproché de « ne pas être une bonne mère », affirme-t-elle les yeux baissés. Et d’ajouter : « La réussite dans le travail demande de lourds sacrifices.

Mais, quand on a eu la chance d’être maintenue à l’école toutes ces années, il faut continuer le plus possible. » D’ailleurs, la voilà déjà tournée vers l’avenir, avec un projet d’études postdoctorales lié au microbiote. Une flore intestinale qu’elle aimerait bien aller voir d’un peu plus près.