La Journée de l’Enfant Africain, célébrée chaque 16 juin, est un événement annuel qui commémore le massacre des enfants de Soweto en 1976 par le régime de l’apartheid. Une occasion saisie par le site www.lepaysinfos.com pour publier une contribution du président de l’Entente des mouvements et associations de développement (EMAD), Abdou Khadre Gaye, qui date de 2018 mais reste encore d’une très brûlante actualité.

Lorsque mon jeune frère Pape Khalifa Ndiaye, président de l’Association Sénégalaise pour la Formation Islamique et l’Action Humanitaire (ASFIYAHI), m’a appelé au téléphone pour m’informer de la tenue d’un panel scientifique marquant le démarrage du programme Ramadan 2018 de la structure et m’a invité à faire une communication sur le thème : «L’enfant, un trésor à protéger», j’étais en train d’écrire un texte intitulé : «sauver les enfants de la violence et de la souffrance, je m’engage», suite à un entretien avec mon amie Fatou Thiam Ngom, présidente du Collectif Aar Xaleyi.À la fin de la communication téléphonique, j’ai raisonné ainsi : «Pape Khalifa a raison, l’enfant est notre meilleure richesse, notre trésor à protéger, et nous devons le crier haut…» Et la cantatrice le confirme lorsqu’elle chante : «Lici maam booy sëtë kay jël» (ce qui appartient à l’aïeul sera hérité par la descendance). Omar Pene aussi le confirme lorsque, s’adressant au maître dara, il chante : «denkë nala xaleel, denkë nala alal, denkë nala ëlëk» (je t’ai confié un enfant, je t’ai confié un trésor, je t’ai confié l’avenir). De même que le poète qui prie Dieu de le préserver d’une maison sans enfant, qu’il compare, à juste titre, à un jardin sans fleur ou à une ruche sans abeille. Bref, «l’enfant est un trésor à protéger». Mais, «protéger l’enfant, n’est-ce pas le couver, le sauver de la violence et de la souffrance», me suis-je dis dans mon raisonnement, avant de poursuivre l’écriture de mon texte que voici.

«Sauver les enfants de la violence et de la souffrance, je m’engage»

Les adultes aiment exercer la violence, surtout sur les faibles et les innocents sans défense, souvent par esprit de domination ou par cupidité ou seulement pour cacher leur peur. Et les enfants, qui sont leur cible de prédilection, les imitent bien quelquefois. C’est pourquoi, semble-t-il, la violence et la souffrance, dans le monde, prennent de l’ampleur. Le phénomène est assez inquiétant… Il est vrai qu’aucun être humain n’échappe à la souffrance. Mais, si on dit que la souffrance est inhérente à la vie, il s’agit, en fait, de celle-là qu’on pourrait qualifier de naturelle et qui accompagne chaque être humain telle une ombre. Je pense, notamment, à l’angoisse existentielle qu’expérimentent tous les humains adultes : la crainte du lendemain, la crainte de la vieillesse, la crainte de la mort, la crainte du tombeau, etc., et aussi cette frayeur devant l’immensité du monde et de ses mystères que certaines âmes ont la capacité de ressentir et qui a jeté beaucoup d’élu dans le désert et fait ainsi s’écrier le philosophe : «Le silence éternel des espaces infinis m’effraie». Il y a aussi la souffrance liée à la maladie ou bien à la perte d’un être cher. Il y a la pauvreté et la misère, la faim, la soif, la servitude, les guerres, etc. qui sont très souvent le fait de l’homme. Dieu nous en préserve.

«Notre dard doit épargner les tout-petits»

En vérité, si on revisite l’histoire de l’humanité, on aura l’impression que l’être humain aime la souffrance, lui qui a inventé les guerres et les machines de guerre, l’esclavage et le fouet, la colonisation et la dépossession des peuples, les génocides, les tortures, les humiliations, les castrations. Lui qui a inventé les systèmes politiques inégalitaires, les lois scélérates et la dictature ainsi que le racisme, le nazisme et le terrorisme, les crachats à la figure, les grenades lacrymogènes, les chambres à gaz et les bombes atomiques. Sans oublier les bombes humaines… Il ne craint que pour lui-même, sa famille ou son groupe d’appartenance ; il ne craint que sa souffrance propre. C’est cela dont on aura l’impression si on revisite l’histoire. Mais, quel que soit notre propension à nous tourmenter nous-même et à tourmenter nos semblables, quel que soit notre propension à attaquer et à piquer, notre dard doit épargner les enfants, les tout-petits. Je ne parle pas de la rigueur ou de l’inconfort de la formation ou de l’apprentissage qui participe au façonnage du caractère des enfants et les prépare à la vie adulte, mais de la violence gratuite, méchante, égoïste qui ne vise qu’à faire souffrir, à asservir et à dépouiller.

«Remèdes aux maux des adultes, portes ouvertes sur le paradis perdu…»

Oui, nous autres adultes devons préserver les enfants du mal que nous charrions, de notre laideur et de notre mauvaise odeur. Car, en vérité, ils nous viennent du paradis et nous devons veiller sur leur innocence, leur paisible joie, leur candeur et leur rire et sourire qui sont des lumières capables d’illuminer et de réchauffer les plus sombres et les plus froides chaumières, de mettre de la joie dans les cœurs en souffrance, de réconforter un monde en situation de détresse ou, comble de paradoxe, en s’accroissant les richesses font s’accroitre les souffrances humaines. En vérité, les enfants sont des remèdes vivants aux maux des adultes ; ils sont des portes ouvertes sur le paradis perdu ; ils sont notre meilleur trésor. Toutefois, contrairement à ce que pensent certaines personnes aux cœurs et aux esprits biscornus, c’est leur sourire qui guérissent, non pas leur larme : leur joie tout comme leur souffrance étant contagieuses. Beaucoup de mères le savent qui, malgré les souffrances de la grossesse et de l’enfantement, sont toutes rayonnantes après la délivrance et remercient Dieu de leur avoir donné le pouvoir de donner la vie. Parce que, chante le poète : « Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher».

Élixir de longue vie et fontaine de jouvence

Et, comme disait l’autre, aucun plaisir,  aucun pouvoir, aucune richesse ne mérite qu’on fasse verser la plus petite larme au plus petit des enfants. Car une seule larme d’enfant peut perdre tout un peuple, toute l’humanité qui s’en délecte, hélas, comme d’un élixir de longue vie, d’une fontaine de jouvence. Hélas, chez nous, plus qu’ailleurs, les enfants manquent de protection et souffrent physiquement et moralement, autant, sinon plus que les adultes. Déjà, ils sont très tôt sevrés de maternage : maman n’a plus beaucoup de temps à leur consacrer, grand-père et grand-mère ne sont plus là avec leurs contes, leurs devinettes et leurs cajoleries ; et la configuration de nos espaces de vie ne leur convient plus, ni même aux adultes d’ailleurs. Pas même aux animaux… Ainsi s’ils ne sont pas mis en garderie, ils sont confiés à la bonne, à la voisine ou au maître coranique. Et, en grandissant et en devenant un peu plus encombrant, ils sont presque chassés des domiciles qui les contiennent à peine avec leurs bruits et leur débordante imagination ; et, malheureusement, tandis qu’ils subissent les coups et contrecoups des grèves de leurs enseignants et sont gazés au lacrymogène jusque dans les établissements scolaires, nos quartiers, pour la plupart envahis par le commerce de rue, ne disposent plus de jardin public ni de terrain de jeu ni même de simple espaces vacant pour les accueillir. Et ils s’ennuient et s’occupent comme ils peuvent, nos pauvres enfants. Et grandissent comme ils peuvent, souvent, le cœur plein de rancœur. Et j’ai peur…

Comme si nous ignorions le chemin qui mène des ténèbres à la lumière…

J’ai peur pour ce pays où le nombre d’enfants victimes d’accidents domestiques mortels ou handicapants pour la vie grimpe d’année en année : brûlure, ingurgitation de produit toxique, chute grave, noyade dans des bassines d’eau, etc. , ce pays offrant le spectacle de nouveaux nés qu’on jette dans les poubelles ou les fosses septiques, d’enfants qu’on vole pour leur couper des parties du corps ou les égorger, dit-on, je ne sais à quelle fin, de jeunes «enfants de la rue» ou «talibés» pieds nus, en quête de pitance, à la merci des malfaiteurs ; j’ai peur pour ce peuple qui piétine ses propres enfants, ignorant quefaire souffrir les enfants, c’est augmenter la souffrance du monde et que sauver les enfants de la souffrance c’est sauver le monde… Mais, n’est-ce pas ce même peuple qui se plait à troubler l’innocence des enfants, qui trouble la quiétude des cimetières et le repos des morts par des pratiques dignes de films d’horreur. Aucun respect ni pour les berceaux ni pour les tombeaux. Aucun amour ni pour nos nouveaux nés ni pour nos morts, hélas. Et trop facilement nos baptêmes se muent en transaction commerciale et nos funérailles en meeting politique. C’est comme si nous ignorions que le chemin qui mène l’individu du berceau à la tombe, tout comme celui qui mène l’espèce des ténèbres à la lumière, est semblable à une corde tendue entre le paradis et l’enfer, entre la bête et l’ange.

«Notre ventre, pour parler comme Jacques Brel, a bouffé notre cœur»

Hélas, aujourd’hui, me semble-t-il, comble de paradoxe, au pays de Cheikh Oumar Foutiyou Tall, l’être humain est plus proche de la bête que de l’ange, plus proche de l’enfer que du paradis. C’est regrettable… Pourquoi, me diriez-vous ? Parce que, nous ne marchons pas sur les traces de nos pères. Nous marchons sur les traces de l’Occident qui, malgré tout le mal fait à la planète terre et à ses habitants que nous n’avons pas fini de sonder, refuse de changer. En vérité «Lici maam booy sët jëluko» : nous sommes devenu matérialiste, individualiste et égoïste, tout comme l’Occident, mais dans la pauvreté, et c’est pire. Oui, nous n’avons pas hérité des vertus de grand père, car notre vue a baissé, notre horizon s’est rétréci, nous ne sommes plus le cœur palpitant du monde et notre ventre, pour parler comme Jacques Brel, a bouffé notre cœur et une bonne partie de notre âme. Ainsi, nous ne nous préoccupons plus que de nous-même et de notre confort, ce confort matériel personnel qui est la source de tous les maux de l’humanité. Le confort de l’homme contre la nature, de l’homme blanc contre l’homme noir, de la mère contre ses enfants, du fils contre ses parents, de l’individu contre le groupe, etc. C’est au nom du confort que l’homme a saccagé la planète terre et que des peuples entier ont été décimé ou trainé dans la fange. C’est en son nom, aujourd’hui, en Occident, qu’on renonce à faire des enfants et qu’on isole les personnes âgées et que chez nous des mamans refusent d’allaiter leurs enfants ou font des enfants pour les vendre comme de la marchandise si on ne les vole pas.

Se réapproprier notre mémoire sénégalo-africaine

Le mal est très profond. Et, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui constitue pour l’humanité une menace à juguler, mais aussi et surtout la perte des valeurs essentielles fondatrices d’une humanité saine et d’une cohésion sociale durable. Ce n’est pas seulement la couche d’ozone protectrice de notre environnement que la folie humaine a détruite, mais aussi quelque chose de plus essentiel qui protège l’homme de la bête qui sommeille en lui. Mais, il y a de l’espoir. Parce que, s’il est vrai que l’Occident nous a transmis sa maladie, notre contagion est récente et, malgré la dérive des valeurs, nous sommes encore assez riches en nourritures spirituelles et morales qui peuvent nous sauver et sauver le monde entier. Nous sommes riches en valeurs de civilisation traditionnelles (aada yu rafet : pour parler comme l’Imam Ratib Alioune Moussa Samb) dont la rencontre avec les valeurs islamiques (diine ju rafet : tel que enseigné par Mame El Hadji Malick Sy, Serigne Touba Khadimou Rassoul et tous les autres) ont aidé notre peuple à tenir debout et à survivre aux chocs de l’esclavage et de la colonisation et tout le mensonge historique et l’acculturation qui les a accompagnés. Donc, il y a de l’espoir. La reconquête est possible. Nous en sommes capables si nous nous retroussons les manches tout de suite et nous mettons à l’ouvrage sans attendre pour une réappropriation de notre mémoire historico-culturelle et de notre fierté sénégalo-africaine, voire humaine. Bien sûr qu’il faut un renforcement sécuritaire de la part de l’état et de ses démembrements. Il faut sévir contre les coupables. Il faut doper la vigilance des parents. Il faut… Mais, il faut surtout une transformation des mentalités, une refondation de l’homme, en nous inspirant bien sûr de l’œuvre des anciens. Dieu nous prête assistance !

ABDOU KHADRE GAYE

ÉCRIVAIN, PRÉSIDENT DE L’EMAD

MAI 2018