Le politologue sénégalais Barka Bâ analyse pour Apa News la personnalité du nouveau président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, et les défis qui l’attendent.

La Guinée-Bissau a un nouveau président. Qui est-il ? 

Umaro Sissoco Embalo a un parcours assez atypique et assez intéressant. En gros, c’est un jeune qui a été recruté dans l’armée bissau-guinéenne très tôt où il a gravi différents échelons, jusqu’à atteindre le grade de général de brigade. Son parcours dans l’armée est un des marqueurs de sa trajectoire politique parce qu’il s’en réclame beaucoup pour donner l’image d’un homme de poigne, d’un homme d’ordre. Et surtout l’armée bissau-guinéenne étant une armée à la réputation très sulfureuse et abonnée aux putschs, il estime être capable de diriger le pays parce qu’il en est le produit et qu’il la connait très bien.

L’autre aspect de son parcours, c’est sa longue fréquentation de certains palais africains et de ses locataires comme le défunt Momar Khadafi dont il a été un des agents financiers en Afrique de l’ouest à travers un fond d’investissement. Il a aussi beaucoup côtoyé Blaise Compaoré et aussi le président Sassou N’Guesso. Il est à la fois militaire, un peu agent d’influence de chefs d’Etats et ce carnet d’adresses lui a permis d’entrer en politique, de se battre jusqu’à devenir, avec beaucoup de péripéties, Premier ministre. Ce qui a renforcé sa stature d’homme d’Etat.

Quels sont les défis majeurs qui attendent le président Embalo ? 

Umaro Sissoco Embalo est confronté à d’immenses défis. La Guinée-Bissau est non seulement un des pays les plus pauvres au monde, mais il souffre aussi de sa réputation de pays chroniquement instable avec plusieurs coups d’Etat, une parenthèse sanglante à partir de 1998 avec une guerre civile qui a laissé des séquelles très profondes. Le pays est aussi régulièrement cité dans les rapports comme étant une plaque tournante de la cocaïne, une arrière-cour des cartels colombiens qui profitent de la faiblesse institutionnelle de l’État pour s’adonner à un trafic intense de cocaïne. Ne serait-ce que sur ce plan-là, les défis sont immenses.

L’autre défi, au-delà de l’image qui colle négativement à la peau de ce pays, c’est l’armée bissau-guinéenne qui est une armée issue d’une guerre de libération où pendant très longtemps les vétérans, majoritairement analphabètes, ont fait la loi dans le pays. C’est une armée où il était courant de voir des gens qui ne partaient quasiment jamais à la retraite. C’est un des problèmes du pays mais qu’il faudra réformer au pas de charge. Ce qui n’est pas aisé parce que c’est une armée qui a une histoire propre, où il y a des équilibres ethniques à gérer.

En fait, tout est urgence en Guinée-Bissau. Aussi bien sur le plan infrastructurel qu’institutionnel… La Guinée-Bissau, colonisée par les Portugais, a eu une des colonisations les plus violentes. Elle est héritière d’un système extrêmement déglingué par les Portugais qui n’avaient pas voulu, contrairement aux Français, former une élite. La doctrine portugaise de l’époque étant «pas d’école, pas d’élite et donc pas de contestation». Le pays souffre de ce handicap qui est très lourd et qui entrave son développement. Et cette guerre de libération, si elle est glorieuse au plan de la fierté nationale, a quand-même laissé des séquelles très profondes parce qu’ayant laissé un pays marqué par l’analphabétisme et la faiblesse du leadership de ses dirigeants depuis la mort d’Amilcar Cabral.

À peine élu, le nouveau président a qualifié le président sénégalais Macky Sall de «frère» et affirmé que le guinéen Alpha Condé ne voulait pas de son élection. Qu’est-ce que cela peut-il augurer en termes de relations avec ses deux principaux voisins ? 

Umaro Sissoco Embalo l’a plusieurs fois répété et il ne s’en est pas caché. Il a des relations particulières avec le président Macky Sall qu’il a connu avant qu’il n’accède au pouvoir. Il a même été un des stratèges de l’ombre de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall quand ce dernier cherchait le pouvoir. Et, une fois lancé en politique en Guinée-Bissau, il s’est toujours réclamé de l’amitié de Macky Sall et il compte évidemment poursuivre ce partenariat et surfer sur ses relations très fortes qui les unissent pour utiliser le Sénégal comme une sorte de «grand frère» qui pourrait aider la Guinée-Bissau à renouer avec les partenaires internationaux.

De même, le Sénégal a aussi beaucoup besoin de la Guinée-Bissau puisqu’une partie de son territoire a servi de base arrière aux radicaux du front sud du MFDC, la rébellion en Casamance. Maintenant que les choses se sont stabilisées dans cette partie du Sénégal, Macky Sall va évidemment s’appuyer sur Sissoco Embalo pour consolider la dynamique de paix qu’on note depuis quelques temps dans la partie sud. Si les deux dirigeants jouent finement, ça sera un partenariat gagnant-gagnant entre les deux pays. Le général Umaro Sissoco et Alpha Condé ont toujours entretenu des relations conflictuelles dans la mesure où quand M. Embalo était le premier ministre du président Vaz, et que le président Condé était médiateur dans la crise bissau-guinéenne, Embalo l’a toujours accusé de parti pris en sa défaveur et leurs relations n’étaient pas des plus cordiales.

Ce qu’Alpha Condé lui rendait bien d’une certaine façon et Embalo pense que Condé a beaucoup contribué à aggraver la crise bissau-guinéenne par ses prises de position. Mais les deux hommes se connaissent bien depuis longtemps, bien avant leur arrivée au pouvoir respective. Aujourd’hui, Embalo a dit qu’il tourne cette page conflictuelle et considère Condé comme son homologue mais aussi comme une sorte de père pour lui. Dans l’intérêt mutuel des pays, les deux présidents sont obligés de fumer le calumet de la paix. Il ne peut pas en être autrement car, les deux pays sont liés par l’histoire et la géographie.