C’était pas la Saint-Sylvestre, mais une Saint-Macky. Pour la dernière soirée de l’an 2019, le Sénégal n’avait d’yeux que lui. Le Président aimante tous les regards, magnétise toutes les attentions. Juché sur son statut de chef…d’Etat, au cœur du Palais présidentiel, il débriefe les dits et les non-dits de son allocution de fin d’année, questionné par un parterre de journalistes triés sur le volet. Entre sourire millimétré, verbe calibré et omission volontaire, Macky Sall mène un show sur mesure, quand surgit une question sur la «promotion» de Cheikh Oumar Hann, passé du strapontin de Directeur décrié du Coud au rang de ministre révéré de l’Enseignement supérieur, malgré le rapport à charge de l’Ofnac sur sa gestion du Centre des œuvres universitaires de Dakar. Visage subitement crispé, verbe raidi, le Président bredouille une réponse teintée de colère froide : «Le cas de Cheikh Oumar Hann, quand il était au Coud, je l’ai appris à (travers) la presse. Parce que l’Ofnac transmet son rapport au procureur (de la République), ce qui signifie qu’il est indépendant. (…) Ce n’est pas le rôle de l’Ofnac de parler des subventions et autres. Il gère les questions de corruption. (…) Ce n’est pas parce que quelqu’un est cité dans un rapport qu’il est forcément coupable. Parce que, comme nous le savons tous, il y a un principe contradictoire consistant à recueillir la version de la personne incriminée.» Et ce ne fut pas le cas, selon celui qui s’est posé ce soir-là comme l’avocat-défenseur d’une des figures les plus clivantes de sa majorité. En sous-texte, le message présidentiel semblait bluffant de limpidité : «Touche pas à mon Cheikh Oumar Hann !» Une posture incomprise par beaucoup de suiveurs de la République et qui interroge sur la nature foncière de la connexion affective et politique entre Macky Sall et l’un de ses ministres les plus controversés. Un rapport quelque peu singulier entre Sall et Hann qui (entre)mêle l’histoire, la famille, la politique et la religion.
Il y a de la passion dans sa rage, de l’affection dans son verbe. Il la revendique, cette parole, lui l’oncle, le frère puiné à la «mère de…». Ce n’est pas une simple intervention à enfouir dans une page de journal. C’est une question d’honneur, un exercice à portée symbolique, historique. Un devoir de loyauté envers un neveu que la chronique présente comme le symbole de la mal gouvernance du régime de Macky Sall. Un sulfureux gestionnaire à qui on ne refuse rien et qui ne se refuse rien. Une accusation qu’il a longtemps perçue comme un outrage contre sa famille et dont le livre de Pape Alé Niang, «Scandale au cœur de la République : le dossier du Coud», basé intégralement sur un rapport de l’Office National de lutte contre la Fraude et Corruption (Ofnac), est venu exacerber, accentuant sa douleur. Un peu comme on remue le couteau dans une plaie. Alors, quand on interpelle Mamadou Diagne dit Kopa, ancien garde pénitentiaire à la retraite, sur les relations entre Macky Sall et Cheikh Oumar Hann qu’il défend en toute occasion malgré la clameur publique, le frangin de Khardiata Diagne dite Coumba, mère du ministre de l’Enseignement supérieur, est comme investi d’une mission. Celle, selon ses mots, de rétablir la vérité. Il en est intimement persuadé. Il dit, comme on tisse un fil d’Ariane : «Entre les deux, la relation remonte à quand ils étaient étudiants.»
Cheikh Oumar Hann, professeur de Marième Faye Sall
A l’époque, l’actuel chef de l’Etat et son ministre de l’Enseignement supérieur militent tous les deux, à And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme. Un parti de la Gauche sénégalaise. Même s’ils ne sont pas des inséparables, Macky Sall et Cheikh Oumar Hann se fréquentent. Ils partagent en commun leur origine foutanké, mais aussi un idéal : celui porté par ce parti, né dans la clandestinité en 1973, dans un contexte général influencé par les manifestations contre la guerre du Viêt Nam, en mai 68 et la Révolution culturelle chinoise. Un parti officiellement reconnu le 14 avril 1992. Les jeunes Sall et Hann ont un rêve commun : la transformation structurelle du Sénégal. Un objectif que AJ/Pads peine à atteindre à cause d’une régression idéologique face à la marche du monde et un surplace électoral qui feront plus tard partir beaucoup de cadres, dont Macky Sall. Pas Cheikh Oumar Hann.
Selon des témoins de l’époque, quand l’actuel président de la République est parti rejoindre le Parti démocratique sénégalais (Pds) de Me Wade, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est resté dans les rangs. «Par pur opportunisme», accuse-t-on. Une occasion unique de profiter de sa proximité avec Landing Savané… qu’il «trahira» plusieurs années plus tard pour rejoindre le camp de Mamadou Diop Decroix. Quelques années après que sa trajectoire politique a (re)croisé celle de Macky Sall, dont l’épouse, l’actuelle Première Dame, Marième Faye Sall, est l’étudiante en 1re année à l’Ecole Nationale Supérieure Universitaire de Technologie (Ensut) devenue Ecole supérieure polytechnique. Docteur ingénieur en sciences physiques, option Génie des Procédés, l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur a servi dans cet établissement où il a été un assistant-stagiaire avant de devenir plus tard maître-assistant. «C’est dans ces circonstances, explique un proche du couple présidentiel, qu’il a connu Marème Faye Sall qui fut son étudiante.» Et plus tard, l’amie de son épouse, Astou Niane. Mamadou Diagne dit Kopa, oncle de Cheikh Oumar Hann, en témoigne. «Le jour où la mère de Cheikh Oumar Hann est revenue de La Mecque, à cette époque Macky Sall n’avait pas de grandes responsabilités sous le régime de Me Wade, Marième Faye Sall était venue ici à la maison (à Thiès) accompagnée de Astou Niane, épouse de Cheikh Oumar pour présenter ses hommages à ma sœur. Leurs relations datent de longtemps.» Elle est à l’image de celle de leurs époux engagés en politique.
Macky Sall, patron de Cheikh Oumar Hann au ministère de l’Industrie
L’élection du Président Wade en 2000 va réunir les deux amis qui vont activement participer à la gestion des affaires publiques. Ils font partie des premiers servis par le Pouvoir de l’alternance. De simple agent, Macky Sall est bombardé Directeur général de la Société des Pétroles du Sénégal (Petrosen). Nommé ministre de l’Industrie, Landing Savané envoie son ombre, Cheikh Oumar Hann, à l’Agence sénégalaise pour l’innovation technologique (Asit). Et si Macky Sall qui va, un an plus tard, devenir le ministre de tutelle de son camarade d’infortune, prend du galon au sein du gouvernement dont il sera le chef en 2007, avant d’être atrocement combattu par Me Wade qui le fera ensuite tomber du Perchoir de l’Assemblée nationale, Cheikh Oumar Hann, lui, est resté tout ce temps au même poste. Un strapontin qu’il cédera juste après la réélection du Pape du Sopi. En 2007.
Deux ans plus tard, en 2009, une fronde éclate au sein d’Aj/Pads. Cheikh Oumar Hann choisit son camp. Il quitte Landing Savané pour s’allier avec Mamadou Diop Decroix. Homme politique controversé, il sera accusé à tort ou à raison d’avoir fait le vide autour de Landing Savané. Vieux Sow est membre du secrétariat permanent de Aj/Pads. Il révèle : «Ils voyageaient ensemble partout dans le monde. Mais bon nombre de nos camarades ne l’appréciaient pas parce qu’il avait réussi à créer le vide autour de Landing Savané. D’ailleurs, il avait réussi à créer un cercle restreint autour de Landing Savané. Ce qui n’avait pas plu à beaucoup de responsables du parti. En vérité, il a participé à créer le différend entre Landing et Decroix. Devant ses intérêts, Cheikh Oumar Hann ne recule jamais.» Et lors du Congrès de la scission portant Mamadou Diop Decroix secrétaire général de Aj/Pads, Cheikh Oumar Hann fait partie des trois secrétaires généraux adjoints. «Durant cette période, Mamadou Diop Decroix s’était arrangé avec Me Abdoulaye Wade pour faire nommer Cheikh Oumar Hann, ministre-Conseiller à la présidence de la République», informe un haut responsable de Aj/Pads. Mais il ne prendra pas fonction. Il n’a pu rejoindre son poste de ministre-conseiller à la Présidence de la République. «Parce qu’il voulait plus qu’un simple poste de ministre-conseiller», explique-t-on.
Cheikh Oumar Hann lâche Aj-Pads et Wade pour soutenir Macky Sall
Alors que son ami Macky Sall, qui se cherche un destin présidentiel, lance son propre parti, l’Alliance pour la République (Apr), Cheikh Oumar Hann, lui, au plus fort de la crise au sein de Aj/Pads entre Mamadou Diop Decroix et Landing Savané, veut se positionner à Thiès. Mais il sera rudement rejeté par ses camarades. Touché dans son orgueil, il se radicalise et décide de se ranger du côté de Decroix. Vieux Sow raconte : «A l’époque, Cheikh Oumar Hann était le Secrétaire général adjoint (Sga) de And-Jëf, proche de Mamadou Diop Decroix. Il était venu assister à une réunion du Bureau permanent (Bp) de Aj à Thiès. Il a manifesté son souhait de militer à Thiès. Les responsables du parti lui ont fait comprendre qu’il pouvait militer, mais il était impensable qu’il aspire à diriger le parti à Thiès. Quand il a été rejeté à Thiès, il est allé militer à Ndioum.» L’intégration de Cheikh Oumar Hann à Ndioum, cité d’origine de ses parents, sera facilitée, selon des témoins, par l’ancien maire de la localité, Habibou Datt, mari de Oumou Salamata Tall. Les deux hommes étaient des alliés politiques et, de 2002 à 2009, Cheikh Oumar Hann a été le premier adjoint au maire de cette ville du nord. «Aux Locales de 2009, ils se représentent mais sont battus par l’ancien directeur général du Cosec, Amadou Kane Diallo, devenu maire de Ndioum.» Macky Sall, lui, rempile à Fatick sous la bannière de la coalition «Dékkal Ngor», regroupant les partis alliés du leader de l’Alliance pour la République (Apr).
Cheikh Oumar Hann, qui a gardé les meilleures relations avec Macky Sall n’aura aucun scrupule à le rejoindre au second tour de la Présidentielle de 2012. Vieux Sow se rappelle le spectaculaire retournement de veste de Cheikh Oumar Hann : «Lors d’une réunion du secrétariat permanent d’Aj/Pads en 2012, il a voulu convaincre nos camarades de gauche de soutenir Macky Sall au second tour de la Présidentielle. Mamadou Diop Decroix et nos camarades avaient décidé d’être du même bord que Me Abdoulaye Wade. Cheikh Oumar Hann, qui avait senti que les carottes étaient cuites pour le Président sortant, décide de quitter Aj/Pads pour soutenir Macky Sall. Il n’a pas attendu la tempête marron-beige qui va emporter Wade.» Cheikh Oumar Hann aurait voulu faire payer à Me Wade son refus de le nommer ministre plein. «Mamadou Diop Decroix avait 3 secrétaires généraux adjoints. Il y avait Seydou Touré qui était directeur général d’une société nationale, Mouhamadou Daff était président de conseil d’administration (Pca), Cheikh Oumar Hann était le seul Sga qui n’avait pas de poste de responsabilité dans l’appareil d’Etat. Il a très mal pris cela. Il n’a donc pas hésité à rejoindre Macky Sall au 2nd tour», explique Vieux Sow. Il ajoute : «Je ne dis pas qu’il n’a pas de vertus politiques, mais il a au moins beaucoup de qualités humaines. Il donne tout ce qu’il a. Quand il a un million de FCfa en poche, il peut le distribuer tout de suite et se retrouver avec zéro franc l’heure suivante. C’est sa nature. Il donne sans compter.» Jusque dans ses croyances… religieuses qu’il partage également avec Macky Sall.
Le président et son ministre ont le même marabout
Une grande partie de la confiance à toute épreuve que le chef de l’Etat accorderait au ministre de l’Enseignement supérieur est à chercher à Louga, auprès de la famille Omarienne. Cette famille religieuse, plus précisément son Khalife actuel, Thierno Bachirou Tall, est, selon beaucoup de témoignages, le point d’ancrage entre les deux hommes. «Pour ne pas exagérer, explique un proche du marabout, je dirais juste que Cheikh Oumar Hann fait partie des hommes de confiance du Khalife. Il est dans le premier cercle de proches du saint-homme. C’est à lui qu’il avait confié les travaux pour le désenclavement de la ville de Halwar. Et ce sont les mêmes relations que le Président entretient avec le marabout, qui est également un ami et un père pour lui. En signe d’affection à Macky Sall, il lui a récemment offert une maison à Louga.» C’était en janvier dernier, lors de la 56e édition de la ziarra annuelle de la famille omarienne dédiée à Thierno Mountaga Daha Tall.
Entre Macky Sall et Cheikh Oumar Hann, la relation déborde même du lit du sentimentalisme, de l’historicité des rapports familiaux et du spirituel, elle aurait aussi épousé les formes d’une stratégie politique. «Dès les premières fuites du fameux rapport, le Président a encaissé le travail de l’équipe de l’Ofnac comme une attaque à son encontre personnelle, explique un proche du Palais. Outre la personne de Cheikh Oumar Hann, il se sent visé par une enquête qui cherche, selon lui, à éclabousser sa mandature. Déjà que pour le Président, l’Ofnac a outrepassé ses prérogatives dans cette affaire. Macky Sall ne veut pas aussi offrir Hann comme une victime sacrificielle pour tenter de se donner bonne conscience ou de contenter une partie de l’opinion qui lui est défavorable.» Mieux, il y aurait, en arrière-plan, une stratégie politique derrière ce soutien accru du Président de la République à son ami Cheikh Oumar Hann. «C’est en partie pour réduire l’ascension du ministre Abdoulaye Daouda Diallo à Podor, explique un célèbre parlementaire. En appuyant et renforçant Cheikh Oumar Hann, Macky Sall a aussi voulu atténuer la puissance d’Abdoulaye Daouda Diallo à qui on prête une ambition présidentielle à Podor.» De quoi offrir une énième grille de lecture et complexifier davantage l’exégèse du rapport entre un Président et «son» ministre dont la relation reste sourde face à la clameur des vigies de la bonne gouvernance.