Le vice-président de la transition a pris tout le monde de court en menant un deuxième coup d’État en neuf mois. Mais face à la pression internationale, jusqu’où pourra-t-il aller ?

Qu’il est difficile à cerner, ce colonel des forces spéciales… Et pas uniquement à cause de ce tour de cou beige qu’il a pris l’habitude de relever sur son visage en guise de masque anti-Covid. Qui est vraiment Assimi Goïta ? Que recherche-t-il ? Beaucoup de ceux qui l’ont fréquenté ou croisé répondent la même chose : l’homme est une énigme. Il ne parle pas ou très peu. Il ne laisse jamais transparaitre ses sentiments. Et lorsqu’il se déplace, il est souvent entouré par une garde prétorienne qui forme, autour de lui, un cordon infranchissable.

En menant un deuxième coup d’État en neuf mois, l’officier putschiste de 38 ans a une nouvelle fois pris tout le monde de court. Lundi 24 mai, après l’officialisation d’un remaniement ministériel écartant deux de ses proches, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité, son sang ne fait qu’un tour. Il fait arrêter Bah N’Daw, le président de la transition, et Moctar Ouane, le Premier ministre, et demande à ce qu’ils soient conduits au camp militaire de Kati.

Certes, ces derniers jours, Bamako bruissait de rumeurs sur les tensions entre le couple exécutif et le chef de la junte qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta, en août dernier. Mais personne n’imaginait que le Mali basculerait aussi brusquement dans un nouveau vide constitutionnel.

Seul maître à bord d’un bateau qui continue de tanguer

Pour justifier son coup de force, Goïta le taiseux ne prend pas la parole mais publie un communiqué. Il y affirme que l’éviction de Modibo Koné et Sadio Camara du gouvernement, contre sa volonté, est une « violation de la charte de transition » et du « serment prêté [par Bah N’Daw] le 25 septembre 2020 ». Il poursuit en expliquant qu’il s’est vu « dans l’obligation d’agir » pour « préserver la charte de transition et défendre la République », et précise que « le processus de transition suit son cours normal » et que « les élections prévues se tiendront courant 2022 ».

Moins de 48 h plus tard, et malgré les pressions des partenaires étrangers et des organisations internationales, le tombeur d’Ibrahim Boubacar Keïta obtient les têtes de N’Daw et de Ouane. Comme l’ancien chef de l’État, lui aussi emmené de force à Kati après avoir été renversé le 18 août dernier, les deux hommes sont contraints à la démission par un quarteron d’officiers issus de l’ex-Comité national pour le salut du peuple (CNSP, officiellement dissous). Le tout sous l’œil médusé de diplomates de la Cedeao venus tenter une médiation. « Vous n’êtes que des gamins », leur a lâché Bah N’Daw, aussi furieux qu’impuissant au moment de signer sa lettre de démission.

« Soit il est très sûr de lui, soit il a perdu la tête »

Assimi Goïta n’a cure des remontrances de son aîné, sorti comme lui des rangs de l’armée. Et prouve, à ceux qui cherchent encore à sonder ses ressorts intimes, qu’il n’a pas froid aux yeux : le vice-président s’autoproclame nouveau président de la transition. Dans la soirée du 26 mai, il dépêche son conseiller spécial, le commandant Baba Cissé, face à la presse pour justifier sa prise du pouvoir.

Celui-ci évoque de profonds différends avec Bah N’Daw et pointe la mauvaise gestion de l’État par Moctar Ouane. Cette fois-ci, les choses sont claires : Assimi Goïta entend être le seul maître à bord, même si le bateau semble à la dérive. Quitte à donner raison à ceux qui, de Paris à Abidjan en passant par Niamey, s’inquiétaient des ambitions de l’ancien élève du Prytanée militaire de Kati.

« La situation pourrait très vite dégénérer »

Alors, jusqu’où ira le mystérieux Goïta ? Difficile de le savoir, alors que chaque jour draine son lot de rebondissements sur les rives du fleuve Niger. « Soit il est très sûr de lui, soit il a perdu la tête », constate, dubitatif, un haut gradé. « On voit mal comment tout cela peut prospérer », renchérit un autre.

Pour l’instant, les différentes composantes de l’armée observent attentivement mais ne bougent pas. Comme en août, ce nouveau coup d’État a le mérite d’avoir été perpétré sans qu’un coup de feu ne soit tiré ni qu’une victime soit à déplorer.

« Assimi Goïta, Malick Diaw, Ismaël Wague, Sadio Camara… Les officiers du CNSP ont tous des ambitions différentes. Des tensions ont même pu exister entre eux. Depuis trois jours, ils donnent l’impression d’être plutôt sur la même ligne. Mais si leur unité vole en éclat pour une raison ou une autre, la situation pourrait très vite dégénérer », analyse un observateur avisé. Les combats meurtriers entre bérets rouges et bérets verts après le coup d’État d’Amadou Haya Sanogo contre Amadou Toumani Touré, en 2012, sont encore dans toutes les têtes.

Issu des forces spéciales, le nouveau chef de la transition peut compter sur le soutien de ce corps d’élite. Il bénéficie aussi de l’appui de la garde nationale, dont sont membres les colonels Sadio Camara et Modibo Koné. Celle-ci est très présente à Bamako et est chargé de la sécurité présidentielle. Enfin, nul doute que Goïta bénéficie aussi d’une certaine popularité dans les baraquements de Kati.

« Il aura beaucoup de mal à tenir »

Reste la question du soutien de l’opinion publique et de l’attitude de la communauté internationale. Sur le plan interne, seul le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) semble s’accommoder de la situation, avec notamment un éventuel poste de Premier ministre en ligne de mire. Mais de nombreuses voix se sont déjà élevées contre ce nouveau putsch. Moussa Mara, Housseini Amion Guindo, une partie des membres du M5-RFP, l’Union pour la république et la démocratie (URD) de feu Soumaïla Cissé, le Parti pour la renaissance nationale (Parena) de Tiébilé Dramé… Nombre de responsables et de partis ont dénoncé ce déraillement de la transition.

« Si les chefs d’État ferment la Banque centrale de Bamako… »

Idem pour plusieurs organes de la société civile, comme la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) ou encore l’ordre des bâtonniers… « En août, la rue avait porté les putschistes au pouvoir. Aujourd’hui, l’enthousiasme populaire est bien moindre », estime un analyste étranger.

Au-delà des frontières maliennes, de la Cedeao à l’Union africaine en passant par les Nations unies, les condamnations sont unanimes. Même chose dans les capitales d’Afrique de l’Ouest, hormis peut-être à Lomé, Faure Gnassingbé entretenant plutôt de bonnes relations avec le nouvel homme fort de Bamako. De leur côté, les États-Unis ont « fermement condamné » l’arrestation des dirigeants de la transition, menacé de sanctions les putschistes et suspendu leur assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes.

Quant à Emmanuel Macron, qui se montrait relativement bien disposé à l’égard de la transition malienne il y a encore quelques mois, il a rapidement dénoncé un « coup d’État dans le coup d’État » et évoqué des « mesures immédiates de ciblage contre les responsables militaires et politiques qui entravent la transition ».

Certains pointent d’ailleurs le ton nettement moins véhément du président français à l’égard de Mahamat Idriss Déby et des haut gradés tchadiens qui se sont emparés du pouvoir à N’Djamena après le décès d’Idriss Déby Itno, le 18 avril.

Rare acteur de poids à ne pas être monté au créneau, et dont beaucoup évoquent les liens avec les colonels Sadio Camara et Modibo Koné : la Russie, dont la rivalité avec la France est croissante sur le continent.

« Si Goïta s’entête malgré la pression internationale, il aura beaucoup de mal à tenir, prédit un diplomate ouest-africain. Il y a une mesure très efficace et politiquement assez facile à prendre : la fermeture de la banque centrale de Bamako par l’Uemoa. Si les chefs d’État de la région décident de couper le robinet, la junte sera rapidement asphyxiée. » Une solution radicale qui aurait aussi de graves conséquences sociales pour la population malienne.