Le confinement est-il possible en Afrique ? Face à la pandémie de Covid-19, plusieurs pays ont décidé d’y avoir recours. Si c’est la seule solution, selon le sociologue ivoirien Francis Akindès, elle porte en elle un fort potentiel de déstabilisation des États les plus fragiles.
De Lagos à Abidjan, les mesures de confinement, de couvre-feu ou d’isolement des villes les plus touchées par le coronavirus se multiplient. Pour Francis Akindès, professeur de sociologie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, en Côte d’Ivoire, si le confinement est « la seule option possible », sa mise en oeuvre est, au mieux, « problématique ».
Selon lui, la crise sanitaire, en exacerbant les inégalités sociales et la défiance vis-à-vis du politique, conduira à la déstabilisation d’États déjà fragiles. Seule voie de recours, à l’en croire : faire confiance aux citoyens, notamment aux plus pauvres, en les impliquant directement dans les processus de prévention.
Jeune Afrique : Le confinement est-il une mauvaise solution, dans le contexte africain, en particulier urbain ?
Francis Akindès : Il n’y a pas d’autre manière de freiner la propagation du virus. Il n’y a pas de vaccin et la seule façon de lisser le pic de la maladie, et donc d’éviter un afflux de patients dans des systèmes de soins déjà fragiles, c’est le confinement. Mais une fois que l’on a dit ça, il faut se poser la question de la faisabilité de cette mesure.
Le président béninois, Patrice Talon, estime que la majeure partie de ses concitoyens n’a « pas les moyens » de soutenir un confinement… Lui donnez-vous raison ?
Le président béninois a abordé les questions économiques, les questions de financement. Et c’est vrai que dans nos villes, les économies reposent essentiellement sur l’informel, sur la quête de revenus au jour le jour. Confiner les gens, cela veut dire les empêcher de se procurer les ressources nécessaires à leur quotidien.
Ce sont des ménages qui, dans leur grande majorité, n’ont aucune culture de l’épargne, aucune capacité d’épargne même. Ils ne font pas de stock, ils achètent ce dont ils ont besoin au jour le jour. Comment pourraient-ils épargner pour le futur ? Ils n’ont tout simplement pas d’argent.
Cette crise sanitaire peut-elle se transformer en crise sociale ?
Oui, d’autant qu’elle se développe dans des environnements déjà marqués par de très fortes inégalités. Dans les villes, si vous êtes de la classe moyenne, que vous avez une maison, un jardin, vous ne vivrez pas le confinement de la même manière que si vous habitez dans des quartiers populaires très densément peuplés ou dans des bidonvilles. Or c’est dans ces zones-là que se trouvent 70 % des habitants des villes.
Au-delà des questions économiques, il y a aussi cette question de la capacité à tenir plusieurs semaines dans des conditions de promiscuité exacerbée. Cela va générer beaucoup de tensions intra-familiales, beaucoup de conflits de voisinage également. Et, surtout, plus de tensions avec la police.
Depuis la mise en place de mesures visant à limiter les regroupements et les déplacements, de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux font état de violences policières et de « chicotage », que ce soit au Burkina, au Sénégal, ou en RD Congo. Comment analysez-vous ces méthodes ?
Il y a effectivement une surenchère dans l’usage de la force. Pour l’instant, les mesures ne sont pas perçues comme relevant du bien public par une partie de la population. Quand on dit aux jeunes « vous êtes moins exposés que les vieux », cela les incite à prendre des risques. Ils sont dans une logique de défiance. En face, comme les forces de l’ordre ne sont pas formées pour cela, elles répondent à cette défiance par un excès de violence.
N’est-ce pas le signe d’un nouveau palier dans la crise ?
On s’apprête à changer de paradigme : on va passer d’une problématique sanitaire à une problématique de maintien de l’ordre. Et, in fine, à une problématique politique, parce que cela va exacerber toutes les frustrations déjà présentes dans le corps social.
Il faut impérativement communiquer avec la population, obtenir l’adhésion des gens. C’est d’autant plus vrai que, dans l’imaginaire collectif, le coronavirus est vu comme une maladie apportée par les gens qui prennent l’avion, par des gens aisés et mondialisés. Cette demande de confinement venue de l’État est donc perçue comme une décision arbitraire, prise à cause des riches et au détriment des plus pauvres. Il va y avoir une perception de classe d’un confinement, qui va aussi alimenter une haine anti-politique. Celle-ci existe déjà dans le corps social et risque de conduire à des émeutes.
Que peuvent faire les États pour éviter cet embrasement que vous prophétisez ?
Le tableau est sombre. Ce n’est pas du jour au lendemain que des États faibles vont devenir forts. Ici, l’État n’existe qu’en tant qu’institution. En terme de protection des citoyens, il a toujours révélé ses faiblesses, et ce n’est pas face au Covid-19 que cela va changer !
Quelle serait la solution pour parvenir à un confinement efficace et accepté par tous ?
On doit avant tout organiser le respect des consignes dans les quartiers populaires. Il faut discuter avec les gens, leur faire confiance. Aller dans ces quartiers et dire : « Voilà les risques, et on n’a pas de solution. Que peut-on faire ? ». Il faut amener les habitants à penser les stratégies de gestion du risque.
Il faut aussi s’adresser aux jeunes. Nous sommes dans des sociétés dans lesquelles les liens générationnels ne sont pas encore complètement rompus. Il faut réactiver ce souci des aînés pour améliorer l’acceptabilité des consignes.
Enfin, il y a des urgences concrètes : dans certains quartiers, se laver les mains est un luxe. Il est donc indispensable d’améliorer l’accès à l’eau et bien sûr aux soins. Sans cela, c’est une certitude, l’épidémie va se propager très rapidement.
L’ONU, par la voix de son secrétaire général, vient de lancer un appel à la solidarité internationale, notamment par un moratoire sur la dette. N’est-ce pas un signe positif ?
Aux États-Unis, la planche à billets fonctionne déjà à plein. Quand on en arrive là, c’est que l’on est dans une situation inédite. António Guterres est dans son rôle, il ne pouvait dire autre chose. C’est un discours très diplomatique, incantatoire même. Mais personne n’a l’obligation de lui répondre.