Chirurgien-dentiste, diplômé de troisième cycle en Intelligence économique et Stratégie, Dr Youssou Ndiaye a occupé les fonctions de Dage au ministère de la Santé. Directeur d’établissement public de santé dans plusieurs hôpitaux (Dalal Jamm, Albert Royer, Abass Ndao…), le spécialiste fait un diagnostic sans complaisance du secteur. Du plateau médical au personnel, en passant par l’accueil, les soins ou encore la réforme hospitalière, il livre, dans un entretien accordé au journal Kritik, un avis d’expert sur les questions de santé au Sénégal.

Quid alors de la note de service du ministre de tutelle pour réquisitionner les spécialistes afin de faire face aux urgences ? La réponse de Dr Youssou Ndiaye tombe à pic : « En prenant cette note de service, le ministre a voulu rappeler aux professionnels ce qu’ils savent bien faire, mais il a surtout manifesté l’insatisfaction des autorités et des populations s’agissant de la prise en charge des urgences dans les structures de soins. C’est aussi la preuve de l’existence d’une gouvernance hospitalière qui ne prend pas en compte la satisfaction des usagers et surtout le manque de responsabilisation au sein des établissements de soins. En effet, il est souvent constaté dans les hôpitaux l’existence d’une certaine forme d’autorité professionnelle qui noie l’autorité formelle du chef d’établissement et qui organise les services selon sa convenance. Quant au Conseil d’administration, ses prérogatives restent limitées aux questions budgétaires et presque jamais aux questions d’organisation des services et des soins qui font pourtant partie de ses compétences ».

À la question de savoir pourquoi certains hôpitaux, comme Dalal Jamm dont il a eu à présider aux destinées, peinent à prendre leur envol, l’homme de l’art met le doigt sur la plaie : « Ce qu’il faut dire par rapport aux problèmes de mise en œuvre et d’exécution de projets comme Dalal Jamm, c’est qu’il y a les procédures qui constituent des goulots d’étranglement et occasionnent, souvent, des retards dans les livraisons des équipements. Sans parler de la non-conformité entre les constructions et les équipements livrés comme c’est le cas pour le grand bloc opératoire. Par ailleurs, la carence, pour cause de faillite de certains attributaires des marchés d’équipements n’a pas également été favorable au projet ».

Toutes choses qui font qu’il reste convaincu que le moment est venu de faire le bilan de la réforme hospitalière qui, à son avis, est « une très bonne loi, qui est venue en son temps, mais dont la mise en œuvre, qui avait bien commencé, fut un échec par la suite ». Et de poursuivre son argumentaire : « Cet échec se constate, aujourd’hui, dans le fonctionnement des Établissements publics de santé (Eps). L’esprit de la loi a été galvaudé pour entretenir une totale confusion dans les relations entre la tutelle technique et les Eps qui continuent d’être considérés comme des services administratifs relevant directement du cabinet du ministre. Ce qui leur enlève, de fait, toute la responsabilité que leur confère la loi, tuant ainsi toute forme d’initiative qu’on attendait de leur part. En plus, le contrôle à priori, dont ils sont dispensés et qui est inhérent à leur statut d’établissement public, est remis en cause par la tutelle. Le Conseil d’administration et la direction ont perdu toute l’autorité et la responsabilisation que la loi leur donnait (le budget voté par le Conseil d’administration doit être approuvé par la tutelle avant son exécution). La conséquence de cette situation, acceptée par tous les responsables au niveau central comme au niveau hospitalier, se traduit par le fait que tous les problèmes qui surviennent au sein de l’établissement en appellent à la responsabilité directe de la tutelle ».

Dr Youssou Ndiaye de donner des exemples : « On se souvient de la panne de l’appareil de soins d’un établissement public de santé et de la réaction des autorités d’alors qui, dans leur communication comme dans leurs actes, ont endossé la responsabilité de cette situation. De même, la suite non accordée par le cabinet du ministre à une correspondance de bonnes volontés qui voulaient aider l’hôpital et, peut- être, éviter cette panne traduit aussi cette incohérence. Voilà des cas qui me font dire qu’il y a une confusion ou alors une incompréhension de l’esprit et de la lettre de la loi portant réforme hospitalière. Par conséquent, il devient important d’évaluer la réforme hospitalière dans sa mise en œuvre et d’organiser des séries de formations et de mises à ni- veau pour les acteurs, afin de les amener à comprendre et à exercer leurs responsabilités, tout en développant chez eux une culture du management et de la bonne gouvernance hospitalière ».