«J’appelle les Africains à ne pas prendre le vaccin qui sera bientôt mis en vente contre le Corona virus, ce vaccin contient du poison et les occidentaux veulent anéantir l’Afrique sous prétexte que c’est le Corona virus qui a détruit l’Afrique, pourquoi ils ne commencent pas leur vaccin en Italie, en Espagne et en France là où il y a beaucoup des cas ? Pourquoi ils veulent commencés en Afrique là où il y a moins des cas ? J’appelle les dirigeants africains à la prudence, l’unique vaccin et antidote pour lutter contre le Coronavirus est la chloroquine. Je veux que ce message soit partagé à toute l’Afrique». Telle est l’économie du message que vient de lancer, le Professeur Didier Raoult.
Homme de réseaux et enfant terrible de la recherche
Depuis plusieurs semaines, Didier Raoult, né en 1952 à Dakar, est au cœur d’une polémique aux dimensions planétaires sur les meilleures stratégies pour combattre la pandémie. Loin d’être un chercheur qui fait soudain irruption sur la scène médiatique, le Marseillais a construit patiemment son ascension en jouant de ses réseaux d’amitiés et des travers de la science moderne. Depuis la longue file de patients qui mène à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, on entend de temps à autre quelques salves d’applaudissements. Les gens venus se faire dépister ont reconnu la silhouette désormais mondialement célèbre du professeur Didier Raoult. L’homme salue brièvement, ne s’arrête pas, tête baissée et mèches au vent. Il a de quoi faire avec des centaines de malades à dépister, d’autres à traiter, sans compter la controverse internationale qui met soudainement son travail au-devant de la scène et son visage à la une de tous les journaux.
Note sur son ouvrage consacré aux … Nouveaux risques infectieux
Professeur de microbiologie, à carrière universitaire et bibliographie impressionnantes, Didier Raoult est un bon client des médias et des controverses. Avec une voix et un physique tiré, un peu, du village d’Astérix, il apprécie les formules ciselées et les opinions radicales. Ses propos comptent, même s’ils font débat, et vice-versa. Dans le contexte du Covid-19, il a très tôt indiqué qu’il ne fallait pas excessivement s’en inquiéter. Il demande, par ailleurs, que la chloroquine, un antipaludique, soit administrée aux malades.
Sans se prononcer dans cette affaire très contemporaine, plonger dans les textes du bouillonnant scientifique permet d’en savoir beaucoup sur sa spécialité, les maladies infectieuses. Parmi un nombre considérable de communications, d’articles académiques et d’ouvrages grand public, Raoult a publié en 2005 un ouvrage de synthèse et de prospective[1]. Il y annonce la perspective d’une pandémie de type coronavirus (sans qu’elle puisse alors être baptisée de la sorte). Surtout, il appelle à la nécessaire vigilance pour une humanité sempiternellement confrontée aux maladies infectieuses.
Celles-ci, selon Raoult, constituent la plus grande cause de mortalité dans l’histoire humaine. Elles reflètent nos modes de vie. « A habitudes nouvelles, maladies nouvelles » écrit l’auteur qui propose un panorama argumenté autour de ce sujet à l’ordre du jour. Le thème ne date pas d’hier… La tuberculose aurait 15 000 ans, la rougeole 7000 et la variole 4000. Urbanisation galopante, explosion des mobilités, évolutions des comportements et des écosystèmes influencent grandement des micro-organismes qui, par milliards, se déplacent et s’adaptent. Aujourd’hui encore tiques, insectes mais aussi chiens, chats et poulets nous accompagnent, tous avec leurs milliards de microbes qu’ils mélangent avec les nôtres.
La deuxième partie du XXe siècle, marquée par une certaine régression des infections virales, a pu laisser croire en leur disparition. C’est, souligne Raoult, une erreur d’optique des pays développés. La proportion de morts par ces maladies y a diminué régulièrement. Cependant, dans le reste du monde, elles continuent à tuer et d’autres maladies apparaissent. Le monde invisible des virus, à l’échelle planétaire, cause encore un tiers des décès.
Et il serait plus que fallacieux de croire au possible isolement des pays riches. Les hommes ne sont en effet qu’une même espèce et toute épidémie survenant à un endroit du monde peut affecter toute l’humanité. En outre, des foyers de pauvreté dans les pays riches, en particulier chez les personnes sans-domicile, voient le retour, par les poux, de pathologies que l’on pouvait croire oubliées (fièvre des tranchées, tuberculose).
Chacun a, surtout aujourd’hui, à l’esprit les effets dévastateurs de la grande peste, ou « peste noire », qui aurait tué 30% de la population européenne au Moyen Age. L’épidémie la plus meurtrière du XXe siècle est la grippe espagnole de 1918 qui a tué plus de 40 millions de personnes dans le monde, soit plus que la guerre. Les virus peuvent ainsi être responsables des plus grands chocs démographiques, ce que les projections ne sauraient, toujours selon Raoult, valablement modéliser. Les conséquences peuvent en revanche être observées. C’est le cas avec le SIDA qui, avec son extension, est devenu la première maladie infectieuse mortelle au monde.
Sur un plan scientifique, des progrès considérables ont été faits, par exemple pour le décodage très rapide des gênes du virus du syndrome de détresse respiratoire (SRAS). Chaque jour, de nouvelles maladies et de nouveaux microbes responsables peuvent être identifiés. L’essentiel aujourd’hui est, en l’état des connaissances et des possibilités d’intervention collective, de bien se préparer.
« Il est impossible de prévoir quelle prochaine maladie fera demain son apparition. Une seule chose est certaine, c’est que cela arrivera ». A cet égard Raoult, avec une formule élégante (« l’inattendu doit être attendu avec beaucoup de vigilance »), prône un « devoir de vigilance » pour détecter et lutter. Constat : les êtres vivants sont toujours en concurrence, et les microbes sont toujours en lutte pour survivre et s’adapter. Certains virus sont même des « rois de l’évolution », leurs capacités d’adaptation et de résistance aux antiviraux en témoignent.
Raoult met en balance – nous sommes, avec ce livre, en 2005 – la réalité de certains phénomènes et leur traitement médiatique. Huit personnes ont ainsi été touchées en France par la maladie de la vache folle quand, dans le même temps, 1 à 2 millions de personnes étaient infectées par la grippe. Celle-ci, jugée moins terrifiante en dépit d’un risque supérieur, est en quelque sorte plus « habituelle ». Avec les virus médiatisés, des peurs incontrôlées peuvent entraîner des modifications radicales de comportement avec des conséquences en chaîne sur l’organisation économique et sociale. Le « délire de la vache folle » (300 personnes atteintes dans le monde) a ainsi eu des conséquences colossales, ne serait-ce qu’en termes de craintes et de consommations alimentaires.
L’épidémie de grippe avec la variante H5N1 a conduit à la destruction de millions de poulets d’élevage. Si quelques cas humains sévères ont été recensés, très peu de transmissions à l’homme ont été en fait observées. La grippe, qualifions là d’« habituelle », reste donc en fait bien plus dangereuse que la grippe aviaire. Il est cependant vraisemblable, note l’auteur, que dans le courant du XXIème siècle une nouvelle pandémie grippale se produira. Il y a 15 ans Raoult n’annonçait pas précisément le coronavirus, mais bien une pandémie de forme grippale.
Selon-lui, dans ce texte d’il y a une quinzaine d’années, les mesures préventives exagérées ne peuvent faire office d’une véritable politique de vigilance. Celle-ci passe d’abord par l’agrégation de comportements individuels adaptés. Par le respect de règles d’hygiène de base et par la vaccination, il est possible de se protéger, et, partant, de protéger les autres. La vaccination n’a pas toujours, curieusement, bonne presse économique et médicale. La faible rentabilité de potentiels vaccins contre la tuberculose ou le paludisme ne conduit pas les laboratoires à investir dans cette direction pourtant essentielle.
Plaidant pour que l’économie de la vaccination soit revue dans une optique cruciale de prévention, Raoult souligne que des politiques vaccinales mondiales sont susceptibles d’éradiquer de la surface de la terre des maladies comme la varicelle, la rougeole ou encore l’hépatite B. Il note en incise que la Fondation de Bill Gates finance plus de la moitié des vaccinations dans les pays les plus pauvres du monde.
Toujours selon notre auteur, les débats et émois relatifs aux épidémies, épizooties et pandémies auraient permis, autour de 2005, le réveil des populations et des autorités. Il convient néanmoins, souligne Raoult, de ne pas s’emballer. Si les risques sont réels, la paranoïa ne saurait être de mise. Voici sa position : face au bioterrorisme ou à l’évolution naturelle des micro-organismes, la science, le bon sens et l’hygiène doivent d’abord être mobilisés. C’est par la vigilance que les maladies infectieuses, qui « font partie de notre avenir potentiel commun », seront mieux connues et mieux traitées.
Concrètement, il s’agira de donner aux chercheurs les moyens de convenablement et librement faire leur travail pour identifier les nouveaux virus, de prendre en charge judicieusement les nouveaux malades en les isolant et de mettre en place des politiques préventives efficaces. A ce titre Raoult plaide pour quatre priorités à l’échelle internationale : 1/ la lutte pour l’accès de tous à une eau propre, 2/ le renforcement des consignes d’hygiène de base (dont le lavage des mains), 3/ la généralisation des politiques vaccinales, 4/ un dispositif optimisé de détection des anormalités dans le monde.
Autour d’un sujet qui bouleverse le monde, relire cet ouvrage, qui mêle synthèse scientifique et observations pragmatiques, est bienvenu. Il se termine de manière très claire par une métaphore informatique : pour les virus une nouvelle attaque est toujours possible. La nouvelle attaque est en cours. Terminons cette note, sans dire quoi que ce soit sur la validité des suggestions de Raoult autour de la chloroquine, en indiquant que l’auteur pourra, après l’épisode du Covid-19, actualiser son « Que sais-je ? » sur les Nouvelles Maladies infectieuses qui, lui, date de 1999.
[1]. Didier Raoult, Les Nouveaux Risques infectieux. Grippe aviaire, SRAS, et après ?, Paris, Éditions Lignes de Repères, 2005.